On vous raconte l’histoire derrière la photo de ce colon battu par une indépendantiste noire

On vous raconte l’histoire derrière la photo de ce colon battu par une indépendantiste noire

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© Seumboy Vrainom :€

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Par Lise Lanot

Publié le

Seumboy Vrainom :€ créé les "images qui nous manquent" afin de pallier le manque de représentations passé, présent et futur.

“Et si les personnes colonisées avaient pu chasser les colons français plus tôt ? Si elles avaient pu s’unir dans une fédération africaine ? Et s’il y’avait eu des Ivoirien·ne·s à l’époque médiévale en France ?” Seumboy Vrainom :€ s’intéresse à ce qu’on appelle l’histoire contrefactuelle, aux portes ouvertes par l’imagination et la façon dont certaines de ces portes demeurent closes à cause du manque de représentations.

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Comment penser à ce qui aurait pu être alors qu’on ne dispose déjà pas de tous les angles de l’Histoire ? Puisqu’au XXe siècle, les personnes qui disposaient d’appareils photo étaient les colonisateurs, que les personnes qui disposaient des médias étaient les colonisateurs, les images d’indépendantistes africain·e·s, par exemple, sont rares. C’est en se rendant compte que les images de grandes personnalités des luttes indépendantistes et anticolonialistes africaines, “du type Frantz Fanon et Thomas Sankara”, étaient très peu disponibles, que l’artiste a eu l’idée de les recréer grâce à une intelligence artificielle.

Il a notamment imaginé la photo d’une “femme africaine qui frappe un colon français”. Après de nombreux ratés, relatés sur une vidéo Instagram qui montre que l’IA ne cessait de montrer une domination de l’homme blanc sur la femme noire, il parvient, plus ou moins, à ce qu’il espérait : “Dans tous les cas, elle ressemblera, au mieux, à une image d’ethnologue prise par un colon français parce que c’était les seuls à posséder des appareils photo, donc ce sont les seuls dont l’IA peut s’inspirer. Dans tous les cas, ces archives sont majoritairement occidentales”.

En quête d’archives jamais vues

Son projet commence en début d’année, lorsqu’il s’essaie aux intelligences artificielles, avec une nouvelle version de Midjourney : “Je me suis lancé à fond dedans et j’ai fait des tunnels infinis de créations et de tests que je partageais sur Instagram”, rembobine-t-il auprès de nous. Les créations tapent dans l’œil de la Fondation du doute de Blois, qui lui propose une exposition lors des Rendez-vous de l’histoire : “C’est là où toutes les historiennes et historiens de France se retrouvent pour parler. J’étais très heureux de cette proposition et ça m’a donné envie de développer ce projet avec un regard vraiment adressé à la question de l’Histoire.”

Solitude Fatiman la sorcière prépare un pharmakon pour la survie des Marrons. (© Seumboy Vrainom :€)

Seumboy Vrainom :€ se lance à la création des “archives [qu’il n’a] jamais vues”, “des images aux dimensions historiques, qui ressemblent à de l’archive mais qui sont une archive qu’on n’a pas, que je n’ai jamais eu l’occasion de voir, des scènes qui n’ont pas été captées, notamment des scènes de résistance à la colonisation”, et ce non sans peine :

“Je me disais que l’IA serait l’occasion de créer ces images manquantes mais je ne m’imaginais pas à quel point cela allait être complexe. Si je demande à l’IA l’image – sans précision – d’un personnage dans un bus, il va me sortir très vite l’image d’un blond, blanc à bord d’un bus. Tandis que si je demande un personnage noir mais Français, issu d’une diaspora, là, il va falloir que je sois très précis dans ma demande – ce qui prouve que l’IA voit les couleurs. Et surtout, il va falloir que je précise qu’on n’est pas en Afrique.

Pour avoir un personnage comme moi, métissé, c’est très difficile. Je peux avoir des personnages dark skin mais avec des vêtements africains. Ça va peut-être être possible de les faire apparaître en France mais pour avoir la complexité des pigmentations qui existent réellement, c’est très dur. En Français, l’IA ne comprend pas ‘métisse’, il faut passer par l’anglais et le terme light skin, mais dans ces cas-là, il va aller dans le cliché publicitaire d’un métis aux yeux verts. Ça manque cruellement de complexité pour l’instant et je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi visible. Il faut manipuler les mots et même avec ça, le logiciel a énormément de mal avec ce type de profils.”

Pour l’instant, Seumboy Vrainom :€ travaille seul mais il espère bien rencontrer davantage d’historien·ne·s, notamment lors des Rendez-vous de Blois, afin de réfléchir à comment travailler cet archivage, comment “émanciper ses images du regard colonial”. Avec ce projet, le créateur de la page Histoires crépues s’interroge :“Est-ce que je veux perpétrer des représentations auxquelles j’ai accès, via ces archives occidentales ? Ou alors est-ce que je veux tenter de créer de nouvelles textures d’images, de nouveaux styles graphiques innovants qui nous permettent d’imaginer des archives qui n’auraient pas été des archives coloniales ?”

L’artiste mélange les époques, s’intéresse notamment aux iconographies médiévales et leurs imperfections, leurs anachronismes, leurs défauts. Son travail d’archivage est une réflexion : il est mouvant et collaboratif. Il interroge le passé afin de repenser le présent et d’apaiser le futur.

Avez-vous déjà vu une image de Guimbi Sankara qui frappe le jeune officier colonial Charles Archinard ? Non, car cette image n’existe pas. (© Seumboy Vrainom :€)

Toutes les histoires dans lesquelles on ne se projette pas. On était où à ce moment-là ? (© Seumboy Vrainom :€)

Black Jesus à encore des choses à faire. (© Seumboy Vrainom :€)

La Clé. (© Seumboy Vrainom :€)

Là ou elles sont, les ancêtres nous regardent répéter les mêmes erreurs. (© Seumboy Vrainom :€)

Le gardien des âmes qui n’ont pas pu atteindre la fin du game et qui attendent la tienne. (© Seumboy Vrainom :€)

Toutes les histoires dans lesquelles on ne se projette pas. On était où à se moment là ? (© Seumboy Vrainom :€)

Reste le feu. Mais comment réagir face à la dépression d’un proche ?(© Seumboy Vrainom :€)

La main invisible des ancêtres nous guide. (© Seumboy Vrainom :€)

L’exposition “Il manque des images pour s’en rappeler” sera présentée dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire du 5 au 8 octobre 2023 au pavillon d’exposition temporaire de la Fondation du doute de Blois.

Vous pouvez retrouver le travail de Seumboy Vrainom :€ sur son compte Instagram ainsi que sur son compte Histoires crépues