Swarm, la série satirique de Donald Glover, convoque l’horreur dans la réalité du quotidien

Swarm, la série satirique de Donald Glover, convoque l’horreur dans la réalité du quotidien

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Par Jennifer Padjemi

Publié le

La culture Internet, ses dérives et quelques spoilers.

Avant même sa sortie officielle ce 17 mars sur la plateforme Prime Video, Swarm faisait déjà du bruit sur les réseaux sociaux. Avec un casting cinq étoiles et une communication bien rodée qui donnait des pistes sans rien dévoiler, il suffisait de peu pour que la machine se lance. La réception est quant à elle plus mitigée.

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Derrière la caméra, on doit l’idée de la série à Donald Glover, qui s’est associé à la productrice exécutive d’Atlanta Janine Nabers. Ils sont entourés d’une équipe de scénaristes connus de FX et de nouvelles plumes comme Malia Obama (la fille de Barack et Michelle Obama), rien que ça !

Devant la caméra, d’autres noms célèbres ont également retenu l’attention des internautes : celui de Chloe Bailey, mais aussi de Billie Eilish, Paris Jackson ou encore Rickey Thompson, qui sont venus prêter main-forte à Dominique Fishback, LA révélation de cette minisérie.

Fans et déboires

Cette dernière campe le personnage de Dre (Andrea), jeune femme perdue aux multiples facettes dont la vie tourne autour de sa sœur “adoptive” Marissa, et de sa passion éperdue pour Ni’Jah, une chanteuse pop/R’n’B qui rappelle explicitement la figure de Beyoncé.

La couleur est annoncée dès le début : “Ceci n’est pas une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, ou avec des événements réels, est intentionnelle”. Dre représente l’essaim (“swarm” en anglais) d’abeilles qui s’organise pour commenter, discuter, et se connecter autour de leur star préférée : toute opposition à celle-ci se retrouve remise en question, parfois jusqu’au sang dans son cas à elle.

On est cependant très loin de la “Beyhive” (groupe de fans qui adulent Beyoncé), l’inspiration du show. Si d’autres noyaux de fans hardcore peuvent être plus “féroces” en ligne, le choix de s’intéresser précisément à ceux de la reine des abeilles relève davantage de leur popularité que de leur comportement, comme le soulignait Donald Glover dans une interview du New York Times. Swarm ne peut être considérée comme une “représentation” de la stan culture dans son ensemble, puisqu’il y a autant de fans que de manières de l’être.

Dans cet univers très Atlantesque, les paysages sombres et lancinants du sud des États-Unis sont invités à chaque scène (le tournage a eu lieu en Géorgie), à travers une photographie maîtrisée par Drew Daniels (la série est filmée à l’argentique). Ces contrées chimériques semblent tenir sur un fil : tout peut basculer à n’importe quel moment. Dre se réinvente à chaque stop, à chaque meurtre, espérant faire fi de son passé, qui la rattrape pourtant à chaque fois que la douleur renaît.

La série reprend les codes du rape and revenge, sous-genre controversé au cinéma, en proposant une lecture différente. Ici, la vengeance est loin d’être toujours justifiée et ne nécessite pas de logique. [Spoiler] Dre venge au départ sa sœur en tuant l’homme qu’elle estime responsable de sa mort, mais ce n’est sans doute pas la première fois et ne sera pas non plus la dernière. Après avoir posé la question à sa prochaine victime “Qui est ton artiste préférée ?”, elle se lance dans une diatribe de qui aurait la meilleure voix, qui a gagné le plus de Grammy Awards ou qui a la communauté de fans la plus fidèle. Elle espère ainsi justifier l’unique réponse qu’elle souhaite entendre, sous peine de violence.

En réalité, il ne s’agit pas uniquement de devoir adouber Ni’Jah pour survivre. C’est tout un parterre de considérations qu’elle estime — misogynes, racistes et classistes en termes de culture — envers son artiste préférée et indirectement sur elle-même, qui la mettent en rogne. Ce qui précède cette réponse, souvent sur Internet, compte tout autant pour la suite.

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Internet et la stan culture

Swarm arrive délicatement à tisser une toile entre la stan culture, Internet et la polarisation des idées en ligne. Ou comment chacun y va de son commentaire pour exprimer un avis négatif sur un album ou un artiste, sans prendre en compte le fait que sur le Net, rien ne s’oublie. Cela illustre également la relation tumultueuse que Glover entretient avec son public élargi : il semble hyper-conscient de l’effet rejet/fascination qu’il peut susciter et s’en sert pour infuser une conversation plus large sur nos comportements digitaux.

Ces fans très investis dont fait partie Dre sont les garants d’une autorité autour de Ni’Jah / Beyoncé, afin que leur image ne soit jamais endommagée par celles et ceux qui ne les comprennent pas suffisamment pour émettre un avis constructif. Le plus intéressant avec ces communautés, c’est qu’elles ont un rapport plus ou moins tacite avec leur artiste préféré·e. Ces dernier·ère·s connaissent leur existence, et alimentent leur dévouement de manière subtile : ce sont souvent les premières à avoir les informations publiques et privées de la part de l’équipe, mais aussi à annoncer une nouvelle, parfois avant la presse généraliste. Cette ambivalence est bien montrée dans la série, avec des comportements extrêmes qui sont pardonnés par Ni’jah, qui invitera même Dre à monter sur scène dans le dernier épisode.

Dre fait le choix de tuer les personnes qui s’opposent à sa sœur et à Ni’jah, car ce sont les deux seules personnes qui la comprennent, sans trop de jugement. Cet amour se conjugue avec un désir amoureux et sexuel et se vit souvent à sens unique pour elle, mais lui suffit pour survivre dans un monde où son humanité est constamment remise en question.

Celle-ci a survécu aux violences intrafamiliales, avant d’être baladée de foyer en foyer, pour finalement être rejetée par la famille qu’elle pensait avoir trouvé pour de bon. Sa souffrance se libère à travers son appétence à tuer, mais n’est pourtant jamais réparée comme le démontrent ses crises d’hyperphagie qui soulignent son besoin de compensation par la nourriture. La dimension psychologique de Dre aurait mérité un meilleur développement, mais a-t-on vraiment besoin de connaître tous ces éléments pour “justifier” ou “admettre” sa violence ?

L’horreur n’est pas une fiction

Ce n’est que lors des deux derniers épisodes qu’on en sait plus sur elle. L’un d’eux est même un “bottle episode” qui caricature les reportages télévisés de true crime, laissant le téléspectateur douter sur ce qui relève de la réalité ou de la fiction. C’est sans doute par cet aspect que l’équipe de Swarm est la plus créative et cynique. Comme dans Atlanta, des faits d’actualités et des moments phares du Black Twitter sont mixés pour créer une fiction hybride qui critique une société gangrenée par les fake news, les rumeurs et autres gossips. La réalité de nos vies devient une satire où l’humour noir est roi.

Dans l’épisode où Dre se retrouve dans ce qui apparaît rapidement comme un culte midsommaresque, avec un groupe de femmes blanches, elle fait face à une sorte de miroir. En quoi cette communauté dans laquelle elles se comprennent, ont leur code et une manière de vivre bien calibrée, vouant une dévotion sans faille à la méditation, au bio et à leur prêtresse, est-elle différente de celles des fans de Ni’Jah qui vouent un culte à leur “gourou” préférée ? L’intrigue est inspirée de la véritable secte NXIVM, qui prétendait “aider les femmes à s’empouvoirer à travers du développement personnel”, mais qui étaient en réalité au service d’un maître à penser versé dans l’esclavage sexuel. Le moment où l’une des partisanes attaque Dre en montant sur sa voiture telle une zombie fait également partie d’un événement réel.

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Swarm emprunte constamment à la culture populaire, à ce que nous voyons et consommons quotidiennement. C’est de l’horreur, mais sans sursauts, ni fantasmagorie. C’est la réalité. L’angoisse permanente d’une société gangrenée par son histoire et ses inégalités sociales. Une question demeure tout du long : comment fait-elle pour échapper à la police en tant que femme noire ? Dre est la victime collatérale d’un système défaillant mais reprend le contrôle en passant à travers les filets.

Les seuls moments où sa réelle personnalité transparaît, c’est quand elle parle, écoute, vit pour Ni’Jah. Lorsqu’elle oublie que le monde autour d’elle l’a laissé tomber et que la seule personne qui lui donne un nouvel espoir, c’est cette artiste qui la voit et l’estime, dans toute sa multiplicité.

Ces sept épisodes sont presque une catharsis, une forme de jouissance qui ne dit pas son nom. A-t-elle besoin d’avoir un motif particulier pour user de la violence en tant que femme, noire, pauvre ? La réponse est donnée par la performance hallucinante de Dominique Fishback dont l’historique n’a pas réellement besoin d’être explicité pour permettre la compréhension du drame de sa vie. Son regard, ses gestes, et même sa manière de tuer sont étranges, jamais linéaires, toujours surprenants. On n’a jamais vu tel personnage à l’écran ; voici le plus intéressant, finalement : c’est un cadeau de scénaristes à une actrice qui peut expérimenter et proposer une interprétation unique en son genre. Dominique Fishback est la plus grande réussite de Swarm.

La mini-série Swarm est disponible sur Prime Video.