Steven Soderbergh, réalisateur de Magic Mike, nous raconte pourquoi il vient de faire un troisième volet (qui vaut le détour)

Steven Soderbergh, réalisateur de Magic Mike, nous raconte pourquoi il vient de faire un troisième volet (qui vaut le détour)

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(© Warner Bros.)

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Par Arthur Cios

Publié le

La fin de cette trilogie, qui vient tout juste de sortir chez nous, mérite toute votre attention.

Il y a toujours eu une forme de mépris envers Magic Mike, qui était vu comme un simple film de strip-tease conçu pour émoustiller la ménagère de 40 ou 50 ans. Mépriser cette franchise, c’est mal connaître son auteur, Steven Soderbergh, l’un des meilleurs cinéastes de sa génération : il a décroché une Palme d’Or pour son premier film, alors qu’il n’avait que 26 ans (un record, qu’il partage avec Louis Malle).

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Même dans ses films de commandes, de braquages ou d’action, il y a toujours un sous-texte politique et social et une intelligence de mise en scène rare. Rappelons qu’en plus de réaliser, Soderbergh s’occupe d’un peu tout sur chacun de ses projets, de l’écriture au montage en passant par la photo, le cadre, etc. Erin Brockovich, seule contre tous, Ocean’s Eleven, Traffic, Che, Contagion et tous ses films les plus récents ou moins connus (L’Anglais, Kafka, et plus encore) méritent tous d’être revisités. Magic Mike plus encore.

Après avoir cédé la place à son ami et producteur Gregory Jacobs pour réaliser le deuxième opus, Magic Mike XXL, il revient avec la fin de ce qui est désormais une trilogie : Magic Mike: The Last Dance. Le film se passe de la sortie en salle pour atterrir directement en VOD et en DVD et va explorer un autre aspect de l’art de la danse dénudée : Mike part à Londres afin de mettre en scène un spectacle pour une femme riche.

Derrière ce pitch faussement saugrenu, se cache un vrai spectacle, des défis techniques fous, un message de fond plus appuyé que jamais, et certaines des meilleures scènes de danse de la trilogie. Alors qu’il planche selon ses propres dires actuellement sur deux films de genre (!), l’immense cinéaste nous a malgré tout accordé un entretien au téléphone pour discuter de la genèse du projet, et de sa pertinence aujourd’hui.

Konbini | Pour commencer, c’est un peu évident, mais je voulais savoir : vous avez fait assez peu de suites dans votre carrière. Ce n’est pas vous qui avez réalisé Magic Mike XXL. Pourquoi revenir, faire revivre ce personnage et repasser derrière la caméra ?

Steven Soderbergh | C’est assez simple : j’ai vu la dernière version du live show que Channing Tatum avait fait à Londres. En fait, j’avais conscience du spectacle, ils en parlaient, j’ai vu une version en cours de travail et puis j’ai arrêté d’y penser parce que je n’étais pas impliqué, je faisais un autre film…

Mais quand j’ai vu le filage complet, j’ai été réellement impressionné. C’était vraiment la parfaite continuité de Magic Mike. Je suis rentré à l’hôtel et j’ai appelé tout le monde aux États-Unis en disant : “Je veux faire un film sur Mike qui fait un show comme ça”, du genre de Que le spectacle commence, mais avec Mike. Tout le monde m’a dit OK.

En fait, je pense qu’on a tous, parmi les nombreuses idées qu’on a eues, vu une opportunité de faire quelque chose d’inédit par rapport aux deux précédents, à savoir d’avoir Mike en couple dans le film. Dans le premier, c’est sur le point de démarrer, et dans le deuxième, sa relation se clôt avant. Donc c’était la première fois qu’on avait ça et on a construit le personnage de Salma Hayek pour ça. Ça nous intéressait vachement.

C’était quand, précisément ?

Avant le Covid, en 2018. Ça a pris du temps parce que j’avais des films à finir avant, puis il fallait voir avec le planning de Channing. Et puis, on a quand même passé neuf ou dix mois pour écrire le script. Comme tout le monde, on a perdu beaucoup de temps avec le confinement.

J’aime beaucoup le fait que dans ce film, vous poussiez plus loin encore l’idée que Mike est un artiste. Pas juste un strip-teaseur. C’était déjà le cas dans les précédents, mais là, il devient carrément le chef d’orchestre d’un spectacle dans un théâtre londonien. Vous avez un respect pour lui et cet art que je trouve assez beau.

Oui, c’est vrai. En fait, j’aime les films sur les processus créatifs et j’aime que ce film parle de la résolution d’un problème dans la création. Je vais vous dire : ma scène préférée, c’est quand ils s’engueulent sur certaines scènes qui devraient ou non être dans le spectacle, ce qui est bon ou pas encore assez bon. C’est comme ça qu’on crée, en fait. On travaille avec des gens et on a des discussions sur comment améliorer ce qu’on est en train de faire. C’est une culmination de tout ce que j’aime, l’aspect procédural, la résolution de problèmes. Le tout avec des séquences de danses [rires].

Parce qu’il faut aussi dire que c’est ce que j’ai fait de plus proche d’une vraie comédie musicale. J’étais restreint puisque toute la danse se déroule dans un même théâtre, mais j’ai pu m’amuser là-dessus.

Il y a aussi une connexion à faire sur le fait de représenter le désir féminin, ce que vous avez toujours fait, depuis votre tout premier film (Sexe, Mensonges et Vidéo), et qui va plus loin encore que les autres Magic Mike, grâce au personnage incarné par Salma Hayek.

C’est intéressant. Oui, on peut faire une ligne directe avec mon premier film, c’est très constant. Ici, on était contents d’ajouter du mysticisme, du fantasme érotique et d’avoir un personnage qui exprime ce que c’est, être une femme dans la cinquantaine, divorcée mais avec une sexualité.

Ça passe par une première danse, qui est donc la fameuse “Last Dance” de Mike, qui est peut-être la plus sensuelle et sexuelle de la trilogie. Ce qui est presque devenu rare au cinéma, de jouer de la sensualité pour la rendre sexuelle sans montrer d’acte à proprement parler.

C’est très bizarre que les films semblent être perdus sur la manière de montrer la sexualité adulte. Vous avez raison, il n’est pas question de montrer deux adultes faisant l’amour, mais plutôt quelque chose qui est sexy, l’attraction sexuelle. J’aurais aimé vous donner une raison, je ne sais pas si c’est parce que maintenant, on a accès à de la sexualité frontale sur Internet très facilement, à des films pornographiques sur portable. L’audience ne trouve plus ça très spécial peut-être, mais c’est très bizarre.

Moi, j’étais très excité par cette première danse, parce que si on l’exécutait bien, elle serait vraiment très sexy, même si Channing est en caleçon et pas nu. Ils demeurent très intimes et on n’est pas habitués à voir des stars aussi proches pour des séquences aussi longues. Pour être honnête, j’étais inquiet, quand j’ai vu les premières chorégraphies, que Salma trouve que c’était trop pour elle. J’ai dû partir pour vérifier des endroits où l’on allait tourner, quitter le plateau quelques heures, et, quand je suis revenu, Salma était là et a fait encore pire. C’est elle qui disait qu’elle voulait aller plus loin, qu’elle voulait lui bander les yeux. La dernière partie, c’était elle ! Je trouve ça formidable, parce qu’elle trouve qu’elle a besoin de prendre contrôle, elle accepte qu’il danse sur elle, mais elle doit prendre contrôle. C’est une posture importante pour la caractériser pour la suite du récit et pour ce que ça raconte de politique aussi.

Est-ce que Channing a apprécié le fait de moins danser et d’être le chef d’orchestre ?

Oh, il a adoré jouer le réalisateur, bien sûr ! Mais ceci étant dit, pour la scène avec l’eau sur scène, il s’est entraîné pendant des mois, parce qu’une blessure est vite arrivée. Il soulève son binôme, la retourne et c’est millimétré. J’avais peur qu’ils se blessent, même pendant les répétitions, vu qu’on n’avait qu’un jour de tournage…

Un seul jour pour cette longue séquence ?

Oui ! Ils ne pouvaient le faire que par sections, qu’ils ne pouvaient faire que deux ou trois fois, donc je devais faire attention à tout le monde parce que c’était trop fatigant. En fait, on a été très chanceux de le faire parfaitement et que personne n’ait été blessé. Même moi, j’étais fatigué [rires].

Oui, parce que vous aimez être derrière la caméra à chaque fois, mais cette séquence est hyper-mobile, sous l’eau. Vous avez fait comment concrètement ?

On a construit une espèce de petit tabouret avec six roues, pour me déplacer autour de la scène et pour permettre que pendant les danses, j’aie la caméra sur les épaules près du sol. Quand ça devenait trop physique, ça tournait autour. Malheureusement, dès la toute première prise de la scène aquatique, la protection a pris l’eau donc j’étais trempé, de partout, vraiment. Donc je n’ai rien pu faire pendant neuf heures. Je suis bête [rires].

Pourquoi c’est aussi important pour vous, cette implication, notamment le fait d’être en permanence la personne qui opère la caméra ?

Comme je l’ai toujours fait depuis le tout début, je ne crois pas que je ne pourrais faire autrement. Et puis, je veux une relation intime avec les acteurs et le fait que je sois derrière la caméra… Ils savent que lorsqu’ils font des scènes techniques et difficiles, je suis juste là, je les vois de près, pas au loin derrière un moniteur. Je trouve qu’on est plus connectés. La scène de la danse sous l’eau, je suis quasiment dans la scène. Quand il faut plus d’énergie, je crois que ça aide.

Il y avait, évidemment, dès le premier un commentaire social et politique. Qu’en est-il ici selon vous ?

Depuis toujours, je suis curieux d’aborder la question de ce que les gens font pour gagner de l’argent, quand ils en ont peu et comment ça influence leur choix. C’est une chose à laquelle on pense beaucoup. On passe une bonne partie de notre temps à se demander si on a assez d’argent pour manger, vivre, payer son loyer, ses fringues, boire des verres avec ses amis. Or, les films contemporains avec les gens normaux ne cherchent pas souvent à savoir comment ce facteur impacte notre bonheur.

Ici, partir à Londres était une manière de faire un show dans une société qui n’est pas très ouverte à ça. On s’est dit qu’on verrait plus les problèmes de classes à Londres qu’à New York, c’était un choix très conscient — sans doute également influencé par le fait que j’ai vu le show à Londres, c’est vrai.

C’est sans parler de la différence entre les deux dans le couple, elle qui est riche et habituée à ce que tout le monde fasse ce qu’elle veut et lui qui veut faire son art. J’aime cette dynamique, ce pouvoir et le fait qu’elle essaye de comprendre, de gérer l’attirance et le professionnel dans cette relation de pouvoir.

Pour conclure, c’est la fin d’une trilogie. Quand vous avez attaqué le premier film, est-ce que vous imaginiez que ça puisse être un tel succès, devenir aussi culte et important et avoir deux suites ?

Pour être honnête, oui, je pensais que ça pouvait marcher. En fait, quand Channing m’a dit pendant le tournage de Piégée qu’il développait ou essayait de faire un film sur sa vie de stripper quand il avait 19 ans, je lui ai directement dit que c’était incroyable, mais il n’avait pas d’histoire. Je lui ai dit de se concentrer sur ça, que ça pouvait être Saturday Night Fever, que c’était de l’or.

Un an plus tard, il m’a appelé pour me demander si j’aime toujours l’idée, parce que les réalisateurs qui étaient attachés au projet l’avaient lâché, donc j’ai dit oui direct. On a tourné un petit teaser de Channing dans une baignoire en train de se raser les jambes, pour l’emmener à Cannes, histoire de trouver un peu plus de budget que ce qu’on mettait Channing et moi déjà sur la table, pour le tourner en septembre. Donc oui, j’y ai toujours cru.

Par contre, malgré le succès, je ne pensais pas que lorsque je bossais sur le premier, Channing m’aurait raconté l’histoire d’un trajet jusqu’à la convention des strip-teaseurs. Je me souviens lui avoir dit “C’est trop gros, c’est un autre film, on doit se concentrer sur cette histoire d’abord”. Donc l’idée de la convention a ressurgi, mais on aurait pu ne jamais le faire.

Magic Mike : The Last Dance est disponible en DVD, et en ligne en VOD.