Mostra de Venise : Pourquoi on est très partagé sur Priscilla, le dernier film de Sofia Coppola

Mostra de Venise : Pourquoi on est très partagé sur Priscilla, le dernier film de Sofia Coppola

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Par Manon Marcillat

Publié le

Le film était l’un des plus attendus de cette sélection et, en interne, on n’est franchement pas d’accord.

Au cours de cette 80e Mostra de Venise, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.

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Priscilla, c’est quoi ?

Elvis de Baz Luhrmann est sorti l’an dernier, Priscilla est son antithèse et aucune performance du chanteur (seulement quelques reprises ou versions instrumentales) ne résonnera dans la salle de projection de la Mostra de Venise où le film était présenté en compétition. Après Marie-Antoinette en 2006, Sofia Coppola s’est lancée dans un nouveau projet de biopic, adapté des mémoires Elvis et moi de Priscilla Beaulieu Presley, best-seller mondial publié en 1985 qui raconte sa relation de 13 ans avec le chanteur qu’elle a rencontré à l’âge de 14 ans et l’emprise qu’il a exercée sur elle.

Avec ces droits d’adaptation et Priscilla Beaulieu Presley à la production, Sofia Coppola avait de l’or entre les mains et surtout, une autre version de l’histoire importante à raconter. A-t-elle réussi à transformer ce récit en un bon film de cinéma ? Ça se discute.

Pourquoi on est divisé ?

Manon Marcillat, contre : Priscilla est une nouvelle histoire d’ennui adolescent, comme Sofia Coppola a su en raconter avec talent par le passé. Car outre son très jeune âge, c’est d’abord l’ennui et la solitude de Priscilla Beaulieu — fille unique d’un père militaire muté en Allemagne, loin d’Austin, au Texas, sa ville d’origine — qui vont permettre à Elvis Presley, de dix ans son aîné, d’exercer une telle emprise sur la jeune femme. C’est aussi une nouvelle tragédie féminine. La bonne volonté et la légitimité de la réalisatrice à porter à l’écran ce récit ne sont donc aucunement discutées, mais le résultat final n’est pas à la hauteur de l’ambition.

Sofia Coppola n’oublie jamais la promesse de son titre, celle de nous raconter l’histoire et seulement l’histoire de Priscilla Beaulieu Presley, ou du moins l’histoire de sa relation avec le chanteur. Lui n’existe jamais pour son talent, mais seulement pour son statut de célébrité et uniquement sous les traits de cet homme plus âgé, perpétuellement entouré de son boys club, à qui l’on a présenté cette très jeune américaine pour soigner son mal du pays et tromper sa solitude, qu’il va ostraciser et contrôler jusqu’à devenir violent psychologiquement et parfois physiquement.

À l’inverse, Priscilla n’existe jamais autrement que par son statut de jolie petite poupée d’Elvis, qu’il modèle à son image, en lui imposant tenues, teinture et maquillage à son goût. Et c’est là où le bât blesse car jamais on ne connaîtra Priscilla, pas plus que l’on ne saisira sa véritable personnalité, captera ses émotions ou comprendra ses aspirations et sa psyché alors même que les enjeux psychologiques devraient être essentiels dans un film qui a pour (grande) ambition de s’attaquer à l’emprise d’une star mondiale sur une adolescente. Si Cailee Spaeny, l’actrice qui interprète Priscilla, convainc, c’est néanmoins sans briller, faute de substance et de caractérisation à incarner.

Priscilla est visuellement plaisant, si l’on aime l’esthétique pastel et rétro de Coppola, mais sous le vernis, le récit est linéaire, plat et bien peu inspiré. Sous la caméra de la réalisatrice, les 285 pages de l’autobiographie de Priscilla Presley sont devenues un objet cinématographique de papier glacé et un enfilage de séquences presque semblables, ponctué d’images de pool parties en found footage ou de séances photos au Polaroid, dans un montage façon bande-annonce, basique et sommaire, sans que jamais le film ne nous attrape.

Un beau jour, la Priscilla de Coppola décidera de quitter un Elvis assommé par les médicaments et les drogues, sans heurts et sans bruit faire, au volant de sa belle voiture au son d’une reprise de I Will Always Love You. Qui a-t-elle été, comment a-t-elle réussi à se défaire de son emprise et qui deviendra-t-elle, on n’en saura pas plus. Mais un sentiment de bâclé nous restera en travers de la gorge.

Arthur Cios, pour : Je vais essayer de ne pas répéter ce qui a été dit par Manon sur le fond du sujet, pour expliciter pourquoi j’ai été plus que séduit par la proposition.

D’abord, sur le fond.  C’est non seulement un sujet purement Coppolesque, mais de surcroît très joliment écrit. Tout le monde s’attendait à l’histoire d’un couple, aussi mythique (et problématique) qu’il soit. C’est mal connaître son autrice. Le sujet est, reste et demeure Priscilla. Comment une jeune fille va être subjuguée par une star lui accordant un peu d’attention, comment cette fascination va devenir un amour toxique et comment cette adolescente va, en devant femme et adulte, essayer de s’émanciper et s’affirmer.

Le fait est que Coppola se radicalise, comme nombre de cinéastes. Au fil d’une filmographie plus que solide (malgré quelques ratés récents), la cinéaste a tissé un lien sur ces thèmes d’émancipation adolescente/jeune adulte. Sauf que plus le temps passe, moins la cinéaste cherche à caractériser ses personnages. Si vous comparez Virgin Suicides à Lost in Translation à Marie-Antoinette à Somewhere, on comprend l’évolution de la plume d’une femme qui préfère raconter des instants de vie qui en disent long plutôt que de générer de longs dialogues intérieurs (ou non) permettant de mieux cerner les protagonistes.

En ce sens, Priscilla s’inscrit parfaitement dans cette lignée. En narrant une relation de 13 ans au fil de segments caractéristiques d’une histoire de moins en moins “belle”, de plus en plus compliquée, la réalisatrice inscrit son récit dans sa filmographie avec une logique imparable. Si vous êtes imperméable à l’écriture de Coppola, vous devrez sans doute faire demi-tour.

D’autant plus que sur la forme, il est vrai que le film est un pur film de Sofia Coppola : l’image, le grain, la colorimétrie, les plans, le découpage… Presque un cliché, diraient certains. On oublie au passage qu’avoir un style visuel est quelque chose à valoriser et ne doit pas devenir un objet de lassitude.

En revanche, s’il y a une chose qui détonne et qui se démarque, c’est la représentation de la violence masculine. Le geste de l’autrice de montrer un Elvis aux antipodes du biopic de Baz Luhrmann, abusif, manipulateur, dans le contrôle permanent de la vie de sa conjointe/femme, auteur de violences conjugales, alcoolique et drogué, n’est pas que courageux. C’est salvateur. Avoir un tel poison au milieu d’une fausse douceur pudique détonne du reste de l’œuvre de Sofia Coppola.

Suffisamment pour nous marquer, malgré quelques défauts évidents, et d’autres qualités non évoquées ici.