Pourquoi le détective chat Blacksad est le meilleur héros de BD de ces 20 dernières années ?

Pourquoi le détective chat Blacksad est le meilleur héros de BD de ces 20 dernières années ?

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(© Dargaud)

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Par Arthur Cios

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Genre, vraiment, y a pas photo.

Si on vous dit grand héros de la bande dessinée, vous pensez évidemment à Astérix, Tintin, Lucky Luke, Adèle Blanc-Sec, Corto Maltese ou encore Blake et Mortimer. OK, bon, ils proviennent de récits du siècle précédent quand même. Quid du XXIe siècle ? Si on vous parle de BD européenne non autobiographique, vous pensez à qui ?

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Le premier qui vient en tête est bien ce cher Blacksad. Non pas qu’il soit le seul, loin de là, mais parce qu’il est la quintessence du héros en tous points. Et le dernier volet de la saga de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido le prouve.

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Huit bouquins seulement en vingt-trois ans, mais plus de 2,4 millions de lecteurs à travers le monde qui pensent la même chose que nous : Blacksad est grand.

Sept ans à voir le jour

Il faut replacer ce qu’est cette saga, ce qu’elle raconte, pour mieux comprendre.

Blacksad est née de la rencontre entre deux artistes espagnols : d’un côté, Díaz Canales, scénariste, et de l’autre, Guarnido, dessinateur. Tous deux travaillent au même moment au studio d’animation Lápiz Azul, en octobre 1990. Un studio qui planchera notamment sur des épisodes de la série animée Batman, sur la première saison de Tintin et sur d’autres œuvres du même genre. Assez rapidement, entre les deux hommes arrive l’idée de ce que sera Blacksad.

Il faudra attendre dix ans avant que le premier volet ne sorte. En cause ? Guarnido, qui trouve un job à temps plein dans les bureaux d’animation de Disney de Montreuil en 1993 – il bossera sur Dingo et Max, Le Bossu de Notre-Dame, Hercule, Tarzan, et Atlantide, l’empire perdu. Sauf que sur son temps perdu, il commence à illustrer cette série.

L’idée de base est faussement simple : faire un polar d’une cinquantaine de pages, ambiance film noir des années 1930, avec un détective façon Philip Marlowe ou Sam Spade, dans un New York d’après-guerre. Beaucoup de voix off. Beaucoup de corruption, de gangsters. Ah, et avec une population anthropomorphique, comprendre des animaux à forme humaine. On a de tout, et notre flic, lui, est en l’occurrence un grand chat noir plutôt athlétique.

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Début 1998, les deux artistes ont un dossier à présenter aux maisons d’édition, après cinq ans d’écriture et de dessin. Banco, tout le monde se bat pour récupérer la future poule aux œufs d’or, et c’est Dargaud qui gagne la bataille. Il faudra attendre novembre 2000, deux ans et demi après cette signature, pour que naisse Quelque part entre les ombres.

Grand succès critique, grand succès public, pluie de prix. Une légende est née.

Engagé, beau et facile d’accès

Un simple polar aurait pu passer à la trappe. Ce qui fait le succès de la franchise, outre le profond amour des auteurs pour l’univers, la capacité folle des dessins à reproduire une ambiance que l’on croit tous connaître grâce au cinéma (mais en couleurs, et avec des animaux) ou sa manière de découper ses plans, ses cadres (ses cases) comme un film – ce qui est rare dans la BD, figurez-vous –, c’est bien sa capacité à parler de notre société actuelle en évoquant les sujets de l’époque.

Le deuxième volet, Arctic-Nation, a au centre de son histoire le racisme, avec un faux Ku Klux Klan et un récit profondément actuel (autant lors de sa sortie en 2003 qu’aujourd’hui). Le troisième, Âme rouge, parle de la chasse aux sorcières de la guerre froide, tout en délocalisant le récit à Las Vegas et en parlant de jeu et de finance au plus bas. Le quatrième, L’Enfer, le silence, emmène Blacksad à la Nouvelle-Orléans pour parler frontalement de drogue et de problèmes d’addiction…

Le nouveau diptyque, Alors, tout tombe, parle de gentrification, de problèmes de magnat de l’immobilier – un thème récurrent des films noirs des années 1950 et qui reprend un personnage qui était déjà évoqué dans le film d’Edward Norton, Brooklyn Affairs, sorti en 2019 et clairement un hommage aux films noirs, à savoir Robert Moses, et un autre qui rappelle le Jimmy Hoffa de The Irishman de Martin Scorsese.

Mais plus que le message politique, Blacksad est une BD franchement accessible. Courte (une cinquantaine de pages), moins dense, à l’univers moins complexe que des vieilles franchises et d’une beauté unique. Ce n’est pas pour rien qu’on en a fait des hors-séries et des artbooks, des jeux de rôle sur table, des jeux vidéo, de la fiction audio… et qu’un projet de film a failli voir le jour dès 2004 (en 2010, Alexandre Aja était attaché au projet).

Failli, puisque le film n’a jamais vu le jour. Par contre, il a été l’une des inspirations évidentes de ZootopieGuarnido racontait il y a quelques mois à BFM que le script d’Aja ressemblait vraiment beaucoup à celui du Disney. De là à tuer toutes formes de Blacksad sur grand écran ? On ne sait pas, affaire à suivre.

Ce qui est sûr, c’est qu’en BD, Blacksad est encore en pleine forme. Et, on l’espère, pour longtemps.