Lucas B. Masson, créateur de bandes-annonces, nous raconte son expérience, le culot qu’il faut avoir pour percer dans ce domaine si particulier et les enjeux de son métier.
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Lucas B. Masson n’était pas monteur qualifié quand il s’est rendu à Hollywood. Au culot, il a demandé un entretien et s’est fait recommander en France. Depuis, il réalise les bandes-annonces des meilleurs films. La dernière ? Celle de 120 battements par minute, qu’il a dû monter en un temps record, avant que le film ne soit présenté à Cannes et ne reparte avec le Grand Prix du jury.
Aujourd’hui, le jeune homme de 26 ans nous fait découvrir son métier peu commun. Derrière son apparente timidité, il s’est formé tout seul et y est souvent allé au culot. Cette profession, c’est un rêve de gosse. Ses parents ne voulaient pas qu’il regarde de films d’horreur quand il était petit, alors il collait son nez devant les bandes-annonces, qu’il se passait en boucle. Son imagination faisait le reste.
Après une filière scientifique au lycée, Lucas, très geek sur les bords, a enchaîné avec un BTS et une licence de cinéma et techniques à Marne-la-Vallée, sans jamais se spécialiser dans le montage. Une manière de toucher à tout, du son à l’image. En parallèle, à 18 ans, le cinéphile devient assistant-caméra sur quelques films indépendants et clips, comme Méfie-toi l’escargot de Mickey 3D :
En étant un maximum sur le terrain, il veille alors à parfaire son répertoire et se donne toutes les chances de devenir réalisateur. Baby-Sitting, son court-métrage horrifique (forcément), traverse d’ailleurs plusieurs festivals et décroche de nombreux prix. Autoproducteur à cette époque, Lucas paye tout de sa poche. Pour 20 minutes d’images, il dépense au total 2 000 euros :
“Le joli ‘accident’ que l’on a eu, c’est qu’il a eu 50 sélections à l’international. Les États-Unis adorent la french touch dans le genre horrifique. Du coup, on a beaucoup voyagé, ça m’a permis de me faire une carte de visite, de rencontrer beaucoup de monde.”
Des plateaux à la création
Avec son répertoire plutôt bien fourni et son expérience concrète dans le cinéma, le dévoreur de films-annonces − comme on dit dans le jargon − décide ensuite de se lancer dans une nouvelle forme de créativité. Inspiré par la frustration que provoquent les trailers, il aime le fait de distiller les moments forts d’un film, de donner aux gens envie d’aller au cinéma. Pour lui, c’est un boulot de rêve. Mais pas gagné d’avance : “Il n’y a pas d’école de montage de bandes-annonces. Ce n’est pas un travail spécifique, reconnu en tant que tel dans les différents établissements de formation. Mais ça va arriver”, déclare-t-il, confiant.
À Los Angeles, il frappe alors à la porte de Trailer Park, une société spécialisée dans la production de bandes-annonces, et demande à voir le président de l’époque, Benedict Coulter :
“J’étais dans un hôtel et je lui avais écrit une lettre recto-verso, avec le logo de l’hôtel, le truc complètement honteux [rires] ! Je lui disais que j’adorais ce qu’il faisait, que je voulais comprendre comment il avait réussi, comme il était parti de rien. Il m’a rappelé le lendemain. J’étais jeune, j’avais 19 ans. C’était dingue. Mais il n’y a qu’aux États-Unis que ça se passe comme ça.”
À la suite de cet entretien improvisé, Benedict Coulter recommande l’autodidacte à une agence française, Sonia tout court. Il fait ses armes un moment là-bas et réalise alors sa première bande-annonce, celle de L’Élève Ducobu :
Contrairement aux idées reçues, le client pour lequel Lucas travaille ne lui envoie pas des extraits à monter bêtement. Celui-ci doit en effet visionner le film, puis le disséquer pour rapporter l’histoire de manière attractive. La frontière est donc mince entre l’artistique et le marketing.
“Tu es toujours confronté au syndrome de la page blanche”
Chaque bande-annonce est montée différemment − en fonction du genre du film, de sa délicatesse (ou non), du public visé… Mais l’objectif principal est de fabriquer du suspens.
“Pour moi, les meilleures bandes-annonces, c’est celles qui teasent. Qui te laissent sur ta faim. Qui t’en donnent assez pour que tu comprennes de quoi il s’agit, mais pas trop non plus pour justement te dire : ‘Wow, il faut que je voie ce film.'”
Sauf qu’à l’heure des teasers, des trailers et des teasers de trailers, la culture du mystère est devenue rare. Désormais, le client, qu’il soit américain ou français, demande à son prestataire de “résumer” le film, de masquer ses faiblesses, de se concentrer sur tel ou tel aspect attractif… Pour ceux qui débutent, la liberté créative est moindre.
Lucas B. Masson, avec son joli parcours, a maintenant le luxe de pouvoir choisir ses missions. Il reçoit des briefs, avant de se lancer − pas d’ordres rigides − et fait des propositions, qui sont validées ou à modifier. Parfois dans l’urgence :
“C’est un métier où tu es toujours confronté au syndrome de la page blanche. Il y a des films pour lesquels tu sais comment tu vas fabriquer la bande-annonce : une structure évidente se dessine. Mais parfois, il faut changer son fusil d’épaule. Moi, j’ai une méthode assez rigoureuse : je regarde le film en tant que spectateur une première fois, et ensuite je dérushe le film plan par plan, dialogue par dialogue. Tu as forcément besoin d’une connaissance très précise de ton matériel si tu veux pouvoir l’optimiser au mieux.”
En sept ans d’exercice, le Parisien a su s’adapter, en voyant les choses évoluer − surtout aux États-Unis qui accordent bien plus d’importance et de budget aux bandes-annonces. Il y a des modes de montage, des évolutions artistiques, qu’il faut vite intégrer pour pouvoir rester dans le coup. Les gros vrombissements pour les films d’action, c’est toujours d’actualité, les cuts, la comédie avec des chansons de rap américain… La force de Lucas, outre sa passion, c’est sa capacité à surfer sur tous les genres. La preuve en images. Voici quelques-uns de ses travaux, que vous avez sûrement déjà vus :