“Nous, salariées de Because Music et Because Éditions, souhaitons prendre la parole pour mettre en lumière certains faits et affirmer nos prises de position.” Hier, les employées du label Because ont publié un communiqué dans lequel elles dénoncent les agissements sexistes et “l’ambiance sexualisée” dont elles ont été victimes au sein de l’entreprise. Une prise de parole publique qui fait suite à trois mois de péripéties, jusque-là restées privées. Entre les témoignages par dizaines, une enquête interne au label et le licenciement de son directeur général, retour sur le #MusicToo de l’un des plus gros labels indépendants de France.
Tout commence le 1er octobre dernier. L’entreprise est secouée par la publication d’un article de StreetPress relatant les témoignages de cinq femmes accusant le rappeur Retro X d’agressions sexuelles et de viols. Il s’agit d’un artiste signé sous contrat de licence chez Because Music et coédité chez Because Éditions. Le communiqué paru hier décrit une prise de conscience collective et une volonté d’agir de la part des employé·e·s à ce moment-là. Quarante-quatre d’entre eux écrivent alors une lettre au président du label Emmanuel de Buretel, lui demandant de se positionner dans cette affaire et indiquant qu’ils ne veulent plus “continuer à représenter et promouvoir cet artiste”. Le 6 octobre, ce dernier répond par mail, affirmant “vouloir mettre fin à la collaboration entre Because Music et le producteur de Retro X” peut-on lire dans le communiqué.
Cette histoire fait des remous dans les couloirs du label. Les discussions s’échauffent et des cas de sexisme, de harcèlement moral et sexuel, de racisme et même d’homophobie remontent à la surface. “Lors de nos échanges entre salariées, certains noms reviennent trop souvent”, indiquent les signataires du communiqué. “Chacune a son histoire, son ‘anecdote’, son ‘dérapage’ en fin de soirée, sa phrase pleine de sous-entendus sous couvert d’humour, sa blague pas drôle sur sa tenue, des réflexions sur le physique qu’on fait passer pour un compliment”, ajoutent-elles.“On comprend alors que nous ne sommes pas seules, que nos réflexions convergent et que nous partageons les mêmes ressentis et les mêmes ras-le-bol”.
Face à cela, treize femmes prennent les devants et se résolvent à confronter Emmanuel de Buretel à la quarantaine de témoignages qu’elles ont entre les mains. Après lecture, “il propose de débuter immédiatement une enquête interne […] et ainsi prendre, le cas échéant, les décisions qui s’imposeront”, décrivent-elles dans le communiqué. “Il propose également d’organiser des tables rondes animées par un coach professionnel, afin de sensibiliser les salarié·e·s des sociétés Because Music et Because Éditions au sujet des violences sexistes et sexuelles”. Maître Carole Pascarel, avocate au barreau de Paris et vice-présidente de l’association Lawyers For Women, est choisie pour mener cette enquête.
“L’enquête interne est annoncée le 30 octobre à l’ensemble des salarié·e·s et débute le 2 novembre” ,est-il écrit. “Plus de 41 personnes anciennement ou actuellement salariées de l’entreprise, hommes et femmes, des stagiaires à la direction, ont été entendues”. Une fois l’enquête terminée, le rapport est rendu au président Emmanuel de Buretel le 30 novembre. Le document confirme “une ambiance sexualisée […] marquée par des paroles inacceptables et relevant de l’humiliation et du sexisme jusqu’au racisme et à l’homophobie”.
S’ensuivent alors des sanctions de la part de Because Music à l’encontre de deux personnes, en fin d’année 2020. Tahar Chender, directeur général, est licencié pour fautes graves, et un autre employé s’est vu recevoir un avertissement. À côté de ça, une clause contre les violences sexistes et sexuelles a été ajoutée dans le règlement intérieur de l’entreprise et dans les nouveaux contrats d’artistes et de producteurs, indique le communiqué.
Successivement à la publication de ce message des employées, Mediapart a fait paraître hier sa propre enquête. Le site d’information a recueilli huit témoignages d’ex-salariées du label, toutes interrogées entre octobre et décembre 2020 et décrivant elles aussi un environnement “sexiste”, “toxique” et “homophobe”. Surtout, c’est le directeur général Tahar Chender qui est directement visé par les accusations. “À une employée qui réussit haut la main une mission, Tahar Chender aurait demandé si elle a ‘sucé pour y arriver'” peut-on lire dans l’article. “Quand une employée lui explique que l’ambiance de l’entreprise ne lui convient pas, il lui aurait répondu qu’il ‘veut qu’[elle] soit plus chienne'” est-il ajouté.
Le principal concerné a été interrogé par Mediapart le 5 janvier dernier et reconnaît avoir eu “des propos jugés déplacés aujourd’hui mais [qui] étaient faits sur le ton du second degré et ont été acceptés pendant longtemps”. Cependant, quand il s’agit de pointer les violences sexistes et sexuelles pour lesquelles il est mis en cause, le protagoniste répond : “Je réfute tout propos ou insinuation selon lesquels j’ai eu des agissements de ce type dans le cadre de mon travail. Je n’ai jamais eu de comportements de harcèlement ou d’abus de pouvoir, c’est faux”. Tahar Chender a confirmé au site d’informations avoir été licencié.
Le communiqué des salariées de Because Music paru ce mercredi a, quant à lui, reçu le soutien de centaines de personnes sur les réseaux sociaux. Félicitées pour leur courage, elles espèrent que leur prise de parole publique servira d’exemple : “Nous sommes conscientes que dans d’autres entreprises, d’autres situations, la parole peut être plus difficile à libérer, les histoires plus difficiles à entendre, les sanctions plus longues à arriver. Nous tenons donc à envoyer notre soutien aux femmes de l’industrie musicale et aux autres victimes de tels agissements. N’ayons plus peur de parler.”
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