Mais c’est quoi, cette nouvelle loi qui met en péril les artistes et les ventes d’œuvres ?

Mais c’est quoi, cette nouvelle loi qui met en péril les artistes et les ventes d’œuvres ?

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© Zalfa Imani/Unsplash

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Par Konbini avec AFP

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Le monde de l’art s’insurge contre une directive européenne sur la TVA des œuvres d’art. Faisons le point.

Artistes, galeristes et marchand·e·s d’art sont vent debout contre une directive européenne sur la TVA, qui risque de “mettre en péril” le marché de l’art en France. Très technique, la directive a été adoptée à l’unanimité par les 27 États membres de l’UE en avril 2022 et est censée être transposée en droit français avant le 1er janvier 2025.

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Si elle était transposée sans modification dans le droit français, elle reviendrait à rendre inapplicable le régime spécial actuel : elle empêche le secteur de cumuler un taux réduit de TVA à 5,5 % à l’achat d’une œuvre d’art et “la TVA sur la marge” (la différence entre le prix d’achat et le prix de revente) de 20 %. La TVA des artistes vivant·e·s et celle visant l’importation des œuvres non communautaires se retrouveraient multipliées par près de quatre.

Sollicité par l’AFP, le ministère de l’Économie s’est dit “conscient de leurs inquiétudes” et a annoncé démarrer des discussions et réunions, qui visent à “les informer du calendrier et des différentes options à l’étude”, selon Bercy.

Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif de plus de 120 artistes plasticien·ne·s, parmi lesquels Gérard Garouste, ORLAN, Daniel Buren, Sophie Calle, JR, Annette Messager, Jean-Michel Othoniel ou Zineb Sedira, disent “donner l’alarme” concernant cette directive qui représente “une menace pour la scène artistique française”.

“C’est en effet tout un écosystème qui est en péril dont participent les institutions, le marché et nous, les artistes” car “dans un système mondialisé où nos œuvres se vendent au même prix à Paris, Bruxelles, Londres, Hong Kong ou New York, la multiplication de cette TVA par quatre découragerait tout achat d’œuvres en France, et par là même leur circulation et au final leur présence en Europe et en France”, ajoutent ces artistes.

“Balle dans le pied”

Cette directive “aboutira à un assèchement du patrimoine et à une réduction de l’offre culturelle à l’heure où Paris avait retrouvé son importance sur le marché de l’art international et la toute première place en Europe”, prévient la lettre ouverte.

Si la France reste au quatrième rang mondial derrière les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, avec seulement 7 % du total cumulé des ventes, elle représente “environ la moitié du marché de l’art au sein de l’UE”, rappelle Franck Prazan, qui dirige Applicat-Prazan, l’une des principales galeries d’art moderne françaises, spécialisée dans les années 1950.

“Cette directive, c’est de facto la mort du système de la marge. Soit on multiplie par près de quatre la charge d’acquisition des œuvres, soit on fait supporter une hausse de 20 % à la revente. Dans les deux cas, le marché s’effondre”, résume-t-il. Il dénonce “une barrière douanière artificielle autour de l’UE qui équivaut à tirer une balle dans le pied de la France, beaucoup plus concernée que tous les autres pays de l’UE”.

“Engagements fermes”

Même constat pour la galeriste Nathalie Obadia, qui parle d’une directive “catastrophique”. “Elle risque de mettre en danger toute la scène artistique française, des artistes aux galeries en passant par les fournisseurs et tous ceux qui l’accompagnent et la soutiennent”, dit-elle.

Marion Papillon, présidente du comité professionnel des galeries d’art, qui en représente plus de 300, “regrette que les professionnels du secteur n’aient pas été consultés en amont” et attend “des engagements fermes” de la part du gouvernement.

“Environ 120 000 emplois, directs ou indirects, au total, sont concernés”, selon Benoît Sapiro, à la tête de la galerie Le Minotaure et vice-président du comité des galeries. “Si elle est appliquée comme telle, la directive détournera les acteurs vers d’autres pays et placera la France dans une situation très défavorable, à un moment où elle est devenue la porte d’entrée du marché en Europe depuis le Brexit”, souligne-t-il.

“Avec le risque que les grandes galeries internationales qui se sont installées récemment à Paris repartent, tout comme la grande foire d’art contemporain Art Basel, leader mondial du secteur, qui vient d’arriver” dans la capitale française. “Cette décision serait fatale pour le marché de l’art français, qui connaît actuellement une renaissance. L’augmentation de la TVA y mettrait un terme brutal”, tranche le galeriste international Thaddaeus Ropac, propriétaire de galeries à Londres, Paris, Salzbourg et Séoul.

Sur la piste d’une option “plus favorable”

Le ministère de l’Économie a proposé vendredi, lors d’une première réunion, de travailler sur “deux options”, dont l’une “plus favorable” au secteur, mais qui suppose “un coût” encore non chiffré pour les finances publiques. “Une concertation va débuter avec les professionnels du secteur dans les jours qui viennent avec Bercy et le ministère de la Culture pour qu’une décision soit prise cet été, pour une disposition inscrite dans le projet de loi de finances (PLF) 2024 qui sera ensuite examinée par le parlement cet automne. On souhaite aboutir d’ici fin 2023 sur la transposition de la directive”, a précisé le ministère de la Culture lors d’un point presse téléphonique avec Bercy.

C’est “une grande directive qui concerne l’ensemble des taux de TVA et pas seulement celles applicables au secteur culturel. La France, s’agissant du taux applicable à l’art, s’est battue pour maintenir le taux actuel mais n’a pas obtenu gain de cause”, a expliqué Bercy.

“Si la directive nous empêche de maintenir notre système actuel, elle nous permet d’étendre le taux réduit [de 5,5 %] à l’ensemble des transactions […], ce qui est vu favorablement par le secteur, mais aura un coût pour les finances publiques qui n’est pas encore chiffré”, a indiqué le ministère de l’Économie, en relevant la volonté du gouvernement de concilier le respect de la conformité à la directive européenne et l’importance du marché de l’art pour la France.

Une deuxième option, exclue par les acteur·rice·s du secteur, maintiendrait le taux de TVA actuel sur la marge de 20 % à la revente mais supprimerait le taux de 5,5 % à l’acquisition, qui passerait à 20 %. Interrogée par l’AFP, la présidente du comité professionnel des galeries d’art Marion Papillon, qui fera partie du groupe de travail, a jugé positivement cette première rencontre.

Selon elle, le secteur a demandé une étude d’impact concernant la première option. Si elle était confirmée, “on sortirait d’un régime spécial pour entrer dans un régime général, mais avec des garanties, au même titre que le régime appliqué au livre”, a-t-elle estimé.