Presence, de Steven Soderbergh, le film qui va vous hanter

Presence, de Steven Soderbergh, le film qui va vous hanter

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© The Spectral Spirit Company

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Par Sophie Grech

Publié

Un film intimiste et intense qu’il ne faut absolument pas rater.

Steven Soderbergh est indubitablement l’un des cinéastes les plus prolifiques actuellement en activité dans le cinéma américain. Presence est son trente-septième long-métrage depuis son premier documentaire en 1985. Son entrée dans le monde des récompenses cinématographiques se fait d’ailleurs très rapidement, dès son premier film de fiction Sexe, Mensonges et Vidéo, qui obtient la Palme d’or en 1989, faisant de lui le plus jeune réalisateur à l’obtenir, ex-æquo avec Louis Malle, tous deux âgés de 26 ans au moment du sacre.

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Son nouveau film, actuellement en salles, est une déstabilisante réflexion sur le foyer. À la croisée de Here de Robert Zemeckis, A Ghost Story de David Lowery et la saga Paranormal Activity, Presence réinvente le film de fantômes grâce à une mise en scène audacieuse.

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La famille Paynes, au cœur de cette intrigue, est composée de quatre membres : Rebecca, incarnée par Lucy Liu, est une mère autoritaire et obsédée par la réussite de son fils ; Chris (Chris Sullivan), un père angoissé par ses choix de vie ; Tyler (Eddy Maday), le fils aîné, athlète agaçant, et Chloe (Callina Lang), la sœur cadette, qui tente d’exister au sein de sa famille.

Lorsqu’ils s’installent dans leur nouvelle maison, une jolie propriété de quartier résidentiel, leur emménagement est rapidement gâché par une sensation étrange dans leur nouveau logement. Chloe ressent une présence, la sensation de quelque chose d’invisible qui l’observe dans sa chambre. Rapidement, ce sentiment devient concret et terrifiant lorsque des objets se mettent à bouger tout seuls.

Ce synopsis pourrait être celui d’un film d’horreur grand public, dans la lignée de la franchise Paranormal Activity. Le réalisateur s’était essayé à l’exercice du film d’épouvante avec Paranoïa, sorti en 2018, où l’on suivait une jeune femme persuadée d’être poursuivie par son stalker et qui finissait enfermée contre son gré dans un hôpital psychiatrique. Le lien évident entre les deux long-métrages est leur parti pris de mise en scène.

Paranoïa avait été entièrement filmé à l’iPhone. La qualité de l’image et le mouvement du téléphone participaient grandement au sentiment anxiogène procuré par le film. Presence, lui, ne se différencie pas par son choix de caméra, mais par son point de vue. Le film est intégralement filmé à la première personne, c’est-à-dire que la caméra remplace les yeux d’un personnage. C’est un procédé filmique qui a déjà été utilisé de nombreuses fois dans le cinéma d’horreur.

Lorsque l’on évoque un plan iconique du cinéma de genre filmé à la première personne, impossible de ne pas penser à la célèbre ouverture du film Halloween de John Carpenter, lui-même s’étant inspiré de cet effet présent dans Black Christmas. Et il est probable que le film de Carpenter ait été une source d’inspiration importante pour Soderbergh, car à l’instar d’Halloween, le film ne révélera l’identité du personnage dont on adopte le point de vue qu’à la fin (de la séquence pour Halloween, et du film pour Presence).

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Ici, la caméra subjective est utilisée de manière inédite. Dès le début du long-métrage, le personnage de Chloe se demande qui se cache derrière cette présence. Elle pense immédiatement à un être qui lui est cher et qui a malheureusement disparu. Cependant, le spectateur ne peut pas le savoir. Soderbergh ne donnant à son public aucun indice sur l’être dont il nous impose la vision et les mouvements.

Le point de vue à la première personne peut être utilisé pour créer de l’empathie et permettre une identification plus rapide, ou pour mettre le public dans une situation dans laquelle il ne se serait jamais retrouvé, ce qui peut grandement le perturber. Ici, Soderbergh met ce procédé de mise en scène au profit d’un ressenti très spécifique : la déstabilisation.

Comment peut-on ressentir ce que cette présence ressent sans avoir aucune caractérisation de son personnage ? Sans savoir si ses intentions sont bienveillantes ou mal intentionnées. Et puis surtout comment réussir à nous faire ressentir le point de vue de quelqu’un qui n’est plus ? Soderbergh se réapproprie ce procédé filmique afin de distordre l’implication émotionnelle de ses spectateurs. Le réalisateur nous emmène dans une histoire dont nous sommes le héros, tout en gardant cette première personne, impalpable et mystérieuse.

Presence est-il réellement un film d’épouvante ?

C’est une question légitime au regard de son synopsis, de son affiche et de ses influences, et il serait réducteur de répondre à cette question par un simple oui ou non. Presence peut être décrit comme un film de fantôme, d’esprit, et même de maison hantée. Pourtant, il n’est pas sans rappeler un autre film qui lui aussi avait détourné les codes du cinéma de genre : A Ghost Story de David Lowery.

Le fantôme est une figure complexe du cinéma, et pas simplement du cinéma de genre. Il peut être romantique comme dans Ghost, protecteur comme Casper le gentil fantôme, ou terrifiant comme dans une grande partie du cinéma d’horreur asiatique. David Koepp, scénariste du film mais également de Jurassic Park et de L’Impasse, a composé son personnage de spectre de la même manière que David Lowery : un être encore humain, mélancolique, parfois en colère, mais surtout une présence errante et enfermée dans un espace vivant mais dans une temporalité toute autre.

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Un tel parti pris de mise en scène modifie également la caractérisation et l’introduction des personnages et leurs enjeux scénaristiques. Si le cinéma est par essence un art voyeuriste, ici, Soderbergh pousse cette réflexion à son paroxysme. Car dans la grammaire cinématographique, les valeurs de plans sont signifiantes, et impliquent émotionnellement le public. Presence est composé d’une succession de plans-séquences, mettant relativement à distance la caméra et les autres personnages. Ainsi, la caméra n’use plus d’une mise en scène théorique, elle se confond avec l’émotion humaine.

Par exemple, dans une séquence du film, nous nous retrouvons face au personnage incarné par Lucy Liu en train de boire de manière excessive, et ce n’est pas un plan serré qui va teinter la scène d’intensité, mais les mouvements de recul de la caméra qui vont nous faire ressentir une double peine : celle de la mère de famille et celle du personnage dont nous suivons le point de vue. Ainsi, Soderbergh décuple le ressenti émotionnel de ses spectateurs.

Ce qui fait la singularité du cinéma de Steven Soderbergh : sa volatilité. Il serait réducteur de le cantonner au statut de réalisateur grand public, comme il le serait tout autant de l’enfermer dans celui d’auteur/expérimentateur. Reconnu pour ses succès internationaux comme la trilogie Ocean’s ou plus récemment la satire politique musclée et huilée qu’est Magic Mike. Le réalisateur vient une nouvelle fois réinventer son cinéma avec Presence, un film intimiste et intense qu’il ne faut absolument pas rater.