SOS Racisme accuse un festival de metal viking “d’apologie de crimes contre l’humanité”

SOS Racisme accuse un festival de metal viking “d’apologie de crimes contre l’humanité”

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Nokturnal Mortum, formation réputée sulfureuse de black metal underground, aujourd’hui cible de SOS Racisme (© Dezidor/Commons)

SOS Racisme accuse le Ragnard Rock Festival d’inviter des groupes à l’idéologie tendancieuse. De son côté, le festival se défend de faire de la politique.

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Le Ragnard Rock Festival est un festival de musique metal qui doit avoir lieu du 21 au 24 juillet, à Simandre-sur-Suran (Ain). Jusque-là tout va bien, si ce n’est qu’avec sa programmation black metal et viking metal en acier trempé, le festival devrait faire la joie des fans de ces sous-genres de la grande famille metal.

C’était sans compter sur une polémique qui menace la tenue de l’événement : SOS Racisme accuse le festival d’avoir invité des groupes “faisant l’apologie de crimes contre l’humanité et incitant à la haine raciale”.

L’association cite explicitement quatre formations : Naer Mataron, Nokturnal Mortum, Malepeste, ainsi que Graveland, dont c’est le premier concert en France. L’association a saisi le préfet de l’Ain, Laurent Touvet, “afin que des mesures d’enquête et d’interdiction soient mises en œuvre en urgence”, comme elle l’explique dans un communiqué à charge, publié le 7 juillet. SOS Racisme appuie ses accusations sur des paroles de chansons et des photos, dans les cas de Nokturnal Mortum et Graveland.

Pour le groupe ukrainien Nokturnal Mortum, il s’agit d’une ligne de chant de “The Call of Aryan Spirit”, un titre enregistré en 1999 :

“Spit in jewish faces, cut them into pieces” (soit “cracher à la gueule des Juifs, les découper en morceaux”).

Dans le metal, une tradition de paroles violentes

Choquantes lorsqu’on les sort de leur contexte, et sans vouloir les excuser, les paroles de cette (vieille) chanson de Nokturnal Mortum s’inscrivent néanmoins dans la lignée de celles du genre : radicales et provocatrices, les paroles de metal tirent parfois volontairement vers le mauvais goût et la violence, quitte à choquer.

Prenons pour exemple le titre “Christians to the lions” (“Jetez les chrétiens aux lions”) du groupe polonais Behemoth, charge en règle contre les croyants. Or ce groupe est un modèle de succès underground et son chanteur a été juré de The Voice en Pologne.

Mieux encore, les paroles du titre “No Remorse”, de Metallica, en 1983, à peine moins agressives :

“Only the strong survive
No one to save the weaker race
We are ready to kill all comers
Like a loaded gun right at your face”

Traduction :
“Seuls les forts survivent
Personne pour sauver la race la plus faible
Nous sommes prêts à tuer tous ceux qui s’y frottent
Un pistolet chargé braqué sur ton visage”

Autre cas, celui de Graveland dont de vieilles photos sur Google Images montrent deux membres poser en effectuant un salut nazi. Sans nier ces faits accablants, le festival se contente de répondre dans un communiqué que le groupe “est actuellement très loin de ses erreurs de jeunesse”.

Qu’en est-il vraiment ? Auparavant signé sur Resistance, label américain aux liens étroits avec les suprémacistes blancs de la National Alliance, le groupe a effectivement flirté avec des idéologies extrémistes. Dans une interview de 1998, son leader Rob Darken déclarait : “Je n’écrirai jamais de paroles de chanson douces si c’est juste pour faire en sorte que les gens faibles se sentent bien”. Au demeurant, les paroles du groupe n’ont rien à voir avec des tracts néo-nazis. Si elles font référence à un passé fantasmé de l’Europe païenne, elles n’appellent pas à la haine.

Tous deux cités dans le communiqué de SOS Racisme, les cas des groupes Malepeste et Naer Mataron ne sont pas évoqués dans le détail. Mais on a notre petite idée pour le second des deux groupes, célèbre pour être celui de Georgios Germenis, aka Kaiadas, député d’Aube dorée en Grèce – parti d’extrême droite associé à la mouvance néo-nazie. Là encore, pas de trace de paroles nazies dans les paroles du groupe.

Le groupe Malepeste se sent “pris en otage”

En revanche, en ce qui concerne Malepeste, jeune groupe lyonnais formé en 2010, c’est plus mystérieux. “C’est incompréhensible pour nous de nous retrouver là, indique son guitariste, Xahaal. Nous avons le sentiment d’avoir été pris en otage arbitrairement. Nos paroles n’ont absolument rien de raciste voir même de haineux.”

Le musicien ajoute que ce communiqué de SOS Racisme leur portera préjudice à l’avenir :

“À cause de cette association qui n’est pas allée vérifier ses sources et a sorti notre nom on ne sait comment, nous allons être catégorisés comme un groupe aux tendances politiques extrémistes par tous ceux qui n’iront pas chercher plus loin…”

Devant l’ampleur des accusations de SOS Racisme, la Compagnie d’Edoras, organisatrice de l’événement, a répondu dans un communiqué publié sur le site Horns Up se déclarer “apolitique, ses membres d’origines diverses”. Il dit limiter son rôle à l’organisation d’un “festival de musique metal où toutes les sensibilités artistiques sont représentées”.

Forte de l’organisation d’une première édition où s’était déjà produit Nokturnal Mortum en 2015, l’équipe revendique un public “multiculturel” et “familial”, réunissant 10 000 personnes sur trois jours. Le groupe pointé du doigt par SOS Racisme s’était produit “sans créer le moindre problème, ni faire du festival une tribune pro-nazie”, affirme le festival.

Le Progrès, présent pour la première édition du festival, atteste de l’ambiance pacifique de l’édition 2015 : “l’événement s’était déroulé dans une ambiance clean et bon enfant que lui envieraient certains matches de foot”, écrit le journal.

Contacté par le Huffington Post, le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, estime néanmoins que “la liberté d’expression ne peut pas être invoquée quand elle met en danger des populations ou des personnes en particulier. Dans notre droit, il y a des limites à cette liberté, on ne peut pas appeler à tuer quelqu’un. Eh bien, là, c’est un appel public à la haine”.

“S’il faut disséquer l’histoire de tous les musiciens, on n’en sort plus”

En février, Franco Giannelli, l’un des organisateurs, devait se défendre dans le Progrès, qui pointait du doigt les affinités pour l’extrême droite de certains groupes de la programmation : “Ceux que vous citez donnent des concerts partout, sans que cela pose problème. Nulle part, il n’y a volonté de prôner des idées aussi abjectes. S’il faut disséquer l’histoire de tous les musiciens, on n’en sort plus”, se défendait-il.

La préfecture de l’Ain indique à Konbini qu’elle a bien reçu la demande de SOS Racisme, qu’elle l’étudiera avec attention et y répondra “dans les meilleurs délais”. On attend la suite de cet imbroglio avec impatience.