Gia, dans l’ombre des Coppola

Gia, dans l’ombre des Coppola

Image :

Gia Coppola © Louis Lepron

James Franco, ami et mentor

Grandir dans une famille de cinéastes laisse forcément des traces. Mais pour Gia Coppola, avant tout passionnée de photographie, c’est sa collaboration décisive avec l’hyperactif James Franco qui va lui donner les moyens de ses ambitions cinématographiques naissantes.

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Quand j’ai rencontré James, il avait vu mes photos et il était à la recherche d’un réalisateur pour le livre. On voulait déjà collaborer ensemble et lorsqu’il m’a parlé du fait qu’il voulait adapter Palo Alto, je n’y pensais pas encore vraiment. Mais quand je me suis plongée dans le livre, j’ai beaucoup aimé et j’ai eu la chance qu’il croie en moi.

Gia Coppola tombe immédiatement sous le charme des adolescents paumés qui peuplent les rues de Palo Alto, et décide de réaliser le film. Et si l’on aurait pu croire qu’il suffisait à la petite fille de Francis Ford Coppola de claquer des doigts pour obtenir des financements, les choses semblent avoir été un peu plus compliquées que prévu.
Elle raconte :

Pendant des années, on n’a pas réussi à trouver de financements car je n’avais pas vraiment d’expérience. Je voulais tourner avec des adolescents et il y avait du contenu explicite.
James en a eu marre car je pense que les gens lui disaient : “Pourquoi tu ne trouves pas un autre réalisateur ?“. Il a alors accepté un gros rôle qui lui a permis de gagner assez d’argent pour financer le film.

Il m’a vraiment laissée avoir ma propre interprétation de l’histoire, et m’a laissée complètement libre. Mais il était toujours là quand j’avais besoin de lui.

Pour l’amour de l’image

Son goût prononcé pour l’image, Gia Coppola le développe assez tôt. Diplômée en photographie à l’université de Bard à New York, elle commence dès ses 18 ans une carrière dans la mode. Entre éditos pour des magazines prestigieux et vidéos pour des grandes marques de luxe, la jeune artiste forge peu à peu son univers visuel avant de finalement glisser vers le long format.
Elle explique :

Le cinéma a été une évolution naturelle après la photo : il y a des plus grandes caméras, plus de challenge et d’éléments pour travailler. C’est une sorte d’extension de la photographie, avec plus d’outils : l’écriture, les acteurs… plus de jouets pour s’amuser, en quelque sorte.

Ces explications prennent tout leur sens lorsque l’on visionne Palo Alto. Car l’indéniable force du film réside dans l’image. Tous les plans sont soignés. La lumière, parfaitement maîtrisée, vient parfois caresser les visages mutins des adolescents avant de les gifler dans la scène suivante. Tout cela est rendu possible grâce à la relation de confiance qu’entretient la réalisatrice avec la directrice de la photographie :

J’avais déjà travaillé avec Autumn [Durald, ndlr] sur mes plus petits projets et nous sommes très proches. J’aime le fait que ce soit une femme et qu’elle soit très sensible. Je lui ai envoyé beaucoup de photos qui m’inspiraient et elle m’en renvoyait d’autres. On a pas mal échangé d’idées comme ça.
On savait toutes les deux que la caméra devait être statique pour pouvoir composer le cadre. Ensuite, on a eu des idées quant à l’éclairage pour définir la chambre de chaque personnage. On a défini une palette de couleurs que nous voulions appliquer au film.

La thématique de l’adolescence, une affaire de famille

Comme ses aînées avant elle, la thématique de l’adolescence fascine Gia. Par moment, on retrouve d’ailleurs dans Palo Alto des ressemblances troublantes avec le premier film de sa tante Sofia Coppola, Virgin Suicides. Certains plans, comme celui de April (Emma Roberts) dans la voiture, qui caresse mélancoliquement le vent avec sa main par la fenêtre, y font d’ailleurs directement référence.
Une comparaison que la jeune Gia tente de nuancer lorsque l’on évoque ces quelques similitudes :

Je suis très flattée, j’adore ce film [Virgin Suicides, ndlr], mais je pense qu’ils sont très différents. Si on n’avait pas eu le même nom de famille et si je n’étais pas une fille, je me demande s’ils penseraient toujours ça. […] Sofia est très élégante ; moi, je me sens beaucoup plus débraillée et bizarre qu’elle.

Car si l’on retrouve bien un style minimaliste et épuré proche de celui de Sofia Coppola dans le long métrage, la patte de Gia est plus rock, parfois plus sombre ou plus déjantée – en témoignent ses clichés compilés sur son Tumblr. Le cocktail classique qui mélange sexe, drogue et violence est ici plus cru que dans Virgin Suicides – une différence sans doute liée au fait que, quinze ans plus tard, les adolescents de notre société semblent plus libérés.
Sur les héros de Gia plane tout le long du film une menace sourde, comme si la mort pouvait s’inviter à n’importe quel moment. Une tension portée par une excellente bande originale, sur laquelle on retrouve Dev Hynes.


D’une nature plutôt timide, Gia Coppola appréhendait surtout de diriger ses jeunes acteurs, dont les âges ne sont finalement pas si éloignés du sien. Mais très vite, elle se sent à l’aise sur le plateau :

C’était un grand avantage de raconter l’histoire d’une bande de jeunes, car j’avais à la fois la distance et la proximité nécessaire pour vraiment comprendre ce qu’il se passe à cet âge-là. Je pense que finalement je n’aurais pas pu raconter autre chose qu’une histoire sur des adolescents car dans la vie, je n’ai finalement pas expérimenté grand chose à part cela !

À 27 ans, pour Gia Coppola, l’adolescence c’était hier. Et la sienne ressemblait à celle de millions de jeunes filles :

J’étais un peu confuse et j’essayais de trouver ce que je voulais faire. J’étais nulle à l’école. J’avais des mauvaises notes et du mal avec tout ce qui était académique. C’est toujours décourageant de voir que l’on est mauvais dans quelque chose. La plupart de mes amis étaient en dehors de l’école. J’ai commencé à expérimenter et j’ai fait des choses extrêmes comme toutes les adolescentes.

Un cinéma à huis clos

Pour donner corps à cette tranche de vie où les sentiments se bousculent et les contours des personnalités se dessinent, Gia Coppola a fait appel à de jeunes acteurs. Mais pas n’importe lesquels. Parmi ses héros, on retrouve deux noms de famille déjà bien connus du cinéma : Emma Roberts et Jack Kilmer. Et comme elle, ils ont tous les deux des proches célèbres. La première est la nièce de Julia Roberts, et le second le fils de Val Kilmer.
Même si c’est loin d’être un hasard, Gia Coppola précise que si elle les a choisis, c’est parce qu’ils correspondaient parfaitement à l’idée qu’elle se faisait des personnages :

Je connaissais Emma de manière indirecte, mais elle avait vraiment aimé le livre, puis le scénario. Je ne sais pas pourquoi son nom n’arrêtait pas de surgir dans ma tête. […] Quelque chose me disait qu’elle était la bonne personne pour le rôle, et que son nom de famille ne me porterait pas préjudice. Je pense simplement que c’est la bonne actrice pour le personnage.
Jack, je le connais depuis qu’il a 4 ans. […] Je l’ai vu grandir. Pendant que je faisais des castings,Val m’a emmené dîner avec ses enfants et je n’avais jamais pensé au fait que Jack pourrait être dans le film. Mais il m’intéressait, je savais que c’était un vrai adolescent et qu’il faisait plein de trucs cools comme du surf, de la peinture ou de la musique.
Quand il a passé l’audition, il m’a époustouflée, il était si naturel face à la caméra ! Je lui ai demandé de jouer dans le film mais au début il ne voulait pas. Je pense qu’il avait aussi peur de la pression associée à son nom de famille.

Tous les gens sur le tournage avaient déjà travaillé avec moi, sur mes plus petits projets, et pour la plupart, c’était leur premier long métrage donc ils étaient tous excités. Le tournage n’a duré que trente jours mais on était vraiment comme une famille. Je me suis vraiment entourée de personnes dont je suis très proche et avec lesquels je me sens en confiance. Je me suis créé un environnement dans lequel je ne me sentais pas intimidée.

Grandir chez les Coppola

Se lancer dans la réalisation de son premier film n’a pas été évident pour la jeune Gia Coppola. Et pour cause : sur son nom d’origine italienne plane l’ombre écrasante d’une dynastie de cinéastes dont l’élément central, Francis Ford, est devenu une figure incontournable de l’histoire du septième art. La trilogie du ParrainConversation secrète ou Apocalypse Now sont autant de chefs-d’œuvre multi-récompensés, signés d’un talent assuré.
À cette large famille de cinéma, viennent s’ajouter Sofia et Roman Coppola, la tante et l’oncle, ou encore les acteurs Nicolas Cage et Jason Schwartzman, pour ne citer qu’eux. La jeune femme confie :

Ça a été très dur de me décider de me lancer dans le cinéma, j’ai eu beaucoup d’appréhension pendant des années. Les membres de ma famille sont très différents quant à ce qu’ils aiment ou n’aiment pas. J’ai découvert mes propres goûts en créant.

Lorsque Gia décide finalement de réaliser son premier film, Francis Ford Coppola se réjouit :

Mon grand père était très excité. Il m’a dit que ce serait la cinquième génération à faire du cinéma et je pense qu’il aime cette idée de continuité.

Je leur ai demandé quelques conseils concernant certains aspects financiers ou techniques. Mais j’ai essayé de faire le maximum de choses par moi-même, surtout pour me prouver que je pouvais y arriver seule.

“Avec ce film, une partie de moi s’est envolée”

Après des années de préparation, un petit mois de tournage, et plusieurs autres de montage, Palo Alto éclôt. “La première fois que j’ai vu le film fini, j’ai eu le cœur brisé“, se souvient-elle en riant. Elle ajoute :

J’ai aussi eu le sentiment d’avoir perdu quelque chose quant à ma façon de voir le film. On ne peut pas le regarder comme tout le monde après l’avoir monté, ça n’a plus la même saveur. Je me suis longtemps sentie découragée de voir tous ces grands films et je me disais : “Comment font-ils ?“.
J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui font des films car c’est très difficile et on traverse différentes émotions. Ça fait vraiment peur de le révéler au monde et d’être jugée.

Je suis excitée à l’idée d’un jour refaire un film car j’ai beaucoup appris et j’ai davantage d’outils à utiliser pour faire face aux challenges. Mais je n’aurai plus vraiment la même liberté, celle que l’on ressent quand on réalise son premier long métrage, car on ne sait pas à quoi s’attendre, on est un peu naïf. Une partie de moi s’est envolée.

Un nouveau film qui sera peut-être l’occasion pour la jeune réalisatrice de s’affranchir du poids de son nom pour livrer un cinéma un peu moins lisse et prévisible, qui lui sort vraiment des tripes. Car si Gia Coppola a réussi avec son premier long métrage à provoquer quelques jolies étincelles, il lui faudra prendre davantage de risques pour enfin briller.