Pourquoi le nouveau film de Steven Spielberg, The Fabelmans, est la quintessence de son cinéma

Pourquoi le nouveau film de Steven Spielberg, The Fabelmans, est la quintessence de son cinéma

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(© Universal Pictures / Gage Skidmore)

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Par Alexis Roux

Publié le

Un film important, qui résume parfaitement l’immense carrière et les thèmes qui ont infusé sa filmographie au fil des années.

Jusqu’en 2021, la toute-puissance de Steven Spielberg restait une évidence. Cinéaste le plus rentable de tous les temps, Spielberg a su dépasser son statut de marque pour se bâtir, malgré les critiques longtemps assassines à son égard, une réputation d’auteur exceptionnellement doué, fort d’une maîtrise instinctive et virtueuse du langage cinématographique.

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Un authentique génie dont la reconnaissance unanime semblait donc ancrée pour toujours… jusqu’à la sortie de son récent West Side Story, pire score au box-office de Spielberg depuis 1974. En salles ce mercredi 22 février, son dernier long-métrage, The Fabelmans, une poignante autobiographie, a malheureusement connu le même sort : depuis sa sortie américaine en novembre 2022, le film n’a engrangé que 28 millions de dollars, pour un budget de 40.

Ces deux flops consécutifs mettent en lumière un double problème :

Premièrement, Steven Spielberg pourrait connaître le même sort que plusieurs de ses contemporains. Scorsese, Fincher, Del Toro… tous ont vu les studios hollywoodiens leur tourner progressivement le dos, les menant à se réfugier sur les plateformes de streaming (Netflix en tête de liste).

Deuxièmement, le relatif désintérêt du public pour ses productions récentes semble donner raison à celles et ceux qui ont annoncé la disparition des auteurs.

Dans ce contexte, il paraît plus que nécessaire de rappeler sommairement pourquoi le cinéma de Spielberg reste une éclatante lueur au milieu du tout-venant hollywoodien. Un cinéma érudit, inventif, indémodable et porteur d’espoir pour les défenseur·se·s du grand cinéma populaire.

Le témoin du passé

Dès l’enfance, Spielberg se prend d’une passion inextinguible pour le septième art, qu’il découvre d’abord à la télévision. Plus spécifiquement, le jeune Steven se découvre une affection particulière pour les films de l’âge d’or hollywoodien. Lorsqu’il passe à la réalisation, Spielberg accompagne une nouvelle génération d’auteurs, ceux du “Nouvel Hollywood”, influencée par les nouvelles vagues européennes.

Néanmoins, le jeune prodige se tient en partie à distance de cette révolution esthétique, son art se nourrissant avant tout de ses influences classiques. Par exemple, son premier film pour le cinéma, Sugarland Express, est un road movie (un genre phare dans les productions américaines des années 1970) dont la structure narrative est bien plus proche du cinéma des années 1950.

Ce rapport intime au classicisme amènera Spielberg à convoquer, tout au long de sa carrière, les fantômes de ses maîtres : Les Dents de la mer est un hommage au thriller hitchcockien, La Couleur pourpre évoque Duel au soleil de King Vidor, Les Aventuriers de l’arche perdue et Empire du Soleil s’approprient la mise en scène de David Lean, Vers sa destinée le cinéma de John Ford, etc.

Un aspect qui fait de la filmographie de Spielberg une magnifique porte d’entrée pour saisir tout un pan de l’histoire des formes cinématographiques américaines.

Un authentique pionnier

Indubitablement tourné vers le passé, Spielberg n’en reste pas moins un créateur curieux et innovant, ayant toujours à cœur de repousser les limites de la représentation et des possibilités offertes par l’industrie. En 1975, l’efficacité redoutable et terrifiante des Dents de la mer dépoussière tout un pan de l’épouvante au cinéma, en plus de faire office de matrice pour le blockbuster moderne. En 1977, Rencontres du troisième type participe avec Star Wars (sorti la même année), à l’éclosion d’une nouvelle science-fiction.

En 1993, Jurassic Park est un bond de géant pour les effets spéciaux numériques. Un nouveau régime d’images que Spielberg va exploiter en profondeur avant de marcher, au début des années 2010, dans les pas de Robert Zemeckis. En trois films, Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, Le Bon Gros Géant et Ready Player One, Spielberg témoigne d’une compréhension et d’une maîtrise éclatante de la capture de mouvement.

La beauté du geste spielbergien tient en vérité dans la jonction entre son imaginaire classique et ses envies de nouveauté. Il est difficile de faire la liste de toutes les occurrences de ce type, aussi ne retiendrons-nous qu’un seul plan, particulièrement spectaculaire : dans Cheval de guerre, les prouesses du numérique permettent au cinéaste de fusionner le relief d’un tricot avec celui d’un champ en plein labourage.

Le cinéaste de l’intime

Comme en atteste le plan précédemment cité, qui unifie en une image les deux aspects de la vie quotidienne de ses protagonistes, Spielberg est incontestablement le réalisateur américain ayant le mieux figuré les tourments de l’intime, en particulier les traumatismes liés à la famille et à l’enfance.

Sa jeunesse solitaire, ses échecs scolaires en série (conséquences d’une dyslexie non diagnostiquée), le divorce de ses parents, les conflits avec son père… Tout au long de sa carrière, Spielberg n’a cessé de rejouer, plus ou moins explicitement, les différentes douleurs qui ont caractérisé sa jeunesse, en même temps que le cinéma lui offrait le moyen de voler de ses propres ailes. Pour Spielberg, la réalisation de films est autant une passion qu’une thérapie.

C’est aussi durant sa jeunesse que Spielberg connaîtra l’antisémitisme qui l’amènera à renier pour un temps la culture juive. Il faudra attendre La Liste de Schindler, geste cathartique d’une violence et d’une beauté saisissantes, pour le voir renouer avec cette partie de son passé. La mise en scène de la Shoah, qui ressurgira de temps à autre dans ses films futurs (cf. le train enflammé de La Guerre des mondes), tient aussi pour lui du devoir de mémoire — son père, Arnold Spielberg, a perdu plus d’une dizaine de proches dans les camps de la mort.

De ce point de vue, The Fabelmans apparaît comme un film très important, en cela qu’il donne à voir directement la source thématique du cinéma de Spielberg, en plus de rappeler la sidération induite par le cinéma et les grands films qui l’ont marqué. La scène finale (dont nous ne dévoilerons rien) entérine avec humour et légèreté son amour éternel pour les grands cinéastes classiques.

Pour les néophytes, c’est là l’occasion de saisir d’un coup les différentes strates de sa filmographie pour ensuite se tourner vers ses films précédents, le regard éclairé.

Pour les connaisseurs qui ont passé des années voire des décennies à lire entre les lignes, le film vous donnera tout simplement raison.