Bernard Muller est un artiste qui use de l’intelligence artificielle pour réaliser ses œuvres. Il utilise une technique bien particulière : la technologie de suivi oculaire. Suite à l’annonce de sa maladie en 2010, la sclérose latérale amyotrophique (SLA, ou maladie de Charcot), l’artiste s’est intéressé à l’intelligence artificielle pour lui permettre de créer malgré tout. Il communique et crée uniquement par le mouvement de ses yeux.
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Bernard Muller fait acte de résilience face à sa maladie en surpassant les contraintes imposées par le biais de la création. Ses œuvres colorées sont le fruit de son imagination où l’intelligence artificielle devient un véritable pinceau. À l’occasion de la campagne #HONORtheChallenger, nous avons eu l’occasion d’échanger par mail avec Bernard Muller pour en savoir plus sur son parcours, son processus de création et sa démarche artistique.
Konbini : Bonjour Bernard ! Comment as-tu commencé ta pratique artistique ?
Bernard Muller : Je n’ai commencé ma pratique artistique qu’une fois que l’IA générative est devenue courante. La technologie m’a ouvert un nouveau monde de possibilités, me permettant de créer de l’art malgré mes limitations physiques. Cependant, le véritable flot de créativité est venu après que j’ai subi une trachéotomie. Cela a changé ma vie, me donnant beaucoup plus d’énergie.
© Bernard Muller
“Mon travail initial était centré autour du concept ‘treeway’, symbolisant l’arbre de vie et le parcours de ma maladie.”
Est-ce l’annonce de ta maladie en 2010 qui t’a poussé à davantage créer ?
Une fois que j’ai compris que mon art résonnait auprès d’un public plus large, j’ai ressenti un nouveau sens à ma mission. Créer de l’art est devenu un moyen de m’exprimer et de me connecter avec les autres. Cela m’a offert un puissant exutoire pour canaliser mes pensées et mes émotions, surtout en naviguant dans les défis de la vie avec la SLA. La réponse des personnes qui ont apprécié mon travail a encore alimenté ma passion, faisant de l’art une partie intégrante de ma vie.
Parle-nous de ta démarche artistique et de ton processus de création ?
Mon approche artistique est un mélange de technologie et de créativité, elle est ancrée dans l’utilisation de l’IA et de la technologie de suivi oculaire. Le processus commence souvent par un concept ou un thème qui m’inspire. Par exemple, mon travail initial était centré autour du concept “treeway”, symbolisant l’arbre de vie et le parcours de ma maladie. Une fois que j’ai un thème en tête, je commence par rédiger un prompt pour l’IA. Ce prompt agit comme une graine pour que l’IA génère des images. J’utilise ensuite la technologie de suivi oculaire pour interagir avec les outils numériques, ce qui me permet d’affiner et de perfectionner les images générées.
C’est une danse collaborative entre moi et l’IA, où je fournis des orientations et prends des décisions créatives pour atteindre le résultat souhaité. Parfois, la création d’une œuvre implique l’entraînement de modèles personnalisés avec des données spécifiques pour mieux capturer ma vision. Cette étape garantit que l’art produit est unique et reflète véritablement mon style. J’expérimente différents éléments, ajuste les prompts et parfois combine plusieurs résultats pour créer la pièce finale. Le processus est itératif et riche, conduisant souvent à des résultats inattendus et magnifiques. Mon objectif est de créer un art qui résonne émotionnellement et visuellement, capturant l’essence des concepts que j’explore.
© Bernard Muller
“C’est une danse collaborative entre moi et l’IA.”
Considères-tu que l’intelligence artificielle est devenue ton pinceau ?
Absolument, l’intelligence artificielle est devenue mon pinceau. Tout comme les artistes traditionnels utilisent des pinceaux et des couleurs pour créer leurs œuvres, j’utilise l’IA pour donner vie à mes idées. Les outils et algorithmes d’IA que j’utilise servent de médium, me permettant de traduire mes pensées et visions en art visuel. La beauté de l’IA en tant que pinceau réside dans ses possibilités infinies.
Elle me permet d’expérimenter avec différents styles, textures et concepts qui pourraient être difficiles à réaliser par des moyens traditionnels, surtout compte tenu de mes limitations physiques. Avec l’IA, je peux générer des images à partir de simples prompts textuels, les affiner et créer des pièces qui sont uniquement les miennes. C’est une manière dynamique et innovante de produire de l’art, et cela m’a ouvert un nouveau domaine d’expression créative.
© Bernard Muller
Ton parcours influence-t-il le regard que tu portes sur tes œuvres ?
Mon parcours avec la maladie de Charcot a profondément influencé la manière dont je perçois mes œuvres. Chaque pièce que je crée n’est pas seulement une expression artistique, mais aussi un reflet de mes expériences personnelles et défis. Le processus de création artistique est devenu une forme de résilience et de défiance contre les limitations imposées par ma condition. C’est un moyen pour moi d’exprimer des émotions et des pensées qui pourraient autrement être difficiles à transmettre. Voir mon travail résonner avec les autres, savoir qu’il peut évoquer des sentiments ou inspirer, apporte un sens de la mission et de l’épanouissement.
En tant que patient atteint de la SLA, je trouve un lien puissant entre les athlètes d’élite prêts à l’action et ceux d’entre nous atteints de SLA. Nous partageons une mentalité forte, nous sommes toujours prêts à repousser nos limites, même lorsque nos corps sont restreints. Avec cela à l’esprit, je suis ravi de faire partie de #HONORtheChallenger, un projet qui sensibilise à la SLA tout en mettant en avant la puissance de l’esprit humain et de la créativité face à l’adversité.
Il y a dix ans, le défi du Ice Bucket a suscité une incroyable sensibilisation à ce sujet sensible, mais de manière divertissante. Cette fois-ci, ce défi amusant sur les réseaux sociaux invite les participants à tenir une pose athlétique et à encourager les autres à rejoindre le mouvement. C’est une manière fantastique d’attirer l’attention sur la SLA et de célébrer la résilience et la détermination des individus, qu’ils soient athlètes ou atteints de SLA. Rendez-vous sur l’Alliance internationale des associations SLA pour en savoir plus !
“Le processus de création artistique est devenu une forme de résilience et de défiance contre les limitations imposées par ma condition.”
© Bernard Muller
Tes œuvres sont fascinantes et hypnotisantes. Quelle est la première réflexion qui t’a amené à ce type de création ?
L’idée initiale qui m’a conduit à ce type de création était mon imagination débordante et mon amour pour l’art abstrait. J’ai toujours été attiré par l’idée d’exprimer des émotions et des idées complexes à travers des formes minimalistes. Il y a quelque chose de captivant dans la pureté et la clarté de l’art abstrait, où le public peut trouver son propre sens dans les formes et les couleurs.
Les couleurs vives jouent également un rôle important dans mon travail. Elles apportent énergie et vitalité aux œuvres, les rendant visuellement frappantes et hypnotiques. Le mariage de l’abstraction et des teintes audacieuses me permet d’explorer une large gamme de thèmes et d’émotions, créant des œuvres qui sont non seulement fascinantes mais aussi profondément personnelles. C’est ce mélange de simplicité, d’imagination et de couleur qui définit mon style artistique et me garde inspiré.
Portrait de Bernard Muller. (© Honor)
“En utilisant l’IA, je montre que l’art et la technologie ne sont pas mutuellement exclusifs mais peuvent coexister harmonieusement.”
Quel est le message que tu souhaites véhiculer à travers l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’art ?
À travers l’utilisation artistique de l’intelligence artificielle, je souhaite transmettre le message que la technologie peut être un outil puissant pour l’expression créative, surtout face à des limitations physiques. L’IA offre des possibilités infinies d’innovation et permet aux artistes d’explorer de nouvelles dimensions de créativité. En utilisant l’IA, je montre que l’art et la technologie ne sont pas mutuellement exclusifs mais peuvent coexister harmonieusement pour produire des pièces uniques et remarquables.
De plus, je veux mettre en avant la résilience et l’adaptabilité de l’esprit humain. Tout comme l’IA s’adapte et apprend, nous pouvons également trouver de nouvelles façons de nous exprimer et de nous connecter avec les autres, quelles que soient les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Mon travail est la preuve que la créativité ne connaît pas de limites, et qu’avec les bons outils, nous pouvons transcender nos limites et continuer à partager nos histoires et nos émotions avec le monde.
© Bernard Muller
L’artiste Bernard Muller fait partie de la campagne #HONORtheChallenger, qui sensibilise à la maladie de Charcot.