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Derrière les millions de vues, les monteurs YouTube ramassent-ils les miettes ?

Derrière les millions de vues, les monteurs YouTube ramassent-ils les miettes ?

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Equipment in the house studio of Vlogger professional content creator

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Par Artoise Bastelica

Publié le , modifié le

Formés seuls et livrés à eux-mêmes, les monteurs des youtubeurs sont parfois exposés à des abus et à des rythmes de travail effrénés.

“De la force pour les monteurs qui ne dorment plus depuis plusieurs jours pour vous sortir cette dinguerie”, écrit le youtubeur Amixem en commentaire sous l’une de ses dernières vidéos.

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Exerçant d’habitude dans l’ombre, les monteurs bénéficient occasionnellement de coups de projecteur, comme dans l’une des dernières vidéos de Squeezie où apparaît son monteur Clément. Souvent plébiscités pour leur travail acharné, leurs conditions de travail interrogent.

Métier “passion” par l’expérience autodidacte

Si certains sont passés par un BTS montage comme Mélanie, créatrice de contenu et ex-monteuse, son cas est loin d’être une généralité. Il n’existe pas d’école publique reconnue pour les monteurs sur YouTube, comme c’est le cas dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel. Certains organismes privés comme Oka Media proposent des formations tarifées plusieurs milliers d’euros, qui n’ont toutefois qu’une valeur indicative. Les monteurs YouTube se forment en règle générale en autodidacte.

Ace, monteur pour la chaîne Bolchegeek, a commencé “comme la plupart, par des AMV”, en référence aux anime music videos, des clips réalisés à partir d’animations synchronisées sur de la musique. Comme lui, nombreux sont ceux qui se sont fait repérer avec leur chaîne YouTube en guise de CV. Bilou, monteur pour MisterJDay, a travaillé dans le passé pour plusieurs chaînes à succès. “Un jour, un youtubeur bien en place m’a demandé si je voulais faire du montage pour lui. C’est devenu mon métier depuis”, détaille ce dernier.

Si aucun diplôme n’est requis, le niveau de compétences attendu est pourtant élevé. Le métier demande à la fois maîtrise technique et créativité. Être monteur sur YouTube, c’est savoir couper et garder les moments intéressants pour les exploiter de façon à rendre la vidéo regardable tout en maîtrisant tout type de formats, du vlog au best of, en passant par le court-métrage ou encore la vidéo en voix off.

Matthieu de la chaîne Le Coin du Bis, monteur aux côtés d’Ace pour Bolchegeek, explique que sa connaissance du milieu du cinéma est valorisée par ses employeurs. “Benjamin [Bolchegeek, ndlr] me fait confiance pour illustrer toutes les parties cinéma et apporter des images inhabituelles.”

“Un streamer qui vous paye 50 à 100 euros pour une vidéo de 10 minutes, vous savez quoi lui dire”

Les monteurs de cinéma sont employés en tant qu’intermittents du spectacle. Leur activité est encadrée par la Convention collective nationale de la production audiovisuelle qui fixe des grilles tarifaires et garantit un seuil légal de rémunération en fonction du budget alloué au film.

Rien de tel n’existe pour l’instant pour les monteurs de YouTube. Majoritairement en freelance, leur salaire dépend du bon vouloir du créateur, peu importe les profits réalisés par ce dernier.

Si, pour Bilou, ses conditions de travail sont “idéales”, c’est surtout, selon lui, parce qu’il a la chance de travailler pour MisterJDay. “Il est vraiment soucieux de mon épanouissement. Il ne me pousse jamais”, affirme-t-il.

Dans certains cas, le dévouement des monteurs à l’égard de youtubeurs qu’ils admirent peut créer des relations ambiguës. “On est dans une sorte de proximité qui s’apparente à de l’amitié.” Bilou affirme même que certains créateurs s’en serviraient pour “profiter de leurs monteurs” et “les payer au lance-pierre”.

Par exemple, Donay, monteur pour la chaîne de Trash et le vidéaste Josplay, travaille plus de vingt heures par semaine pour un SMIC. Une rémunération qui peut sembler convenable mais qui reste bien en decà des grilles tarifaires fixées par la CNNET, et loin d’être un cas à part”

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Dans un tweet d’août 2020, le streamer AlphaCast écrivait : “Un streamer qui vous paye 50 à 100 euros pour une vidéo de 10 minutes, vous savez quoi lui dire.” Il conseillait également aux monteurs débutants de fixer leurs tarifs selon un taux horaire et pas un type de vidéo.

Lilian R. a travaillé quelques mois en tant que monteur via une entreprise spécialisée qui le mettait en relation avec les créateurs de contenu. Il explique que c’est l’entreprise qui fixait elle-même la rémunération des monteurs pourtant en freelance.

“J’ai monté un best of pour Sardoche, j’ai été rémunéré 20 euros pour cinq heures de travail.”

Ces tarifs “ridiculement bas” sont établis en fonction de la complexité du montage. Les best of sont considérés, à tort, comme les vidéos les moins complexes à monter et donc les moins bien rémunérées, et ce, peu importe la durée de la vidéo en question. Dans l’ensemble, les vidéos best of de Sardoche dépassent toutes les 50 000 vues, certaines atteignent même le million de vues. Une visibilité très rentable pour le vidéaste qui contraste avec l’investissement en question…

Une mentalité du “crunch” face à la dure loi des algos

Travaillant de chez eux, donc bien souvent isolés, les monteurs manquent d’informations sur leurs droits pour lutter contre ces abus. Beaucoup témoignent également de la difficulté de s’en plaindre : “Les youtubeurs parlent entre eux. Si ça se passe mal avec un youtubeur, on craint d’être persona non grata avec les autres”, confie Bilou. “J’ai l’exemple d’un collègue qui montait pour une youtubeuse très connue qui, lorsqu’il a demandé plus d’argent pour son travail, a appris qu’elle disait à d’autres de ne pas l’embaucher.”

À l’inverse, la célébration de l’investissement des monteurs par les vidéastes pose aussi problème. Certains, comme Matthieu, y voient une normalisation de la pratique du “crunch”. Fréquente dans l’industrie et les studios de jeux vidéo, ce terme désigne la très intense période de travail qui précède la sortie d’un jeu.

“Quand je vois des commentaires sur les réseaux déclarant que les monteurs ne dorment pas, je pense que même si c’est une façon de montrer qu’on est des bosseurs, le fait qu’on se tue à la tâche pour gagner peu dévalorise notre travail”, considère Donay.

Plus grave encore, ce sont “les plateformes et leur fonctionnement” qui “dictent le rythme”, la visibilité des vidéos étant soumise à la dure loi des algorithmes, ce qui n’est pas le cas pour la télévision ou le cinéma.

En demandant à ses monteurs de condenser dix heures de lives Twitch du GP Explorer en un week-end, Amixem contraint les autres créateurs à s’aligner sur ces cadences éprouvantes pour les leurs. S’installe alors un “cercle vicieux” de la course à la primauté sur YouTube, d’autant plus flagrant sur un événement où participent vingt-deux créateurs parmi les plus influents sur la plateforme francophone.

Bien que Florent Bodenez, monteur pour la chaîne aux 8 millions d’abonnés, précise dans un fil Twitter que ce “crunch” était exceptionnel, cet exemple est symptomatique de pratiques fréquentes dont les monteurs “en bout de chaîne”, selon Ace, payent cher le prix.