AccueilLifestyle

“On a tout perdu” : entretien avec Fanoos Basir, ancienne joueuse de la sélection afghane

“On a tout perdu” : entretien avec Fanoos Basir, ancienne joueuse de la sélection afghane

Image :

© Reuters/Stéphane Mahé

avatar

Par Abdallah Soidri

Publié le

"Il ne reste rien pour les femmes afghanes."

Depuis la prise de Kaboul par les talibans le 15 août dernier, nos premières pensées ont été pour les femmes afghanes, qui depuis vingt ans, avaient retrouvé certaines libertés : celles d’étudier, de sortir, ou même de faire de la musique ou du sport. Quelques semaines plus tard, il nous paraît indispensable de continuer à faire entendre ces femmes, qu’elles soient ici ou là-bas : leurs combats, leurs espoirs et leurs réalités.

Une journée en partenariat avec France Inter.

À voir aussi sur Konbini

Le 15 août dernier, les talibans ont repris Kaboul, dernière étape de leur établissement au pouvoir en Afghanistan. Un retour qui marquait la fin des espoirs et des rêves pour de nombreuses Afghanes, dont les sportives, inquiètes de leur sort pour ce qu’elles représentent. Fanoos Basir est l’une d’elles. Ancienne footballeuse en sélection, aujourd’hui réfugiée en France avec sa mère, sa sœur et son frère, elle raconte pour Konbini sports le déchirement d’avoir quitté son pays, où les femmes n’ont “aucun futur”.

Konbini sports | Quand avez-vous commencé à jouer au foot ?

Fanoos Basir ⎪ J’ai commencé le football très jeune. Je jouais avec les filles et les garçons du camp de réfugiés dans lequel nous étions au Pakistan. J’avais 6 ou 7 ans, et le football était déjà dans mes veines, aussi parce que mon père jouait. Quand nous sommes revenus en Afghanistan, fin 2009, j’ai intégré l’équipe nationale.

Quel est votre plus beau souvenir en tant que joueuse ?

Quand on était dans le camp de réfugiés au Pakistan, je rêvais de rentrer en Afghanistan et de jouer pour mon pays. En foulant une pelouse pour la première fois, je me suis sentie libre. Aujourd’hui, à chaque fois que je sens le gazon ou que je suis dessus, je me souviens de tout.

Mon plus beau souvenir, ça reste d’avoir joué avec mes coéquipières librement. La société en Afghanistan est dominée par les hommes, donc c’est un challenge d’être footballeuse. Sur le terrain, on se sentait libres quand on était entre joueuses.

À l’époque, vous imaginiez qu’un jour vous ne pourriez plus jouer au foot dans votre pays ?

Je faisais ce cauchemar, souvent : qu’un jour, les talibans reviendraient et contrôleraient à nouveau l’Afghanistan. Ma mère, mes tantes ou des professeurs nous ont toujours raconté des histoires sur eux. On écoutait, mais on n’aurait jamais pensé que cela se reproduirait un jour, qu’on endurerait les mêmes expériences et qu’ils contrôleraient à nouveau le pays. On a tout perdu. Pendant 20 ans, on a travaillé durement pour notre pays. On avait d’énormes rêves, on a beaucoup souffert, mais aujourd’hui, il ne reste rien, en particulier pour les femmes afghanes.

Quand avez-vous pris la décision de quitter l’Afghanistan et de venir en France ?

Le 15 août, quand les talibans ont pris le contrôle de Kaboul, je suis allée à mon bureau, comme tous les matins. Mais quand j’ai vu l’anormalité de la situation, j’ai dit à mon patron que je devais rentrer à la maison. En arrivant, j’ai eu le cœur brisé en voyant les talibans entrer dans la ville. Ce n’était pas mon imagination, c’était bien réel. La première chose que j’ai faite a été de cacher toutes traces de mon passé de footballeuse, parce qu’on ne savait pas s’ils allaient fouiller les maisons.

“L’Afghanistan n’est plus un pays pour les femmes, mais pour les hommes”

Quand ils ont annoncé leurs directives : que les femmes pouvaient sortir sans être accompagnées d’un frère ou d’un mari, juste en portant le hijab, avant le coucher du soleil, j’ai su qu’il était temps de fuir. L’Afghanistan n’est plus un pays pour les femmes, mais pour les hommes. Ils considèrent les femmes comme des moins-que-rien. Je suis ingénieure en génie civil, je travaille dans une branche essentiellement masculine. Jamais ils ne m’auraient autorisée à travailler. Jamais ils n’auraient accepté une footballeuse. Ils ont tout interdit aux femmes.

Avez-vous rencontré des difficultés pour fuir le pays ?

Évidemment. L’aéroport était entouré de talibans armés, et ils n’autorisaient personne à entrer. Je les ai vus de mes yeux tirer sur trois hommes, et trois femmes sont mortes. Il y avait des centaines de personnes devant l’aéroport, y entrer était impossible. On a appelé nos amis français, qui nous ont permis d’y entrer en bus. On a eu de la chance.

Qu’en est-il de vos anciennes partenaires qui n’ont pas pu quitter le pays ? Avez-vous des nouvelles ?

Certaines d’entre elles sont en Australie, d’autres en Italie. J’aurais pu aller en Australie, mais j’ai choisi la France, car ma sœur avait un visa pour venir ici [elle était traductrice pour l’ambassade de France, ndlr]. D’anciennes coéquipières et des joueuses de mon club [elle était entraîneure, ndlr] restées en Afghanistan me contactent et me demandent de l’aide. Je fais de mon mieux et j’espère qu’un jour, elles pourront aller ailleurs. Elles n’ont aucun futur en Afghanistan.

À quoi ressemble leur quotidien ?

Elles ont l’impression d’être en prison. Les écoles, les universités et les terrains de football sont fermés. Elles sont piégées à l’intérieur, dans leur maison. Elles pleurent sans cesse, certaines tombent en dépression. J’essaie de leur parler, de les calmer, en leur disant qu’on essaie de faire quelque chose pour elles. Elles attendent, mais elles sont dans une mauvaise situation.

“J’avais le foot, j’avais un toit, j’étais ingénieure et aujourd’hui, je n’ai plus rien”

Qu’est-ce qui vous manque le plus depuis que vous avez quitté l’Afghanistan ?

Tout me manque : mon peuple, mon pays, ma terre, ma maison, mes coéquipières, mon travail… Jamais je n’aurais pensé ressentir un tel manque. J’ai peu d’espoir car, à chaque fois que j’ouvre Facebook, je vois les posts et les nouvelles de ce qu’il se passe en Afghanistan. Les gens ont faim, il n’y a pas assez à manger et les gens meurent. La prochaine étape sera peut-être une crise économique. Ça me fait si mal.

Comment se passe la vie en France depuis votre arrivée ?

La vie est bien évidemment dure. Des gens nous ont dit qu’en tant que réfugiés, on n’avait plus notre mot à dire sur où on veut aller. J’ai un peu le cœur brisé. Là-bas, j’avais le foot, j’avais un toit, j’étais ingénieure et aujourd’hui, je n’ai plus rien. J’espère qu’après toutes ces difficultés, le futur sera radieux.

Comment voyez-vous votre avenir ?

Je vois mon avenir en France. Je veux rejoindre un club de foot et continuer mon master en ingénierie.

On finit sur du football : vous avez prévu d’aller voir des matches de foot en France ?

J’ai toujours vu les matches à la télé et non au stade – en Afghanistan, nous n’avons pas de grandes enceintes. C’est un de mes rêves d’assister à un match au stade.