Tout commence à l’été 2017, lorsque Myriam – dont le prénom a été modifié –, 15 ans à l’époque, est recrutée pour intégrer l’OL Academy, le centre de formation du meilleur club féminin actuel au monde. Elle était supervisée depuis ses 12 ans par l’Olympique Lyonnais. Tout semblait se passer pour le mieux pour la jeune femme.
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Mais très vite, l’entraîneur des U16, Yohan D., jette son dévolu sur l’une des amies de Myriam. À partir de là, son rêve se transforme petit à petit en cauchemar. Le comportement du coach devient clairement déplacé envers les deux jeunes joueuses.
Retour sur cette affaire qu’un club de renom a voulu étouffer.
“Je me sens bien quand tu es là”
“J’ai vite compris que ça n’était pas un coach comme les autres quand j’ai vu les messages qu’il m’envoyait. Par exemple, il m’écrivait : ‘Je me sens bien quand tu es là’. Quand un coach dit ça, on n’a pas besoin d’avoir 20 ans pour comprendre ce que c’est. J’ai coupé court. Dans mes valeurs, n’y a pas de ça. J’étais là pour le foot”, explique la jeune femme au micro de France Bleu Alsace.
Le témoignage de Myriam fait surface dans un contexte déjà tendu dans le monde du sport. Pour rappel, au 1er juin, en France, 177 personnes issues de 40 fédérations sportives différentes étaient visées pour des faits de violences sexuelles, avait annoncé la ministre des Sports, Roxana Maracineanu.
La pression que fait subir le coach de Myriam sur cette dernière ne s’arrête pas là. “Montre-moi des photos de ta copine et je te mettrai capitaine”, promet l’entraîneur. L’amie de Myriam lui fait promettre de garder le silence, par peur des conséquences.
Des mots aux actes
C’est lors d’un tournoi, à Holtzwihr, près de Colmar, du 18 au 20 mai 2018, que la situation devient encore plus grave. Alors qu’il faut regagner sa chambre, “l’entraîneur s’est débrouillé pour changer les clés et qu’on soit à son étage à lui, pour avoir la main sur nous”, se souvient Myriam. Après avoir expliqué les problèmes qu’il rencontrait avec sa femme, l’homme se serait aussi introduit sous la couette de l’amie de Myriam et y aurait glissé sa main. C’est alors qu’une des joueuses avertit la direction de l’OL. L’affaire éclate et le coach démissionne avant d’être renvoyé.
Les deux amies pensaient en avoir fini avec cette histoire, mais c’est la douche froide pour Myriam : le 5 juin 2018, la jeune femme apprend que l’intégralité de sa formation ne sera plus financée par le club. Ses parents décident donc de prendre le relais, mais quelques jours plus tard, le club annonce à l’adolescente qu’il ne va finalement pas la garder du tout, sous prétexte qu’elle n’aurait pas suffisamment progressé.
Des promesses en l’air ?
À son arrivée au centre de formation, le club aurait promis aux parents de Myriam de la prendre en charge pendant 3 ans. Problème : la promesse a été faite oralement, alors que chez les garçons, l’accord est signé de façon à assurer leur début de carrière.
La mère de Myriam n’a pourtant jamais relevé la moindre anomalie, comme elle l’a expliqué pour Franceinfo : “On nous a promis que Myriam était engagée au sein de l’Olympique Lyonnais pour trois ans. À aucun moment on nous a proposé de signer quoi que ce soit. Nous étions plusieurs parents dans le même cas, à n’avoir jamais rien signé, ça m’a rassurée, je me suis dit que c’était normal.”
Depuis, les parents sont décontenancés. Le père de la jeune joueuse témoigne, toujours au micro de France Bleu Alsace :
“Le club a proposé à notre premier avocat une somme de 15 000 euros pour acheter notre silence. Nous avons refusé. Verbalement, mais aussi par écrit. Ce n’était pas nos attentes. On voulait que justice soit faite suite à ce qu’il s’est passé. On voulait porter plainte contre ce pédophile qui a harcelé notre fille tout le long de l’année 2017-2018.”
En juillet 2019, les parents portent finalement plainte et Mediapart révèle l’affaire. Le nouvel avocat de la famille, Me Slim Ben Achour, spécialiste des questions de discrimination, assigne l’Olympique Lyonnais en référé. Il s’attaque au favoritisme chez les garçons, qui ont plus de droits que les jeunes filles en arrivant au club et veut combattre cette injustice. Le défenseur des droits, Jacques Toubon est saisi de l’affaire.
Au mois de septembre 2019, l’ex-entraîneur des U16, Yohan D., est mis en examen pour “atteinte sexuelle sans violence sur mineure de 15 ans, par personne ayant autorité”.
Début septembre, la famille n’obtient pas la réintégration de Myriam à l’OL, ce qui pose la question de la place de la femme dans le football français. Myriam n’avait passé qu’une saison à Lyon. Leur avocat, Slim Ben Achour, est indigné :
“Le club considère qu’il peut s’abstraire des principes essentiels de la République, l’égalité entre les femmes et les hommes et les droits fondamentaux des enfants à suivre une instruction. C’est même une obligation d’être instruit et de ne pas être l’objet d’agressions, de violences de la part de majeurs, surtout lorsqu’il s’agit d’un coach au sein du club.”
L’avocat et les parents ont engagé deux procédures contre le club : une plainte pénale et une action civile qui devait réintégrer la jeune joueuse dans le club, en vain. Ils ont ensuite engagé une procédure en réparation des préjudices.
Quid de la réparation ?
La famille réclame plus de 2 millions d’euros de dommages aujourd’hui. Dans le document d’assignation que s’est procuré France Bleu Alsace, il est demandé au tribunal “de condamner l’OL à verser la somme de 972 000 euros en réparation de son préjudice lié à la perte de chance [parce qu’elle n’a pas pu passer professionnelle, ndlr], la somme de 851 580 euros en réparation de son préjudice moral, la somme de 56 717,60 euros en réparation de son préjudice financier et la somme de 250 000 euros en réparation de son préjudice lié aux manquements aux accords collectifs et engagements unilatéraux du club”. L’audience devrait se tenir à Lyon, à la fin de l’année ou début 2021.
La mère de la footballeuse est scandalisée par la tournure que les évènements ont prise : “Notre fille est doublement victime. Elle est victime d’un pédophile à l’âge de 15 ans, mais aussi d’une grande école comme le centre de formation de l’Olympique Lyonnais, qui en voulant étouffer cette affaire, sacrifie une jeunesse, des vies, en fait.”
La jeune femme n’a pas dit son dernier mot. Elle a depuis joué à Metz et pour l’Olympique de Marseille. “C’était mon rêve depuis toute petite d’être professionnelle. C’est encore mon rêve, mais plus à l’Olympique Lyonnais”, conclut-elle.
Pour plus de détails sur l’affaire, l’enquête de France Bleu Alsace est à retrouver ici.