Safaa Khatib a documenté l’évasion de tresses palestiniennes d’une prison israélienne

Safaa Khatib a documenté l’évasion de tresses palestiniennes d’une prison israélienne

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© Safaa Khatib

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Par Lise Lanot

Publié le , modifié le

Par hasard, Safaa Khatib s’est retrouvée en possession d’un tas de cheveux symbolisant résistance, sororité et solidarité.

En 2018, l’artiste Safaa Khatib s’est vu offrir un cadeau particulier. Précieusement conservé dans du papier journal, c’est “un tas de tresses” que découvre l’artiste dans le salon de L., alors récemment libérée d’une longue peine de prison. “J’étais sous le choc, j’ai commencé à pleurer alors que je ne connaissais même pas l’histoire”, nous confie-t-elle au téléphone. Entre ses mains, ce sont les cheveux de détenues palestiniennes mineures qui ont décidé de se raser la tête après avoir entendu une annonce concernant des dons de cheveux pour des femmes atteintes du cancer.

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Safaa Khatib n’avait pas entendu parler de cette évasion de cheveux avant de rencontrer L. À vrai dire, personne n’en avait entendu parler puisque l’opération avait été menée dans le plus grand des secrets au sein de la prison israélienne de Hasharon où sont enfermées des femmes et jeunes filles pour “raisons politiques”. Si l’artiste s’est retrouvée dans le salon de L., c’est parce qu’elle ne pouvait se défaire des images de jeunes filles de son âge qui se retrouvaient en prison parce qu’elles vivaient en territoire occupé.

“Je faisais ma licence à Jérusalem et je voyais tout le temps les autorités israéliennes tirer et emprisonner des mineures. Puis, je suis partie à Paris et je ne pouvais m’empêcher de penser à ces filles qui vivaient à une heure de vol de moi et étaient détenues juste à cause de l’occupation. Je pensais à ma vie, à la leur, ça tournait en boucle dans ma tête. Je voulais faire quelque chose mais je ne savais pas vraiment quoi”, se remémore Safaa Khatib.

The Braids Rebellion, 2018. (© Safaa Khatib)

Elle entame des recherches, collecte les noms de détenues, rencontre leurs familles, contacte des responsables palestinien·ne·s. C’est au cours de ses recherches qu’elle rencontre L., tout juste libérée après vingt années passées en prison. Cela faisait plusieurs mois que L. conservait les tresses, exfiltrées à sa sortie, mais qu’elle n’osait en faire quelque chose, encore traumatisée de ses deux décennies enfermée. C’est donc Safaa Khatib qui se retrouve en possession de ces mèches de cheveux enveloppées dans les journaux créés par les prisonnières elles-mêmes : “Elles concevaient tout : elles faisaient des dessins magnifiques, écrivaient des articles, donnaient des conseils de beauté”, décrit l’artiste.

“Ces jeunes femmes sont toujours en prison, elles souffrent, mais elles nous transmettent un message très important”

Touchée par ce don, Safaa Khatib hésite longuement quant à la marche à suivre. Elle ne veut pas “montrer les tresses comme des œuvres d’art, ce n’était pas éthique et ces femmes ne s’étaient pas coupé les cheveux pour qu’ils soient exposés dans une galerie”. Mais, tout de même, elle souhaite mettre en lumière la générosité des détenues et leur histoire. Avant de faire don des tresses, nouées par des rubans roses brodés, au centre Dunya contre le cancer du sein de Ramallah, elle les photographie.

“Je ne voulais pas faire des images normales. L’objectif de l’appareil photo représentait une frontière supplémentaire entre le public et les filles. Je voulais supprimer le plus de couches possible donc j’ai décidé d’utiliser un scanner. J’ai éteint toutes les lumières et je n’ai pas fermé le couvercle du scanner. J’ai scanné les tresses pour supprimer les distances avec les filles. Le noir représente la mort, la lumière représente la vie et les tresses sont entre deux. Les jeunes femmes et leur famille étaient d’accord, on communiquait sur le sujet. […] 

Je ne voulais surtout pas les montrer comme des victimes, mais comme des gagnantes, des combattantes. Je ne voulais pas montrer quelque chose de victimaire, bien que nous sommes des victimes, il faut regarder la réalité en face, mais si on laisse l’occupation nous contrôler, on va échouer. […] Ces jeunes femmes sont toujours en prison, elles souffrent, mais elles nous transmettent un message très important : on ne doit pas laisser l’occupation nous manger, on doit se soutenir, se battre ensemble.”

The Braids Rebellion, 2018. (© Safaa Khatib)

“En Palestine, notre corps est un outil de résistance”

Afin de mettre en lumière les injustices subies par ces adolescentes, Safaa Khatib agrémente ses photographies de témoignages de leurs familles. Elle enregistre les paroles entendues à la radio, plateforme où les proches peuvent faire passer des messages aux absentes. “J’ai collecté ces mots entendus à la radio parce qu’ils sont très touchants : c’est à la radio qu’elles entendent leur famille et c’est aussi à la radio qu’elles avaient entendu la publicité pour le don de cheveux. Elles ne peuvent pas communiquer, elles ne peuvent qu’écouter.”

Safaa Khatib souligne les multiples formes de résistance visibles à travers cette initiative : “Le cancer prend deux formes. Il y a la maladie, mais il y a aussi le cancer sous la forme de l’occupation, qui dévore nos corps, notre espace mental. En Palestine, notre corps est un outil de résistance”. Cette résistance ne peut que forcer l’admiration.

The Braids Rebellion, 2018. (© Safaa Khatib)

“Elles se trouvent dans une position de faiblesse, c’est nous qui devrions ressentir de l’empathie pour elles et non le contraire, mais elles nous montrent toute leur force, même derrière des barreaux. Elles utilisent leurs corps pour aider d’autres femmes. C’est tellement puissant. Elles choisissent la vie, elles la défendent coûte que coûte. Elles ont combattu deux sortes de cancer : l’occupation et le diagnostic médical à travers un acte simple de résistance et de solidarité. Elles ont fait le truc le plus noble que j’ai jamais vu”, insiste l’artiste.

Avant d’exposer son travail à l’Institut du monde arabe, Safaa Khatib a exposé son triptyque photographique à Ramallah : “Les familles sont venues, c’était un moment magnifique.” Avant de raccrocher, elle a à cœur de rappeler que l’important ne réside pas dans son projet, mais bien dans l’initiative de ces femmes : “Je ne suis qu’une messagère. Ces femmes sont mes sœurs donc c’est ma cause, notre cause, la cause de mon peuple. À quoi sert, l’art, si on ne peut pas transmettre des messages grâce à lui ?”

Vous pouvez retrouver le travail de Safaa Khatib sur son compte Instagram. L’exposition “Ce que la Palestine apporte au monde” est visible à l’Institut du monde arabe jusqu’au 19 novembre 2023.