Comment cet émoji ? est devenu le summum du passif-agressif

Comment cet émoji ? est devenu le summum du passif-agressif

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Par Pierre Schneidermann

Publié le

"Je te l’avais pourtant dit ?"

À l’exception du doigt d’honneur (?), les 3 000 émojis que nous avons à disposition sont globalement là pour ambiancer et enrichir nos discussions, qu’elles soient futiles ou non.

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Bon nombre d’entre eux ont connu une trajectoire sémantique heureuse (l’émoji aubergine ? pour signifier le phallus ou l’émoji yeux ? pour annoncer un drama). Un émoji rebelle, cependant, a parcouru le chemin inverse : l’émoji “léger sourire” ?, dès lors qu’il est placé en fin de phrase.

Si Emojipedia nous rappelle que ce pictogramme, à l’origine, véhicule des sentiments positifs, joyeux et amicaux, on nous explique aussi qu’il peut exprimer de l’ironie ou carrément du passif-agressif. “This is fine when it’s really not“, résume sa description. “Tout va bien, mais en fait non“. Tout est dit.

Cette utilisation dévoyée, nous la retrouvons surtout entre collègues, dans un milieu où il est peut-être plus difficile de se dire les choses de manière cash. On peut rencontrer du passif-agressif soft (“penses-y la prochaine fois ?” = tu es distrait mais ça passera pour cette fois) ou du passif-agressif plus hard (“je te l’avais pourtant dit ?” = tu n’as rien écouté à ce que je t’avais dit, franchement t’abuses).

À l’instar du Covid, cette tournure passive-agressive a ses variants : un “penses-y la prochaine fois ?” et “je te l’avais pourtant dit ?” peuvent aussi faire leur petit effet désagréable. Ceci dit, ces dernières années, le sourire léger a largement pris le dessus.

Faut-il blâmer ceux qui l’utilisent ? Pas forcément. Cela peut partir d’une bonne intention. Car, à l’écrit, tout paraît plus sec. Écrire un “penses-y la prochaine fois” sans émoji, c’est abrupt (pire encore si l’on rajoute un point final). L’utilisation du ? peut donc servir à nuancer un propos trop véhément. Ne nous leurrons pas : certains possèdent parfaitement les codes du passif-agressif et agissent en toute lucidité.

Quelles ce soient les intentions, ce triste cas d’école nous démontre une chose : mettre des formes et des nuances dans un message écrit, c’est incroyablement compliqué. Alors qu’IRL il y aurait mille manières de formuler un “penses-y la prochaine fois” (en jouant sur les gestes, les expressions du visage ou les intonations), il y a si peu d’options à l’écrit que l’on est soit dans l’abrupt, soit dans le passif-agressif ?.

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