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Résistance, communauté noire LGBTQIA+, amour et violences… Zanele Muholi en 8 œuvres puissantes

Résistance, communauté noire LGBTQIA+, amour et violences… Zanele Muholi en 8 œuvres puissantes

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© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York

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Par Lise Lanot

Publié le

Refusant de séparer art et activisme, Zanele Muholi célèbre les existences de personnes marginalisées et dénonce les violences racistes et LGBTphobes.

Malgré sa renommée internationale et son œuvre dense, Zanele Muholi n’avait pas encore été célébré·e en grande pompe sur le territoire français. Cela est désormais réparé grâce à la grande rétrospective que lui consacre la Maison européenne de la photographie (MEP) jusqu’au 21 mai prochain.

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Le musée parisien a réuni entre ses murs des centaines d’images issues d’une dizaine de séries, entamées pour les premières il y a une vingtaine d’années. Depuis ses débuts, Zanele Muholi met en lumière les quotidiens et les violences subies par les personnes marginalisées, notamment les communautés queers noires en Afrique du Sud, pays d’origine de l’artiste.

Se définissant comme un·e “activiste visuel·le”, iel a à cœur de raconter son histoire et celles des personnes qui lui ressemblent, loin des récits souillés par l’apartheid, le racisme et la LGBTphobie. Ses portraits, forts et symboliques, sont chargés d’une mission commune : montrer les résistances et les souffrances tout en célébrant les existences et les espoirs d’individus qui œuvrent pour un bien commun.

Quand Zanele Muholi exposait son propre sang menstruel pour dénoncer

Les règles I, 2005. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

La photo pourrait être banale, prise à hauteur de regard, en direction du sol, sans attribut vestimentaire, décor ni mise en scène. Mais derrière cette apparente simplicité se cachent violences, tabous et débats de société. Entre les pieds de l’artiste, un mouchoir taché de sang menstruel se révèle sous une lumière crue qui transforme l’élément en un objet d’étude réifié. Bien que peu taché, il cristallise toute la colère, la peur et le refus de certain·e·s de regarder dans les yeux ce sang, pourtant naturel.

En plus de mettre en lumière ce sang que la plupart ne saurait voir, Zanele Muholi rappelle à travers ce cliché que les menstruations “peuvent également créer de la détresse chez les femmes et les hommes transgenres ainsi que les personnes non binaires”, tel que le note la MEP. En immortalisant ainsi son propre sang menstruel, Zanele Muholi ne veut pas mettre sa propre expérience au centre des regards.

Iel exhume plutôt, en une image, “la douleur des nombreuses femmes et filles violées dans nos communautés”, sachant que l’Afrique du Sud est tristement célèbre pour son taux, un des plus hauts du monde, d’agressions sexuelles par jour (près de 42 300 viols ont eu lieu dans le pays en 2023 selon le World Population Review).

Quand Zanele Muholi se réappropriait le test raciste du crayon

Nolwazi II, Nuoro, Italie, 2015. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

Derrière ce portrait qui pourrait faire partie d’un édito mode sophistiqué, Zanele Muholi immortalise une des façons qu’avait le gouvernement sud-africain de classer sa population et de déshumaniser toute personne n’étant pas blanche pendant l’apartheid. Ici, c’est plus précisément le “test du crayon” que l’artiste mobilise.

En coinçant de nombreux crayons dans sa coiffure, iel rappelle que le gouvernement enfonçait des stylos dans les cheveux d’individus afin de discriminer les personnes noires. “Si le crayon tombait, indiquant que les cheveux étaient raides plutôt que frisés, crépus ou bouclés, la personne était ‘classée’ comme blanche”, explique la MEP.

La photo fait partie d’une série d’autoportraits en noir et blanc débutée en 2012 et intitulée Somnyama Ngonyama (“Salut à toi, lionne noire” en zoulou). Zanele Muholi y a accentué les contrastes afin de foncer la couleur de sa peau et de se “réapproprier [sa] blackness” tout en fixant droit dans les yeux son public, dont une partie est composée de regards blancs qui ont fantasmé, façonné et régi la “blackness” d’autrui.

Quand Zanele Muholi mettait en lumière les blessures des survivant·e·s de crimes haineux

Aftermath, 2004. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

Intitulée “Aftermath”, cette photo fait partie de sa série Only Half the Picture (“Seulement la moitié de l’image”), un titre explicite pour ces images qui cachent les visages et préservent l’anonymat de ses “participant·e·s”, des “survivant·e·s de crimes haineux vivant à travers l’Afrique du Sud et ses townships”.

La photographie présente une vue de corps zoomée entre le nombril et les genoux. Sur la cuisse court une large cicatrice claire, qui se détache particulièrement en noir et blanc. Les mains croisées du sujet, devant son entrejambe, forment un bouclier symbolisant le danger qui pèse sur son existence à cause de son identité de genre et/ou son orientation sexuelle.

Dans leur ensemble, ces photos en noir et blanc sont difficiles à soutenir. Elles ne tombent cependant ni dans le voyeurisme, ni dans la pitié. Emplies de respect, elles mettent en exergue les nombreuses violences subies par la communauté noire LGBTQIA+ en Afrique du Sud mais aussi la solidarité, l’amour et la bienveillance qui s’y développent en réponse.

Quand Zanele Muholi rendait un hommage fort à son frère disparu

Mfana, Londres, 2014. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

Le frère de Zanele Muholi a perdu la vie dans un accident de voiture alors qu’il n’avait que 20 ans. Cet autoportrait, intitulé “Mfana” (“garçon” en zoulou) est “une ode” à ce frère disparu. L’artiste y fixe l’objectif, le regard lourd, le buste apparemment dénudé.

Iel y convoque l’esprit de son frère tout en honorant leurs ressemblances. Ainsi est célébré le pouvoir de la photographie, qui ne nécessite pas de visages, de lieux ou de décors précis pour conter une existence. En photographie, quand prime l’intention, le sous-texte peut rayonner.

Quand Zanele Muholi rendait hommage à sa mère

Bester I, Mayotte. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

Paradoxalement, Zanele Muholi se montre peu dans ses autoportraits. Iel rend plutôt hommage à des personnalités de la communauté queer sud-africaine, à des proches ou à des membres de sa famille. Plusieurs de ses autoportraits rendent hommage à sa mère, Bester, et, par la même occasion, aux personnes ayant le même métier qu’elle, employée de maison.

La symbolique des autoportraits contrastés de l’artiste est souvent accentuée par des objets et accessoires minutieusement choisis et réinterprétés par ses soins. Ici, des pinces à linge représentent “le travail domestique de Bester” et sont réarrangées afin d’être transformées en couronne.

Quand Zanele Muholi célébrait des reines de beauté LGBTQIA+

Candice Nkosi, Durban, 2020. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

Depuis 2014, Zanele Muholi s’attelle à mettre en lumière les Brave Beauties, ces candidat·e·s qui participent à des concours de beauté queers, risquant leur sécurité pour offrir un peu plus de représentation aux personnes LGBTQIA+, et créent des “espaces de résistance”, note la MEP. L’artiste a notamment photographié des participant·e·s à Miss Gay Afrique du Sud.

Est ici immortalisée Candice Nkosi, ancienne reine 2019 qui pose à Durban, ville de bord de mer située à l’est du pays. La MEP souligne que Zanele Muholi a souvent fait poser ses “participant·e·s” sur la plage de Durban, connue pour ses zones ségréguées durant l’apartheid, “comme une façon de s’approprier les lieux à nouveau”.

Dans Brave Beauties, les reines posent fièrement, le regard assuré et la pose majestueuse, comme “pour une couverture de magazine”. Ce faisant, Zanele Muholi interroge la possibilité qu’une personne transgenre puisse, un jour, faire la une d’un journal sud-africain.

… et plus de 20 ans de militantisme

Busi Sigasa Braamfontein, Johannesburg, 2006. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

La carrière photographique de Zanele Muholi est indissociable de son militantisme. Depuis 2006, sa série Faces and Phases accumule des portraits de personnes LGBTQIA+ noires. C’est la mort de la poète et militante Busi Sigasa, survenue à ses 25 ans, huit mois après que ce portrait a été pris, qui a motivé l’élaboration de ce projet.

“Confronté·e aux réalités de la perte et de la douleur, j’ai entamé un long processus consistant à photographier en noir et blanc les lesbiennes et hommes transgenres noir·e·s qui m’entouraient”, rembobine l’artiste. Busi Sigasa était une survivante d’un viol homophobe “correctif”, un crime répandu en Afrique du Sud décrivant l’agression sexuelle de personnes queers pour les “guérir” de leur orientation sexuelle.

Son regard grave, fixé vers un horizon invisible du public, cet arrière-plan vaste et flou, ainsi que son poème qui accompagne le portrait (intitulé “Remember Me When I’m Gone”) composent de funestes présages du destin de Busi Sigasa.

Quand Zanele Muholi mettait à l’honneur l’amour

Katlego Mashiloane et Nosipho Lavuta, Ext. 2, Lakeside, Johannesburg, 2007. (© Zanele Muholi/Stevenson, Le Cap/Johannesburg et Yancey Richardson, New York)

Zanele Muholi ne montre pas seulement les douleurs et violences subies par les personnes LGBTQIA+. Avide de représentations, iel est aussi à l’origine de Being, une série qui met en lumière des couples queers dans leur intimité. Pour ce projet, l’artiste s’est taillé·e une place discrète, où iel tente d’effacer son regard afin de présenter sans artifice le quotidien de ces amoureux·ses. La série, détaille la MEP, “dénonce l’idée reçue selon laquelle l’homosexualité serait ‘non africaine’, issue en partie de la croyance faisant de cette orientation sexuelle une importation coloniale en Afrique”.

Pour une de ses images, l’artiste a d’ailleurs enduit de vaseline l’objectif de son appareil photo “pour créer une sensation cinématographique”. Ici encore, Zanele Muholi tente de se débarrasser des regards blancs coloniaux et de permettre une réappropriation des corps, des émotions et des représentations.

“Depuis l’esclavage et le colonialisme, les images des femmes africaines ont été exploitées pour propager l’hétérosexualité et le patriarcat blanc. Ces systèmes de pouvoir ont tellement organisé notre vie quotidienne qu’il est devenu difficile de nous représenter telles que nous sommes dans nos communautés respectives. Les images que nous voyons reposent sur des oppositions qui nous ont été inculquées depuis longtemps (hétérosexuel/homosexuel, masculin/féminin, Africain/non Africain)”, explicite l’artiste.

L’exposition sur Zanele Muholi est visible à la Maison européenne de la photographie, à Paris, jusqu’au 21 mai 2023.

Konbini, partenaire de la Maison européenne de la photographie.