Jeudi 8 juillet 2021, le couperet tombe : il n’y aura pas de spectateurs aux JO de Tokyo. Deux semaines avant le coup d’envoi de ce qui devait être une fête populaire, la ministre japonaise des JO, Tamayo Marukawa, a officialisé cette décision que l’organisation s’est longtemps refusée à admettre. Pour la première fois en 125 ans d’existence, les compétitions olympiques se dérouleront à huis clos. Et ça change (presque) tout.
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Le huis clos inévitable
Le gouvernement japonais et le comité d’organisation ont à peu près tout tenté pour se soustraire à cette terrible décision : d’abord interdire les supporters étrangers, puis réduire la jauge d’accueil, interdire les autographes et acclamations, dissuader le public de se rendre sur les parcours des marathons… Mais deux semaines avant le coup d’envoi des Jeux, il a fallu se rendre à l’évidence. À défaut de public, il faudra se contenter de “quelque chose d’immersif, avec un système de sons qui sera utilisé dans les stades”, dixit le président du CIO, Thomas Bach, lors de son arrivée au Japon le 8 juillet dernier. “Nous allons utiliser des sons des épreuves des JO précédents et les diffuser sur les mêmes compétitions à Tokyo”. Ces acclamations factices, avec en prime des remises de médailles sans contact, devraient contribuer à rendre l’ambiance particulièrement singulière.
Si les officiels tentent de faire bonne figure, bon gré mal gré, c’est aussi parce qu’ils ont dû composer avec la défiance de la population locale. En plus des quelques manifestations d’hostilité sur la voie publique, l’indifférence constatée localement dans les rues tokyoïtes tranche avec l’idée qu’on peut se faire d’une ville accueillant les Jeux. Et les enquêtes d’opinion effectuées par les médias locaux traduisent tout cela. En mai, le quotidien local Asahi Shimbun (par ailleurs partenaire officiel des JO) rapportait, par exemple, que 43 % des sondés (1 527 personnes) soutenaient l’annulation des Jeux, et que 59 % de ce même échantillon ne souhaitait pas de public dans les stades.
Pour ne rien arranger, l’Empereur du Japon lui-même est venu se joindre au scepticisme général. “L’empereur est très inquiet de la situation actuelle de la contamination par le coronavirus”, avait alors déclaré le chef de l’agence de la Maison impériale, Yasuhiko Nishimura, lors d’un point presse à la fin du mois de juin. “Compte tenu des inquiétudes de l’opinion publique, Sa Majesté semble préoccupée par le risque d’une éventuelle accélération des infections à la suite de cet évènement”. C’est donc une décision sanitaire ET politique que le gouvernement japonais s’est résolu à prendre. Car économiquement, le manque à gagner d’un huis clos en termes de billetterie s’annonce colossal : environ 800 millions de dollars, quand dans le même temps, les coûts d’organisation de la compétition se sont envolés au fil des mois.
Inconfort pour les athlètes…
Voilà donc Tokyo embarqué dans l’organisation des Olympiades les plus chères, mais aussi les moins rentables et probablement, les plus tristes de l’Histoire. Car cette décision change également la donne pour les quelque 11 000 sportifs initialement attendus. En termes d’ambiance, évidemment. Mais aussi (surtout ?) en termes de contraintes organisationnelles et logistiques. Si certains, comme le tennisman Nick Kyrgios, ont attendu le verdict du huis clos pour annuler leur venue, nombreux sont ceux qui avaient déjà renoncé bien avant.
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Courant juin, les organisateurs avaient dévoilé l’éventail des règles en vigueur dans un “playbook” de 70 pages destinées aux athlètes. Un règlement à respecter scrupuleusement sous peine de sanctions exemplaires, allant de l’amende, à l’exclusion temporaire ou définitive des Jeux, voire même pour une future compétition. “Les règles sont faites pour être respectées, il n’y aura aucune transgression”, avait prévenu Christophe Dubi, le directeur des Jeux du CIO pendant que le vice-président de l’instance mondiale, John Coates, estimait à environ 85 %, la proportion d’athlètes vaccinés présents sur place. Des chiffres censés calmer une inquiétude aussi légitime que grandissante, alors qu’à la veille de la cérémonie d’ouverture, pas moins de 91 personnes ont déjà été testées positives au sein des différents participants (athlètes, staffs…).
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Dernier élément susceptible de compliquer la vie des sportifs présents sur place : la météo. L’agence météorologique du pays table sur des pics de température durant toute la quinzaine (plus de 30 °C, 40 °C en ressenti), couplés à une importante humidité (de 70 à 80 %). Un paramètre complexe à gérer pour des athlètes qui, dans leur majorité, ont débarqué tardivement sur place sans réelle possibilité de s’acclimater. Des conditions qui ont poussé l’organisation à reprogrammer certaines épreuves tôt le matin, afin d’éviter les pics de chaleur. Des conditions qui ne risquent pas d’optimiser la performance…
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… et pour les journalistes
Cette Olympiade impose également des conditions toutes particulières aux journalistes, dont le rôle pourrait être encore plus central que d’habitude en l’absence d’engouement sur place. Ils ont dû, entre autres, choisir leur hébergement dans une liste présélectionnée, fournir la liste détaillée des lieux où ils auraient prévu de se rendre, et respecter un plan de déplacement fourni en amont par les autorités. Et gare aux contrevenants. Certes, le traçage par GPS initialement envisagé pour surveiller leurs allées et venues a été finalement écarté. Mais les journalistes pourront être contrôlés par un système de caméras de surveillance, et via l’historique de position de leur smartphone. “Si quelqu’un nous signale que des étrangers semblant être venus pour les JO ont été vus faisant la fête dans un restaurant, ou bien en train de faire des courses dans une supérette, nous sommes susceptibles de vérifier”, expliquait récemment une source officielle dans les colonnes de Libération. En cas d’infraction, le journaliste encourt, a minima, le retrait de son accréditation. De quoi alourdir un peu plus l’atmosphère et rendre encore plus compliquée, la couverture de l’événement.
Ce contexte particulier place le sport olympique face à un challenge inédit : celui de s’affranchir de ses habits de fête, de ses couleurs, de sa clameur et de son effervescence universelle. En somme, de ce qui fait son essence. Jusqu’ici, les Jeux étaient confrontés à des défis d’autres natures : culturelle, sécuritaire, politique ou encore diplomatique. Les voilà désormais face au défi de la contrainte sanitaire… et de la morosité.