On a discuté avec Morgane Ursault-Poupon et Julia Virat, duo de navigatrices inspirantes

On a discuté avec Morgane Ursault-Poupon et Julia Virat, duo de navigatrices inspirantes

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© Adrien Clidière

Préparation, défis, engagements : le duo nous a ouvert les portes de la voile au cours d’un entretien passionnant.

À quelques jours de la Transat Jacques Vabre qui partira du Havre le 7 novembre, les navigatrices Morgane Ursault-Poupon et Julia Virat nous ont accordé un petit peu de temps au milieu de leur agenda bien chargé. L’occasion de nous parler de leur discipline, leur rencontre, leurs engagements. À travers cette nouvelle aventure, les deux navigatrices souhaitent adresser un message inspirant et encourageant. 

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Konbini Sports | Salut Morgane, salut Julia ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ? 

Julia | Je m’appelle Julia Virat, j’ai 39 ans, je suis guide de haute montagne et je viens de Chamonix. Je me suis mise à la voile il n’y a pas si longtemps, et je découvre la course au large cette année. Je vais participer à la Transat Jacques Vabre avec Morgane et c’est ma première grande course, c’est la première fois que je traverse l’Atlantique, donc je suis encore en apprentissage aux côtés de Morgane. Je suis spécialiste des milieux extrêmes parce que mon métier de guide de haute montagne m’a fait vivre pas mal de grandes aventures.

Morgane | Je m’appelle Morgane Ursault-Poupon, j’ai toujours évolué dans ce milieu mais j’ai commencé la course sur le tard. Mon père est coureur au large, on va dire qu’il est maintenant à la retraite. J’ai commencé ma première grande course en 2018 avec la Route du Rhum, pour moi c’était plus une aventure qu’une compétition. Avant cette grande course, j’avais navigué 5 ans essentiellement en Antarctique, et dans le grand sud. C’est grâce à cela que j’ai acquis une bonne expérience en tant que marin. Depuis 2018, la course au large est devenue mon métier et je souhaite continuer encore quelques années.

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Julia | On s’est rencontrées par hasard sur le bateau de course d’un ami lors d’un entraînement. Il nous a proposé à l’une et à l’autre de naviguer sur ce bateau. On a fait une journée d’entraînement ensemble. Les choses sont ensuite allées très vite, on a rapidement décidé de se lancer dans un projet ensemble.

© Adrien Clidière

Justement, est-ce que vous pouvez nous parler de votre projet commun, la Transat Jacques Vabre prévue le 7 novembre prochain ?

Morgane | La Transat Jacques Vabre est considérée comme la course en duo la plus exigeante. C’est une transatlantique qui part du Havre et qui arrive pour la première fois, cette année, en Martinique. C’est également une des rares fois où il y a plusieurs parcours. Il va y avoir quatre catégories de bateaux, et vu que les bateaux n’ont pas les mêmes caractéristiques, ils ne vont pas à la même vitesse. Pour faire en sorte que tous les bateaux aient la chance d’arriver à peu près en une période de 10 jours, nous on va passer par le Cap Vert. C’est une course très engagée avec les meilleurs marins des temps modernes.

Pourquoi c’est la course la plus exigeante ?

Morgane | C’est une longue période, et il y a de très bons marins sur quasiment tous les bateaux, le niveau en est d’autant plus élevé.

Julia | On part pour une période de trois semaines à peu près, et le début se fait au mois de novembre en France, une période qui est assez exigeante en termes de météo. Pour la partie Atlantique, on va être dans des conditions plus bénéfiques, mais la première semaine est donc très exigeante. 

Comment vous êtes-vous préparées pour cette traversée ?

Morgane | Le but c’est de naviguer le plus possible. On a fait de notre mieux mais ça n’est jamais assez. On aimerait naviguer plus mais organiser des projets comme celui-là, c’est comme gérer une petite entreprise. Il y a énormément de logistique. Il faut d’abord que notre monture soit prête. Que le bateau soit nickel, tous les équipements, les voiles, la structure… Un des gros jobs consiste à trouver l’argent pour financer ces aventures qui coûtent très cher. Donc on passe beaucoup de temps derrière notre ordinateur à faire de la com’, à solliciter des gens… Dans l’idéal, nous avons la préparation physique et sportive, c’est un peu la cerise sur le gâteau quand on arrive à avoir du temps. Il faut faire des stages de survie, de météo, de premiers secours… Tout cela nous occupe sept jours sur sept.

Julia | Sur la partie navigation, on avait principalement deux axes. Le premier c’était de participer à des courses. On a participé à la Rolex Fastnet Race et aussi à la 40′ Malouine. Le but était de s’adapter au contact des autres bateaux, aux départs, aux arrivées, aux manœuvres un petit peu serrées dans un contexte de compétition. Et d’autre part, on a fait pas mal de navigation en double pour s’habituer à fonctionner à deux, et à vraiment mettre de l’huile dans les rouages… On navigue fréquemment en partant 24 ou 48 heures, juste toutes les deux, pour travailler à la fois la fatigue et les manœuvres très précises.

© Darwin Studio

Julia, quels atouts vas-tu transposer de ton métier de guide de haute montagne dans cette traversée ?

Julia | Déjà ma résistance physique, parce que guide de haute montagne c’est un métier très physique et très sportif. Mon corps est habitué à endurer de gros efforts et le manque de sommeil. Ensuite, mon métier c’est de gérer la sécurité. Au quotidien, si je fais une erreur, il y aura des morts, donc je suis très rigoureuse. Et comme les marins, je fonctionne aussi avec un arbre décisionnel : d’abord la sécurité, puis la performance, et en dernier lieu le confort. Tout va passer par ces filtres de priorité, et ça c’est une gymnastique mentale qu’on a l’habitude de faire en mer comme en montagne. 

“Un message très positif pour encourager et inspirer d’autres femmes”

Morgane, tu es une skippeuse expérimentée, quels seront les défis pour toi lors de cette course ?

Morgane | Le plus gros défi, c’est de donner le maximum de notre potentiel en toute sécurité et de ne pas prendre de risques qui mettraient un frein à notre performance. Il va vraiment falloir gérer le mix entre nos capacités et la performance. Ensuite, les autres défis seront de faire des belles trajectoires, gérer la météo, prendre les bonnes décisions, gérer le sommeil, bien s’alimenter, avoir une bonne communication…

Est-ce que, par le biais de cette traversée 100 % féminine, vous voulez prouver que les femmes peuvent faire tout aussi bien que les hommes ?

Julia | On ne le fait pas pour ça. Mais puisqu’on est des femmes et qu’on veut faire ça, par la force des choses c’est ce qu’on montre. Mais on ne le fait pas en tant que femmes, on le fait en tant que nous-mêmes. On a envie d’avoir la même chance de réaliser nos rêves et nos objectifs, et il se trouve que fonctionner entre femmes ça marche bien, parce qu’on a une même vision du risque et de la résistance. Là-dessus je nous trouve très proches avec Morgane. Et sur la gestion de nos émotions aussi c’est assez naturel. La manière qu’on a de les exprimer et d’en tenir compte, et de passer au-delà. On a autant de plaisir à naviguer en équipage mixte. Mais c’est sûr que d’être deux femmes ça envoie un message très important, qui est de dire : “On n’est pas en-dessous d’un homme.” Je fais le parallèle avec ce que je vis en montagne, quand on est une cordée mixte, le regard extérieur va toujours penser que c’est l’homme qui conduit la cordée et la femme qui se fait emmener, alors que ça peut être complètement l’inverse. L’avantage quand on est deux femmes, c’est que cette question ne se pose plus. Donc c’est un message très positif pour encourager et inspirer d’autres femmes.

© Darwin Studio

Vous êtes toutes les deux des femmes engagées, pouvez-vous nous en parler un peu ?

Morgane | J’ai beaucoup voyagé dans le Grand Sud, j’ai fait des études dans la gestion de l’eau, donc j’ai toujours été très proche de l’environnement, de la vie sauvage mais aussi de certains éléments de pollution. J’ai donc une vraie sensibilité là-dessus. Quand j’ai commencé la compétition, c’était vraiment indispensable pour moi de pouvoir adresser un message qui ait du sens par rapport à nos activités de courses. Ça fait un moment que je cherchais une association à mettre en avant, et j’ai trouvé que Médecins du Monde était une magnifique association. Ce n’est pas axé “environnement” contrairement à ce que j’avais l’habitude de faire auparavant. Plus jeune, pendant mes études, je voulais installer des ponts d’irrigation en Afrique, donc travailler avec Médecins du Monde qui est très proche des pays du Sud, ça a beaucoup de sens. J’espère que c’est un partenariat qui va durer, qu’on va peut-être pouvoir inviter des jeunes à naviguer sur le bateau, aller à la rencontre de différentes populations…

Julia | De mon côté, je suis la marraine de l’association For My Planet, dirigée par deux personnes très investies dans l’environnement et qui souhaitent développer leur association. Ils sont complètement habités par leur mission et ils le font avec le cœur, de la même manière que je mène mes projets avec beaucoup de passion. Pour moi c’était important de m’associer à des gens de confiance qui ont ça dans leurs veines. Le but de cette association est de former les jeunes à l’écocitoyenneté en leur faisant développer des gestes écocitoyens à leur échelle, puis de créer des cycles de conférence qu’ils présentent eux-mêmes, de développer quelque chose de beau et de leur montrer que ce sont eux les acteurs du changement.

Un mot pour la fin ?

Morgane | Dire à tout le monde, aux jeunes et aux moins jeunes, que s’ils ont des rêves, et même si c’est difficile, il ne faut rien lâcher. Il faut se donner à fond pour aller jusqu’au bout de ses rêves.

Pour suivre la suite du projet ainsi que toutes les autres aventures de Julia et Morgane, rendez-vous sur leur compte Instagram.