Le pouls du campus de CentraleSupélec continue de battre et la prochaine “grosse soirée” se profile déjà. La prestigieuse école d’ingénieurs est pourtant assommée par une enquête révélant qu’une centaine de ses étudiants auraient été victimes de viols et d’agressions sexuelles l’année dernière.
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L’étude – souhaitée par la direction et menée auprès des 2 386 étudiants de l’école – a fait l’effet d’une bombe. Appartenant à cet école, qui forme quelques-uns des plus brillants ingénieurs français, 51 femmes et 23 hommes auraient été victimes de harcèlement sexuel, 46 femmes et hommes d’une agression sexuelle et 20 femmes et 8 hommes d’un viol entre 2020 et 2021.
“Notre surprise, dans l’absolu, ce n’est pas qu’il y ait des violences sexistes et sexuelles. C’est l’écart entre l’absence de signaux précurseurs et le niveau qu’a révélé cette enquête”, souligne Romain Soubeyran, le directeur.
L’étude, basée sur un questionnaire anonyme, dévoile que les agresseurs sont le plus souvent des camarades et que les faits “se seraient déroulés dans un contexte associatif ou au sein de la résidence étudiante”. Autrement dit : notamment lors des fameuses soirées où l’alcool coule à flots, grands-messes servant de défouloir pour ces jeunes qui ont intégré l’école après deux (ou trois) années dans les plus sélectives classes préparatoires.
Pourtant, ils “n’ont jamais rien vu dans les soirées”. Mattis, Thomas et Solène, étudiants en première année croisés par l’AFP sur l’esplanade et au réfectoire, sont “un peu choqués” mais surtout formels : les fêtes organisées par les différentes associations d’étudiants dans les grands bâtiments du campus sont très encadrées.
La gendarmerie vient même apporter son concours et des arrêtés préfectoraux les formalisent, souffle Emilie Roger, responsable du développement RH et en charge de l’égalité hommes-femmes à l’école.
“Sans qu’on ne s’en rende compte”
Alors, où ? Dans les résidences étudiantes, surtout celles qui abritent les colocations, analysent l’ensemble des personnes interrogées par l’AFP. En 2020, temps de pandémie, les fêtes se sont déplacées à domicile sur le campus, dans ces cubes flambant neuf accolés les uns aux autres. Les convives alcoolisés passent de bâtiment en bâtiment, de chambre en chambre, dans ces ensembles gérés par des opérateurs privés où la direction de l’école “n’est pas habilitée à intervenir”, déplore Emilie Roger.
“On est au courant de ces problèmes, mais on n’avait pas idée de leur ampleur”, résume Mattis Drocourt, en première année, qui réfléchit : “Je pense que ça se passe sous nos yeux sans qu’on s’en rende compte. Il y a vraiment beaucoup d’alcool et la notion de consentement devient problématique.”
“Le gros problème, c’est le pourcentage de filles”, estime pour sa part Rudy Jacob, en année de césure, qui chiffre à moins de 20 % la part féminine dans les promos. “On pensait qu’on avait des dispositifs qui opéraient”, se désole Emilie Roger, qui n’hésite pas à utiliser les mots “culture du viol” face à l’ampleur du phénomène.
La responsable évoque les mesures prises depuis cette enquête : mise à disposition de psychologues, de juristes, participation aux frais d’avocat, renfort des campagnes de sensibilisation déjà bien implantées sur le campus.
“Il n’était pas crédible d’imaginer que rien ne se passait à CentraleSupélec alors qu’ailleurs, si”, explique Ibtissam Hamich, 21 ans et présidente de Çapèse, l’association qui a mené l’étude et dont les volontaires sont présents aux soirées. “Ce qui ressort [du questionnaire] beaucoup trop souvent, c’est la peur de ne pas être cru”, dénonce-t-elle pour justifier le fait qu’à ce jour, aucune plainte n’a été déposée.
Suite au signalement de l’école, le parquet d’Evry a toutefois ouvert une enquête préliminaire pour des faits de harcèlement sexuel, agressions sexuelles et viols.
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