Plus de mille films vus et onze heureux élus : bienvenue dans la course à la Croisette

Plus de mille films vus et onze heureux élus : bienvenue dans la course à la Croisette

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(© Aurélie Lamachère / Semaine de la critique)

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

Ava Cahen, plus jeune sélectionneuse de l’histoire de la Semaine de la critique, nous raconte les coulisses de cette sélection cannoise.

Après six ans au comité de sélection de la Semaine de la critique à Cannes – une sélection compétitive de premiers et deuxièmes films –, Ava Cahen a été nommée l’an dernier déléguée générale en lieu et place de Charles Tesson qui lui a passé le flambeau après une décennie à la tête de cette catégorie.

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À quelques jours de l’ouverture des festivités, elle nous a raconté les coulisses du travail herculéen accompli par le comité pour sélectionner les quelques heureux élus qui seront projetés à l’espace Miramar pendant le Festival de Cannes.

Konbini | Combien de longs-métrages et de courts-métrages avez-vous reçus cette année ?

Ava Cahen | Nous avons reçu 1 000 longs-métrages et 2 100 courts-métrages qui ont tous été vus par des comités de sélection composés de critiques spécialisés en longs ou en courts-métrages. Ils ont donc cette double casquette de critiques en activité et de programmateurs pour le plus beau et le plus grand festival de cinéma du monde.

Combien y a-t-il de personnes dans les comités de sélection ?

Nous sommes six dans le comité longs-métrages et cinq au comité courts-métrages. Ce sont des sélectionneurs et des visionneurs très actifs avec qui nous regardons et discutons de tous les films reçus. Ce sont des mandats de trois ans renouvelables car c’est une mission bénévole. Les deux comités ont changé par rapport à l’année dernière car il y a eu un besoin de renouvellement. C’est une bonne chose de s’accompagner de nouveaux regards et talents critiques de toutes les générations.

Comment se passe la réception de ces milliers de films ?

Les inscriptions commencent début décembre, le bureau des films centralise toutes les demandes de la part des producteurs, des distributeurs et des réalisateurs. Les comités de sélection voient ensuite l’ensemble des films reçus à partir du mois de décembre jusqu’à début avril. Mais avant le mois de décembre, il y a un temps de prospection où l’on se déplace dans les festivals du monde entier, dans des ateliers ou des workshops pour rencontrer les porteurs de projets afin d’avoir une vision globale de ce qu’on va pouvoir voir en termes de premiers et seconds longs-métrages.

On voit ensuite les films en salle ou par lien, parfois tous ensemble mais aussi répartis par zone géographique. Chacun des membres des comités a son territoire de prédilection selon ses goûts, ses intuitions et son parcours afin de porter un premier regard. On se transmet et on se donne à voir les films les uns aux autres pour pouvoir en discuter et arriver à une sélection ultrasélective puisqu’il n’y a que onze longs-métrages et dix courts-métrages en compétition à la Semaine de la critique, sans compter les séances spéciales. On en sort épuisés mais galvanisés car on a une vision quasi globale de la jeune production mondiale.

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Recevez-vous chaque année le même nombre de films ? Vous acceptez tous les films jusqu’à une certaine deadline ?

Oui, on accepte tous les films jusqu’à la fin des inscriptions. On n’a pas de quotas mais à une centaine de films près, on reçoit un volume plus ou moins égal chaque année, que ce soit avant ou après Covid-19, d’ailleurs. On ne pourrait de toute façon pas vraiment en absorber davantage à organisation égale. Mais le volume se régule de lui-même car c’est compliqué de faire un premier film ou un deuxième film, le temps est assez long et encore plus dans certains territoires.

Cette année, on a constaté que certains territoires un peu ensommeillés à cause des crises sanitaires ou géopolitiques se réveillent, notamment grâce au cinéma français, car on a vu beaucoup de coproductions françaises. Je pense par exemple au Brésil, dernièrement très muselé et qui nous a envoyé beaucoup de films, notamment autour de thématiques LGBT. On a également reçu de nombreux films de l’Asie du Sud-Est en 2023.

Quand on voit plus de mille films en trois mois, comment arrive-t-on à rester juste et également objectif avec tous ces films ?

Le temps de visionnage et de sélection est un marathon mais nous, critiques de cinéma, avons une âme de marathonien, car on aime regarder beaucoup de films. Le nombre ne nous fait donc pas peur. On ressent évidemment de la fatigue mais le fait d’être un groupe et de pouvoir discuter de ce qu’on voit, ça stimule. Puis un bon film reste un bon film, qu’on soit fatigué ou non.

Y a-t-il un système de vase communiquant entre les différentes sélections si vous pensez qu’un film a davantage sa place ailleurs ?

Bien sûr. On voit un volume de films faramineux donc on travaille en bonne intelligence. Je parle beaucoup avec Thierry Frémaux car on œuvre tous pour la même chose, au final. Ça serait dommage de ne voir que onze premiers films à Cannes étant donné la quantité qu’on reçoit.

Si, historiquement, les premiers et deuxièmes films sont l’ADN de la Semaine de la critique et que nous n’avons jamais changé de ligne directrice en soixante-deux ans, je suis toujours très heureuse de voir que les sélections parallèles s’associent également à cette envie de découverte. C’est super de savoir que les premiers et deuxièmes films ont également pignon sur rue en Compétition officielle, à la Quinzaine des cinéastes ou à Un Certain Regard dans un festival qui met à l’honneur des talents beaucoup plus confirmés.

Et à l’issue du visionnage, comment travaillez-vous ? Vous devez concilier une vision de critique, de spectateur et de sélectionneur ?

On a une base de données sur laquelle on laisse nos commentaires et nos analyses puis on se réunit chaque semaine pour discuter de ce qu’on a vu et de ce qu’on a aimé. C’est effectivement un équilibre à trouver car le Festival de Cannes est également un marché du film où il y a vraiment quelque chose qui se joue à l’endroit des premiers et des deuxièmes films. On veut que les films voyagent en festival, qu’ils soient vus par des vendeurs et des distributeurs du monde entier et qu’ils se connectent à un public. Cannes n’est qu’une première marche.

L’an dernier, par exemple, le succès d’Aftersun – qui a voyagé jusqu’aux Oscars et fait 150 000 entrées en France, ce qui est remarquable pour un premier film – nous a donné des ailes et c’est venu valider le travail qu’on fait. Mettre en marche des carrières de cinéastes, c’est extrêmement gratifiant. C’est pour que ces raretés deviennent visibles que l’on fait ce travail.

Une fois à Cannes, quel est votre quotidien ?

C’est essentiellement une mission d’hôte, de présentation et de représentation. Mon temps est occupé à accueillir les équipes des films, nos partenaires, les journalistes, et à présenter les films en projection. Je n’exerce plus mon activité de journaliste pendant la durée du festival, je n’ai pas du tout le temps de voir de films, ce que je regrette. Mais je les rattrape après.

Avez-vous déjà identifié le nouvel Aftersun ?

C’est impossible de savoir à l’avance car c’est une sélection qui a plein de couleurs et de registres différents. Mais la bonne nouvelle, c’est que tous les films sélectionnés cette année à la Semaine de la critique ont déjà un distributeur français. Ce n’était pas le cas l’an dernier, par exemple, donc c’est une vraie victoire.

On ouvre et on clôture la sélection par une parenthèse enchantée sur le renouvellement des modèles familiaux et comment faire famille aujourd’hui avec Ama Gloria et La Fille de son père. À l’intérieur, dans la compétition, il y a des films de genre. Pour la première fois à la Semaine, nous avons un film jordanien, et c’est aussi une première à Cannes si je ne dis pas de bêtises.

Mais on aime tous ces films les uns à côté des autres donc j’espère qu’il y aura plein de petits Aftersun.