Menacée parce qu’elle soutenait le droit à l’avortement, une prof d’art a été arrêtée par la police

Menacée parce qu’elle soutenait le droit à l’avortement, une prof d’art a été arrêtée par la police

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© Gayatri Malhotra via Unsplash

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Par Lise Lanot

Publié le

Après avoir reçu insultes et menaces par centaines, la professeure d’art et artiste Shellyne Rodriguez a été arrêtée par la police new-yorkaise et virée de son établissement.

Le mois dernier, l’université de Hunter à New York décidait de licencier l’artiste et professeure Shellyne Rodriguez, non pas en raison de ses cours mais d’une altercation survenue au début du mois de mai entre la peintre et des élèves militant contre le droit à l’avortement. Le groupe d’élèves, faisant partie de l’organisation conservatrice Students for Life of America, avait installé dans l’université une table recouverte de prospectus imaginant la “douleur des bébés pas encore nés” et présentait à leurs camarades des reproductions de fœtus en caoutchouc qui narraient, à l’écrit et à la première personne, leur expérience traumatisante fictive.

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Filmée à son insu, Shellyne Rodriguez s’était élevée contre cette action, la qualifiant de “propagande”, tout en soulignant à quel point elle pouvait être violente à vivre pour certain·e·s de ses élèves. Face à la non-réceptivité des étudiant·e·s, la professeure avait fini par envoyer valser les prospectus en leur demandant de “virer ces merdes”.

La scène, de trente secondes à peine, a été publiée sous le nom ostensiblement clickbait de : “La plus ÉNERVÉE des profs en faveur du droit à l’avortement PÈTE UN CÂBLE contre des étudiants contre l’avortement”. Sommée par la direction de l’établissement (qui avait autorisé le stand anti-avortement des élèves) de s’excuser, Shellyne Rodriguez a fini par obtempérer.

Partagée sur les réseaux sociaux “pro-life” et conservateurs, la vidéo a déclenché une vague de harcèlement contre l’artiste. En plus de recevoir des centaines de mails racistes, homophobes et sexistes lui conseillant notamment de “se suicider” ou exprimant un regret qu’elle n’ait “pas été avortée”, Shellyne Rodriguez a été menacée à son domicile.

Le matin du 23 mai 2023, le journaliste du média conservateur New York Post Reuven Fenton s’est rendu chez l’artiste avec une équipe, “tapant à sa porte sans avoir utilisé l’interphone de l’immeuble au préalable”, précise Hyperallergic. Terrifiée, Shellyne Rodriguez les a invités à “dégager” avant de leur ouvrir, une lame à la main, qu’elle aurait placée face au reporter. Prévoyants, Reuven Fenton et son équipe l’attendaient caméra à la main afin d’enregistrer son angoisse et “prouver” la supposée violence de l’artiste. C’est à la suite du visionnage de la vidéo que l’université a licencié l’enseignante, arguant “fermement condamner [ses] actions inacceptables”.

De son côté, Shellyne Rodriguez explique avoir agi de la sorte sous pression, après des semaines passées à recevoir des menaces de mort, tel qu’elle le partageait auprès de Hyperallergic. “Tout cela a eu un impact sur ma santé mentale, je me sentais en danger, j’avais peur, légitimement, qu’ils se pointent chez moi et me fassent du mal, comme c’est arrivé à tant d’autres femmes qui ont vu leurs informations personnelles partagées dans des cas de harcèlement politique.”

Une spirale infernale

Le lendemain de son renvoi, l’enseignante a été arrêtée par la police new-yorkaise. Un·e porte-parole de la NYPD a déclaré qu’elle risquait d’être poursuivie pour harcèlement et menaces sans donner plus de détails pour le moment. L’artiste a rappelé à quel point l’incident était loin d’être isolé et était plutôt symptomatique d’une droitisation constante de la société.

“Ils m’ont utilisée comme un prisme sur lequel projeter leurs attaques contre les femmes, les personnes trans, les personnes noires, latinx, les personnes migrantes et au-delà”, se désole-t-elle. Le courage et le militantisme de l’artiste ne datent pas d’hier, on les retrouve également dans sa vie ou dans ses œuvres, tel que l’expose son site où on lit que “sa pratique mêle textes, peinture, collages et sculptures afin de décrire des lieux et des sujets engagés dans des stratégies de survie contre l’effacement et la soumission”. Une lecture bien amère au vu des événements récents.