On était à la listening party de Kanye West et on vous décrypte ce qui se cache derrière ce non-concert

On était à la listening party de Kanye West et on vous décrypte ce qui se cache derrière ce non-concert

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Par Sandra Gomes

Publié le

Mais pourquoi Kanye West a seulement fait une listening party ?

Vous n’avez pas pu passer à côté de l’événement musical du week-end dernier, qui a fait parler Internet et a suscité de vives réactions. Quelques jours après la sortie de Vultures 1, l’album commun de Kanye West et Ty Dolla $ign, les artistes ont annoncé une tournée européenne de listening parties : deux dates italiennes où les artistes ont enregistré une partie du projet avant de prendre place à l’Accor Arena de Paris dimanche dernier.

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En français dans le texte : une fête d’écoute

Habituellement, et particulièrement en France, on a surtout l’habitude de parler de session d’écoute, moment organisé par les labels dans l’optique de faire la promotion d’un album auprès des professionnels de la musique et des médias. Mais on a moins l’habitude des shows événements ouverts au public comme celui-là, encore moins s’ils sont organisés dans une des plus grandes salles de concert parisiennes.

Alors, à quoi on a eu le droit et à quoi ça ressemble, “une expérience immersive en présence des artistes” ?

La salle de concert dépouillée de la scène qui accueillait Josman la veille, une sorte d’abat-jour géant trônant au centre qui sert d’unique élément de décor et sur lequel seront retransmises en direct les images des artistes venus prendre place en dessous, dans un halo lumineux : pour la scénographie, il faudra se contenter de ça. La clé du succès de cette rencontre ne réside pas dans la promesse mais dans la spontanéité de l’annonce, surfant sur la hype de la sortie très vite montée en tête des charts ; la présence des artistes, venus animer l’écoute, suffit. Malgré une heure d’attente plongés dans le noir et le silence qui faisait doucement redescendre l’excitation, les gradins se sont enflammés dès leur arrivée.

Pourquoi ce n’est pas qu’un choix artistique

Sommes-nous simplement devant une initiative d’artistes envers leur public et de possible innovation pour le monde de la musique ? Impossible de décrypter cet événement sans rappeler le contexte et les enjeux autour du rappeur de Chicago.

À l’automne 2022, Kanye West avait créé la polémique en tenant des propos antisémites. Il y a quelques mois, il présentait ses excuses dans un post Instagram, considéré par l’Anti-Defamation League (ADL), groupe américain de lutte contre l’antisémitisme, comme “un premier acte de contrition bienvenu”. Mais pour les professionnels du spectacle qui ont pu croiser la route de Ye, c’était l’acte de fin d’une relation déjà instable.

C’est une longue descente aux enfers à laquelle les partenaires de Kanye ont pu assister depuis 2016 et dont ils ont dû subir les conséquences. Des annulations de dernière minute, des performances où l’artiste semble détaché ou absent… Après avoir pourtant bouclé la tournée la plus rentable de l’Histoire pour Watch the Trône aux côtés de Jay-Z, les déclarations polémiques avaient définitivement refroidi les tourneurs de s’associer à lui tout comme elles ont soulevé des questions éthiques au sein du métier.

Même sans aucun revenu régulier de tournée au cours des sept dernières années, West se classe toujours comme le cinquième show le plus rentable de l’Histoire selon le Billboard Boxscore.

Derrière cette tournée surprise se cache alors le besoin de se racheter une conduite auprès des tourneurs pour reprendre le chemin de la scène, lui qui a déjà perdu tous ses contrats le liant à des marques. Il s’est récemment associé à son ancienne collaboratrice Cara Lewis qui doit relever ce challenge que beaucoup de ses homologues ont refusé, pour l’instant très pessimistes quant au succès de la tournée autour de Vultures. Celle en charge de booker l’artiste se voyait jusqu’alors refuser beaucoup de propositions que Kanye sous-entendait récemment comme étant la réponse d’un appel à boycott.

On peut donc voir dans ses listening parties un coup de com pour convaincre de programmer l’artiste qui remplit des salles avec son dernier album, même sans spectacle. L’autre gros coup pour Cara Lewis, c’est d’avoir réussi à l’ajouter au line-up du prochain festival Rolling Loud. La date du 14 mars prochain sera un point déterminant pour envisager la suite des aventures de Kanye West en tournée.

Pourquoi ce n’est pas une arnaque non plus

Tout était dans le titre : une session d’écoute, et les fans se sont déplacés pour ça. C’est une expérience qui peut effectivement paraître frustrante surtout quand on y voit défiler un panel des rappeurs les plus talentueux de cette génération tels que Freddie Gibbs, Rich the Kid ou Quavo que Kanye West a réussi à faire venir pour cinq minutes d’apparition, mais l’annonce était claire et elle a été respectée.

La vraie question est de savoir ce qui amène le spectateur à débourser une somme allant de 90 à 200 euros pour vivre cette soirée. Bien qu’on trouve des qualités indéniables à Vultures 1, ce n’est pas l’expérience vécue avec le projet en quelques jours qui rameute les foules, et les gradins remplis semblent être le témoin de l’héritage musical de Kanye West.

En témoigne un moment révélateur une fois que l’album touche à sa fin et que le parterre de Bercy se vide de ses stars. La note de piano la plus célèbre du rap retentit et l’euphorie s’empare du public d’une manière unique. “Runaway” fait éclater une joie sincère dans l’audience incomparable à la première partie de soirée, quatorze ans après la sortie de My Beautiful Dark Twisted Fantasy, considéré comme une des plus grandes œuvres musicales de l’Histoire. S’en est suivie une vingtaine de minutes où se sont enchaînés les plus grands morceaux de l’artiste. Le poids de son catalogue semble suffire à faire appel à la passion et aux souvenirs des fans et tenir en haleine un public obligé de confronter son amour pour sa musique avec des questions morales.

C’est sûrement, en partie, l’explication derrière l’engouement autour de cet événement, mais on peut imaginer également une demande du public de shows plus ambitieux et, au-delà, de moments de communion comme rarement vécu ce soir-là.

Est-ce que c’est la fin du concert ?

Alors pourquoi autant de monde est prêt à débourser entre 90 et 200 euros pour simplement écouter un album sur haut-parleurs ? Si les seuls mots d'”expérience immersive” ont suffi à exciter l’audience, c’est aussi le résultat de nombreux concerts déceptifs notamment dans le monde du hip-hop. Les playbacks, le désinvestissement dans le show scénique, beaucoup d’artistes ont peu à peu abandonné le challenge que représente le concert et se contentent eux aussi de leur présence. Pas de panique, ce n’est pas pour autant une nouvelle forme de spectacle qui apparaît. Peu d’artistes peuvent prétendre aujourd’hui à réitérer l’expérience et connaître le même succès. Sans compter la fanbase, c’est aussi l’avenir incertain de Ye qui y a contribué.

Avec cet événement, Kanye West arrive malgré lui à questionner sur ce qu’attend le public en payant un ticket pour voir un artiste. S’il ne s’agit pas d’une arnaque ni d’une innovation artistique, on peut se demander ce que les artistes doivent envisager pour créer de l’engouement autour de leurs propres shows.