À Cannes, il n’y a pas que la Palme d’or. En parallèle de la Compétition officielle, des sections non compétitives comme la Quinzaine des réalisateurs ou la Semaine de la critique proposent, durant tout le festival, une programmation riche et éclectique de cinéastes moins médiatisés mais dont le travail gagne à être connu.
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Pour faire rayonner sa sélection hors des murs de la Croisette, la Quinzaine des réalisateurs proposera à la rentrée une reprise des longs et courts-métrages qu’elle a sélectionnés quelques semaines après la fin du Festival au Forum des images. En prévision, voici cinq pépites repérées par la rédaction à rattraper du 26 août au 5 septembre prochain.
Medusa
(© Wayna Pitch)
Second long-métrage de la réalisatrice brésilienne Anita Rocha da Silveira, Medusa est une claque envoyée en pleine figure des spectateurs. En s’inspirant d’un fait réel, celui de gangs de filles évangélistes qui punissent les pécheresses lors de raid ultra-violents, Medusa dépeint un Brésil gangrené pas l’extrémisme religieux.
La nuit, ses héroïnes sèment la terreur dans les rues de la ville, masquées et déchaînées. Le jour, elles sont “Michelle et les précieuses”, performent des tubes niais dans l’église du pasteur Guilherme, esthétisée au néon rose bonbon et dispensent des tutos YouTube d’influenceuses beauté pour brainwasher leur audimat. C’est lorsqu’une victime de leur barbarie va devenir le bourreau et défigurer la “douce” Mari, l’une des Michelles, que la rébellion va gagner les rangs. Chacune à leur tour, au son du hurlement de Médée devenu cri de ralliement, elles se libéreront de leurs chaînes.
En réinterprétant le mythe de Médée façon Mean Girl sous influence Dario Argento, Anita Rocha da Silveira livre un film de genre réussi et une fable féministe glauque, puissante et engagée.
Ouistreham
Pour son nouveau roman qui porte sur la précarité sociale, Marianne Winckler déménage à Caen et se coupe de son entourage pour composer une couverture dans l’espoir d’intégrer une équipe de femmes de ménage. Difficilement, elle va s’immiscer dans leur quotidien, entre levées aux aurores, patrons imbuvables et gestes de propreté protocolaires. Au cours de son enquête, Marianne Winckler devient témoin privilégié des galères et des joies de ces travailleuses de l’ombre tout en étant tiraillée par ses propres mensonges.
Campé par une impressionnante Juliette Binoche, le personnage de cette autrice s’inspire librement de Florence Aubenas. Connue pour avoir été retenue en otage pendant cinq mois lors d’un reportage en Irak, la journaliste avait aussi publié Le Quai de Ouistreham en 2010. En s’emparant de cette histoire étonnante, Emmanuel Carrère signe un drame social puissant qui interroge les frontières déontologiques dans le milieu du journalisme.
Entre les vagues
(© Wayna Pitch)
Jeune réalisatrice prometteuse, Anaïs Volpé a vu son premier long-métrage être sélectionné à la Quinzaine. Entre les vagues, qui n’évoque pourtant en rien les vagues épidémiques successives du Covid-19, a été réalisé entre deux confinements. Tourné dans l’urgence sur fond de restrictions sanitaires, son drame est empreint d’une énergie propice à cette production unique.
Entre les vagues ausculte la relation amicale de deux amies férues de théâtre, interprétées par Souheila Yacoub (puissante dans Climax ou Les Sauvages) et Déborah Lukumuena (l’étoile de Divines). Lorsque l’une est prise pour interpréter le rôle principal d’une pièce, l’autre est amenée à faire sa doublure. Solidaires et appliquées, les deux amies vont se stimuler pour servir au mieux ce personnage qu’elles partagent, jusqu’à ce que l’une d’entre elles lutte contre son système immunitaire défaillant, offrant à l’autre l’opportunité de briller.
Les Magnétiques
“Un film qui se déroule pendant l’émergence des radios libres” : voilà à peu près comment nous a été présenté Les Magnétiques, le tout premier film de Vincent Maël Cardona, avant de mettre un pied sous les palmiers de Cannes et dans la salle de la Quinzaine.
Si cette notification permet de mieux contextualiser l’histoire comme l’époque – le scénario débute alors que François Mitterrand est élu président de la République en 1981 – on suit avant tout une âme en peine, Philippe, qui va progressivement s’ouvrir à la vie, aux rencontres, et à l’amour. Ce dernier est non seulement le producteur d’une émission de radio, mais le frère (toujours dans l’ombre) du mec qui l’anime, Jérôme.
Entre une histoire d’amour impossible, un service militaire salvateur et la découverte de l’autre, Vincent Maël Cardona propose un long-métrage attachant et mélancolique, bercé par une bande-son parfaitement choisie et des séquences lumineuses qui ont le don de créer des instants suspendus propices à l’humour ou à la réflexion sur un personnage en quête perpétuelle de son identité.
The Souvenir
Julie est jeune, brillante, étudiante en école de cinéma. Elle rencontre Anthony, en poste dans un ministère, plus âgé qu’elle, encombré par des problèmes personnels, un ton monotone, un flegme et un humour purement britanniques. Julie fait partie de la haute. Julie et Anthony vont alors emménager ensemble. Jusqu’à ce que des mensonges émergent, qu’une seconde vie fasse son apparition et que la construction d’un récit cinématographique, à l’écran comme dans l’histoire, entre en collision.
Inspiré de sa vie, la réalisatrice Joanna Hogg aborde avec mélancolie une relation aux contours parfois flous, souvent mystérieux. The Souvenir Part II, présenté en avant-première à la Quinzaine des réalisateurs, poursuit l’histoire pour mieux l’interroger. À travers son travail de cinéaste, l’étudiante qu’est Julie tente de cerner ce qu’elle a vécu.
La recherche de la vérité, elle tente de l’entrevoir dans sa réalisation qui s’inspire de sa vie, abandonnant un sujet qui lui était lointain. En mêlant à la perfection l’art et une soi-disant réalité, en installant une histoire somme toute ordinaire dans la fabrication de la fiction, Joanna Hogg crée là une œuvre extraordinaire, terriblement sensible, originale dans sa démarche et les objets dont elle s’enquiert, et vient questionner les perceptions que l’on peut avoir d’une réalité partagée.
Article écrit avec Lucille Bion et Louis Lepron