Les 23 de 2023 : Drea Dury, la latin madonna belgo-colombienne à la musique brûlante

Les 23 de 2023 : Drea Dury, la latin madonna belgo-colombienne à la musique brûlante

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© Clotilde Billiette

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Par Flavio Sillitti

Publié le

"Quand on me traite de blédarde, je précise que je suis une blédarde de luxe."

Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets.

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En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteur·rice·s prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportif·ve·s en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.

La fiche d’identité de Drea Dury, chanteuse, 26 ans

  • Son signe astro ? Taureau.
  • Son porte-bonheur ? Une image de Jésus et une feuille que sa mère lui a donnée.
  • Comment elle aborde 2023 ? No strategy. Juste kiffer et vivre la vie, c’est tout.
  • Le·a GOAT du reggaeton selon elle ? Tego Calderón.
  • Son feat de rêve ? Rihanna (même si c’est pour lâcher un petit “oh yeah” dans un morceau, c’est bon).

“À travers ma musique, j’ai envie que les gens fassent le voyage que j’ai fait dans ma vie.”

Portrait. Quand on rencontre Drea Dury, le temps d’un appel vidéo en toute intimité et sympathie, on sent la chaleur et l’esprit pétillant de cette enfant du soleil. Née à Cali en Colombie, dans un environnement gorgé de culture et de musique, la jeune femme s’installe en Belgique à ses 19 ans et décide d’y développer sa musique. Une participation remarquée à The Voice France et un featuring avec Will.i.am plus tard, voilà qu’elle débarque sous nos radars avec un projet artistique coloré autant par ses terres natales que par son Europe d’adoption.

“Dans ma musique, j’intègre des éléments de musiques traditionnelles latinos : de la salsa ou de la bachata, par exemple. Après, ces bases sont toujours revisitées et mêlées à mes influences personnelles ou à celles des producteurs qui m’entourent. C’est un mélange de tradition et de modernité.”

“Visuellement, j’aime me mettre dans la peau de ce que pourrait être la Vierge d’aujourd’hui, en mode ‘Modern Latin Madonna’.”

Une musique qu’Andrea (de son vrai prénom) qualifie elle-même de “new wave latin”, et qu’il nous tardait de voir débarquer sur la scène musicale française. En l’occurrence, c’est sous les couleurs noir-jaune-rouge qu’elle évolue — encore un·e Belge qui a de l’avenir ! Mais ses sonorités ne se limitent à aucune nationalité ou territoire, aussi bien teintées d’afro, de pop, de R’n’B ou de reggaeton. Le tout avec une esthétique léchée, articulée autour d’un personnage de “latin madonna” proche de sa personnalité.

“La latin madonna, c’est un mélange de Madonna, la queen suprême de la pop, et la figure religieuse de la Vierge. Dans ma démarche artistique, j’aime m’inspirer de là où je viens, la Colombie. Et si j’aime l’art religieux, c’est parce que c’est une grande partie de notre culture populaire en Amérique latine. Visuellement, j’aime me mettre dans la peau de ce que pourrait être la Vierge d’aujourd’hui, en mode ‘Modern Latin Madonna’.”

“Quand tu es un·e expatrié·e, tu peux vite te sentir perdu·e.”

“J’ai grandi dans un environnement où la musique était partout. Mon père est chef d’orchestre, et j’ai passé beaucoup de moments avec lui pendant ses répétitions, que ce soit avec son orchestre de musique classique mais également de musique salsa”, se souvient Drea. “Cette fusion que mon père faisait entre le classique et la salsa m’a beaucoup marquée. J’ai grandi entourée de tou·te·s ces artistes avec qui il travaillait, et chacun·e de ces personnes m’influence encore aujourd’hui.”

Forte de toutes ces rencontres, la Colombienne s’installe en Belgique pour se lancer dans des études d’arts visuels, la chaleur de son pays dans le cœur et une tonne de possibles face à elle. “Je dis souvent que quand je suis arrivée en Europe à 19 ans, je me sentais comme le personnage d’Eddie Murphy dans Un Prince à New York. Tout était une découverte.” Une expérience de vie formatrice, qui la traînera à fouler les scènes ouvertes de la capitale belge, éveillant par la même occasion cette vocation d’artiste logée en elle.

Mais cette vie passée entre les deux continents donnera aussi naissance à ce sentiment particulier de double identité, de laquelle elle puisera finalement une force. “Quand tu es un·e expatrié·e, tu peux vite te sentir perdu·e. J’ai été partagée entre le fait d’être dans un endroit où personne ne me connaissait, et le fait qu’à la maison, j’étais perçue comme celle qui était partie, alors que tout le monde était resté au pays. Tout ça m’a donné le sentiment d’être perdue, de n’appartenir à nulle part. Et puis, avec le temps, je me suis rendu compte que c’était notre force à nous, les immigrant·e·s : on apprend plusieurs langues, on a une richesse et une variété d’expériences plus grande.”

“Blédarde de luxe.”

Si l’assurance habite la jeune femme de 26 ans, ne méprenez pas sa confiance en elle pour de l’arrogance. C’est que Drea Dury et sa personnalité bien marquée ont dû se faire respecter pour avancer. Un rapport aux autres et à elle-même qu’elle résume par une expression atypique mais pleine de symbolique : “blédarde de luxe”. “De base, ‘blédard’ c’est un mot dénigrant, qu’on me disait un peu pour rire vis-à-vis de mes maniérismes, de mon attitude ou de la façon dont je parle. Et quand on me traite de blédarde, je précise que je suis une blédarde de luxe, bitch. Ça m’a appris à avoir confiance en moi, à ne pas accepter le jugement des autres.”

Une insulte réutilisée en marque de fabrique, et qui fait également écho au ‘bled’, ce rapport à chez soi qui transcende les premiers clips de la chanteuse. À l’image de “Tellem”, qui nous plonge dans le quartier populaire de Comuna 21, “qui est un peu le ghetto de Cali” comme elle nous l’indique. Et si ce choix s’est posé, c’est moins par stratégie d’exotiser une zone reculée que par l’envie profonde de mettre en lumière les talents qui y vivent. “J’avais envie de travailler avec les danseurs de Comuna 21, tout simplement car je ne pouvais pas trouver des gens plus talentueux qu’eux. Je ne viens pas de ce quartier, je n’ai pas vécu dans un environnement défavorisé ou isolé, mais à travers ma musique, j’avais envie de dépasser cela, d’autant plus que les disparités sociales sont très marquées en Colombie.”

Des décors qui s’éloignent des plages paradisiaques et des décors frappés par le soleil qu’on s’imagine en premier lieu quand on pense à cette région du monde. “Évidemment, quand j’ai sorti ce clip, mes proches m’ont demandé pourquoi je n’avais pas choisi les beaux endroits touristiques. Mais j’avais envie de montrer cet endroit que je trouve si beau et authentique, avec les gens de là-bas, pour qu’ils puissent se sentir représentés.”

Au-delà de sa volonté de célébrer cette “Colombie moins visible”, elle nous parle également de l’importance de partager avec le secteur colombien les opportunités que lui offre son parcours en Europe : “Pour le clip de ‘Lick’, j’ai eu la chance d’être entourée de pointures comme le réalisateur Guillaume Durand et le chorégraphe Nicolas Huchard. Et je voulais que le reste de l’équipe soit composé de professionnel·le·s colombien·ne·s, pour qu’ils et elles profitent de cette collaboration unique également. J’aime générer ce genre de rencontres à travers mon projet.”

“Je danse beaucoup. Quand je ne vais pas bien, ça me fait me sentir mieux.”

Dans ses titres, Drea Dury raconte les histoires de tous les jours, les romances éphémères, les rencontres qui électrisent, les regards qui en disent long. Ces histoires, elle les puise autant chez elle qu’ailleurs, maîtrisant l’exercice de la narration dans la peau des autres. “Je suis un peu commère, dans le sens où j’aime écouter les histoires de mes potes, prendre des notes. Et du coup, certains de mes sons ne parlent pas de mes histoires, mais de celles des autres.” Des récits universels, dans lesquels on se plonge et, parfois, se reconnaît. “Je ne genre pas mes morceaux : je ne parle ni d’un homme, ni d’une femme, car je veux que tout le monde puisse se les approprier.”

@dreadury 🌹 #fypシ #latino #fypシ #fyp #parati #para #paratii #paravoce #tiktokcolombia ♬ tatanhc ana mile - Tatan Pachanga Herná

Quand elle ne parle pas d’amour, la chanteuse n’hésite pas à se dévoiler sensible et authentique. Mais même dans ses élans de vulnérabilité, elle n’en oublie pas la fibre dansante et émancipatrice qui fait sa force. “Je danse beaucoup. Quand je ne vais pas bien, ça me fait me sentir mieux. J’ai beaucoup de sons comme ‘Sola’ qui sont un peu schizophrènes, qui parlent de choses qui me font pleurer, mais que je raconte de façon dansante et rythmée.” 

“Personne n’allait croire en moi à ma place.”

Le féminisme de Drea Dury est aussi naturel qu’indéfectible. Sans forcer l’activisme dans des démonstrations pompeuses, la jeune femme de 26 ans s’inspire des autres femmes de sa vie pour se forger une mentalité de battante qui l’a menée à ce qu’elle est aujourd’hui. “Ma mère, mes tantes, ma manageuse. J’aime voir comment ces femmes se débrouillent et s’expriment dans la vie de tous les jours. Je suis aussi inspirée par des icônes comme Celia Cruz, qui a réussi à s’imposer dans le monde très masculin de la salsa. Et le plus beau chez elle, c’est qu’elle s’est fait sa place sans que ce ne soit une bataille. C’est ce que je me souhaite : me faire ma place en faisant ce que j’aime.”

Une sororité qui s’est avérée indispensable pour elle, dans un milieu aussi impitoyable que celui de la musique. C’est d’ailleurs dès ses débuts que la réalité du secteur lui est tombée dessus, dans une période de Covid qui n’a rien arrangé pour personne, et encore moins pour les artistes en développement.

“Mon premier disque Atardece, ça a été une grosse bataille pour le sortir. C’était une période compliquée, pendant laquelle je n’étais pas forcément bien entourée. On ne me laissait pas partager ma musique, on voulait me faire prendre une direction qui ne me plaisait pas. Et j’ai voulu abandonner, mais je suis contente de m’être fiée à mon intuition et d’avoir terminé ce disque comme il était, seule.

Parce que si ce n’était pas moi qui croyais en moi, personne n’allait croire en moi à ma place. J’ai croisé la route de ma manageuse, Anissa. Elle m’a comprise directement, et, ensemble, on a sorti ce disque. Et le nom Atardece (coucher de soleil, en français) résume un peu tout ça : même le soleil doit se coucher pour mieux briller le lendemain. Le disque se finit d’ailleurs sur un vocal de ma mère qui m’encourage à un moment où je voulais vraiment tout abandonner.”

“La musique latine rassemble tellement de choses.”

“C’était logique pour moi de chanter dans les trois langues, car je les utilise toutes les trois au quotidien.” Dans ses tout premiers morceaux, Drea Dury s’est limitée à l’espagnol et à l’anglais, mais son dernier single indique un vrai parti pris : le trilinguisme. Un mélange des trois langues qui l’ont vue grandir, et qui se marient avec finesse dans un morceau qui fait voler les mots et sauter la barrière de la langue à coups de beats et mélodies enivrantes.

Un coup de génie que la musique hispanique semble déjà réaliser depuis plusieurs années, avec des artistes au succès planétaire comme Bad Bunny ou Rosalía qui s’exportent partout où on ne les comprend pas forcément. Dans une conversation passionnée et passionnante sur ce phénomène en pleine expansion, Drea explique :

“Je pense que la musique hispanique dépasse la barrière de la langue, car c’est surtout une histoire de rythmes qui sont eux-mêmes universels. La musique latine rassemble tellement de choses : l’Europe nous a ramené le piano, l’Afrique nous a ramené les congas [une percussion, ndlr], les Indigènes nous ont ramené la gaïta [une flûte, ndlr]. Et donc aujourd’hui, énormément de peuples, par leur culture, se sentent connectés à la musique latine, car c’est le résultat de l’héritage de tellement de gens dans le monde.”

“J’ai une facilité à parler de sexualité, sans devoir tomber dans le côté vulgaire. Parce que parler de sexualité en tant que femme, c’est important.”

“Je viens d’un pays où le traitement du corps de la femme est assez spécifique : la chirurgie plastique est courante et fait partie de la culture. Montrer son corps, c’est parfois très personnel, et ça ne veut souvent pas dire grand-chose de sexuel.” Si le rapport au corps arrive naturellement dans la conversation, c’est que l’art de Drea Dury est une célébration de sa féminité, de sa corporalité et surtout de la liberté qu’elle a de les laisser s’exprimer. “J’ai une facilité à parler de sexualité, sans devoir tomber dans le côté vulgaire. Parce que parler de sexualité en tant que femme, c’est important. Si on était plus libre de s’exprimer sur ce qu’on aime, ça rendrait plus claires les choses qu’on n’aime pas. Et ça arrangerait pas mal de choses.”

De quoi inévitablement générer des réactions diverses et variées, à l’image de la réception du clip de “Lick” :

“En Amérique latine, beaucoup de gens félicitaient ma chorégraphie, tandis qu’en Europe beaucoup se sont arrêtés à ma tenue et mon côté sexy. J’ai eu des femmes qui m’ont dit à quel point ça leur rappelait leurs moments de liberté, quand elles dansent seules dans leur chambre ; tandis que des hommes n’ont vu que le côté sexuel du clip.

Et c’est intéressant, car pour moi, le mal est dans l’œil de celui qui le regarde. La notion de ‘sexy’, c’est très personnel aussi. Dans le clip de ‘Tellem’, je suis en habits de sports de tous les jours, mais je me sens tout aussi sexy que dans le clip de ‘Lick’, dans lequel je suis plus dénudée. Être sexy, c’est un état d’esprit.”

Les recos de Drea Dury

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