“On lâche rien”, “Motivés”, “Bella ciao” : au même titre que la merguez et les fumigènes, il existe des classiques de la chanson de manif que certains tentent de renouveler, à quelques jours de la mobilisation qui se prépare contre la réforme des retraites.
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Selon Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme, si les airs changent peu, c’est qu’“il n’y a peut-être pas eu beaucoup de renouvellement dans les musiques et les chants partisans”. Il y a plus d’inventivité dans les pancartes, “avec une langue très riche, des jeux de mots”, dit-il à l’AFP.
Mais l’historien note une certaine créativité avec des slogans, des chants sur des airs connus. Dans des tracts CGT diffusés aux militants, des paroles revendicatives sont par exemple parfois proposées sur des airs classiques (comme “Milord” entrée au répertoire d’Édith Piaf en 1959 ou la valse musette “Ah ! Le Petit Vin blanc” créée en 1943).
“On ne chante plus”
“Le mouvement ouvrier — en France, aux États-Unis, partout dans le monde — a eu des chansons”, relève Bertrand Dicale qui tient la chronique “Ces chansons qui font l’actu” sur Franceinfo.
“Certaines sont entrées dans la légende”, comme “Vas-y Léon” de Gaston Montéhus chanté par le Front populaire, ou des chants de mineurs dans le Nord de la France, dit-il, citant à titre d’exemple l’album de Renaud Cante el’ Nord avec plusieurs chants de grève.
Les années 1970 sont émaillées de chansons liées à des mouvements sociaux : celles de Gilles Servat lors de la grève du Joint français à Saint-Brieuc, les chants accompagnant le mouvement des Lip ou encore ceux des ouvrières de l’usine Siemens à Baudour (Belgique). “Ce sont des chansons qui sont passées dans le peuple”, souligne le journaliste.
Même si ce n’est pas une mélodie à proprement parler, il cite aussi “L’Air des lampions”, un rythme en cinq notes du type “Macron démission, Macron démission” qui remonte à la révolution de 1848 et est devenu “la scansion classique d’un slogan de manif” qu’on entend encore.
“Pendant des années, on a chanté dans les manifs. Vraiment chanté”, note le spécialiste de la chanson française. Mais le dernier grand chant de manif “qui marque une génération, c’est ‘Devaquet, si tu savais’… en 1986. Après, il n’y en a plus eu beaucoup”, à part très localement, dit-il.
Aujourd’hui, “on ne chante plus dans les manifs” et “la grève, ce n’est plus ouvrier”. Désormais, “dans les cortèges syndicaux on met des sonos, avec évidemment ‘Bella Ciao’, ‘Motivés’, Manu Chao…”. “Or si on dit chanson, c’est parce qu’on chante, pas parce qu’on diffuse sur des haut-parleurs” avec une camionnette “pour que ça avoine”.
“C’est le reflet de ce qu’est le mouvement syndical aujourd’hui. Il faut des groupes rassemblés pour chanter”, dit-il. Mais “les politiques ne chantent plus non plus, il n’y a plus de chansons paillardes, les chants de supporters sont toujours les mêmes, parce que c’est la sono qui s’en occupe”.
Tout ceci traduit aussi “une faiblesse de la chanson” : “avant même l’érosion du mouvement syndical, il y a l’érosion du chant populaire”.