Les 23 de 2023 : Daniel Sicard, le “chef curieux” qui vous fera aimer l’orchestre

Les 23 de 2023 : Daniel Sicard, le “chef curieux” qui vous fera aimer l’orchestre

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© Solal Moisan

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Par Pierre Bazin

Publié le , modifié le

"Au début, je voulais amener les gens au classique, mais maintenant je veux juste faire plaisir aux gens."

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Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets.

En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteur·rice·s prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportifs et sportives en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.

La fiche d’identité de Daniel Sicard, chef d’orchestre, 26 ans

  • Son meilleur moment de 2022 ? Sa participation avec le Curieux Orchestre au Z Event 2022 aux côtés de Little Big Whale et PV Nova.
  • Sa personnalité préférée ? Camille Étienne (“elle va me tuer”, dit-il en riant) ainsi que son père pour sa vision de l’humain et son “culte de l’imperfection” qui pousse les gens vers le meilleur d’eux-mêmes.
  • Ça fait quoi, d’être jeune en 2023 ? Une chance de pouvoir vivre sa crise de la quarantaine à 25 ans, que sa quête du sens commence plus tôt.
  • Est-ce que le kazoo a sa place dans un orchestre ? Tout à fait, tous les instruments ont leur place.

“J’ai toujours vu la musique comme un medium et pas une fin en soi.”

Portrait. De tous les chefs d’orchestre que l’on peut croiser, Daniel Sicard est un cas à part. D’ailleurs, il préfère se présenter comme directeur artistique et musical, laissant la casquette de “chef” à d’autres, mais nous y reviendrons.

Comme on peut s’y attendre, la musique est déjà présente dans le berceau de ce jeune toulousain. Ses parents musiciens sont particulièrement portés sur la musique tzigane et c’est cette manière de jouer pour les autres qui subsistera jusqu’à aujourd’hui, avec son lot d’embûches et de déclics sur le chemin. “Pour moi, la musique, ça a toujours été un moyen de vivre son humanité, ses émotions.”

Alors qu’il pianote depuis ses premiers pas, sa vision va vite s’entrechoquer avec un univers beaucoup plus froid, celui du conservatoire. “Là-bas, la musique est un résultat, une fin en soi.” Il ne passera que quelques mois au conservatoire de Toulouse, un court temps qui suffira à le “dégoûter” du milieu. Ce n’est pas tant l’exigence qui le dérange, mais plutôt l’esprit de performance, de compétition qu’il y retrouve, et ce dès les premières années de formation. “C’est un moule dont il ne faut pas dépasser”, explique-t-il.

Dix ans. L’aversion est telle que Daniel fait dix ans de pause sérieuse dans la musique. Il continue de jouer à ses heures perdues (“et encore !”, admet-il) tout en gardant une énorme distance. Ce n’est qu’au lycée que le premier déclic surgit.

Ce déclic prend la forme d’un piano installé dans la cafétéria de son lycée. À l’époque, un de ses voisins de classe est virtuose sur les touches noires et blanches, puisqu’il est aujourd’hui un pianiste soliste. De temps à autre, il gratifie ses camarades lycées de quelques chefs-d’œuvre de la musique classique. “Il jouait des trucs ‘démoniaques’ techniquement, mais personne n’en avait rien à faire.”

Daniel s’essaye à son tour à l’exercice du piano de cafet de lycée. “Je suis arrivé avec un vieux Pirates des Caraïbes tout pourri [son interprétation, ndlr.], en rigole-t-il encore. Qu’importe, les adolescents reconnaissent immédiatement le thème phare d’Hans Zimmer : “Tout le monde a kiffé.”

“Je fonctionne beaucoup à l’émotion.”

Ce déclic du lycée reste bien en tête, mais Daniel s’oriente quand même vers un bac S : “j’étais parti pour faire une école d’ingé”, se souvient-il. Mais c’est finalement vers le cinéma qu’il se dirige avec un BTS audiovisuel. C’est d’ailleurs là-bas qu’il rencontrera Solal Moisan, aujourd’hui réalisateur de la chaîne Avant l’orage aux côtés de Camille Étienne. “À partir de là, on s’est plus quittés, on a fait des 48 heures, des courts-métrages, etc.”

Même s’il est à l’image, il reprend aussi la musique via la MAO notamment pour composer la bande-son de Sunlight (2016), court-métrage d’Anatole Levilain-Clément plusieurs fois récompensé. “Cela m’a vraiment réconcilié avec la musique de l’appliquer sur des beaux projets comme ça, de l’utiliser en porte-voix pour amplifier un message.”

Pour Daniel, quel que soit le medium ou le format utilisé, le plus important dans une performance réside dans l’émotion, qu’elle se transmette entre les humains qui la composent, produisent ou jouent, mais aussi avec ceux qui l’observent et l’écoutent. Une vision singulière qui finira, non sans mal, à rejoindre à nouveau l’univers de l’orchestre qu’il avait quitté.

Le monde de la musique classique est déconnecté de la majorité des gens.”

Daniel Sicard n’a pas de haine envers le “vieux” milieu de la musique classique, pas plus que de rancœur. “Il y a plein de gens très sympa !” assure-t-il. Le grand problème qu’il y voit, c’est la déconnexion du milieu. “Les gens ont l’impression que la musique classique les prend gens de haut  car il faut des clés pour l’apprécier. Même si aujourd’hui je te propose d’écouter un orchestre pour dix euros, tu n’iras pas forcément parce que tu ne connais pas.”

Le classique requiert une éducation bien spécifique, un coût financier non négligeable aussi, c’est son inaccessibilité en a fait sa plus grande faiblesse aujourd’hui. Mais c’est le moule de formation qui est fait ainsi : “Les musiciens sont nés dedans, si tu ne commences pas à cinq ans ton instrument, c’est quasi-mort.” Des CHAM (classes à horaires aménagés) au conservatoire, le milieu reste enfermé dans une bulle.

Il y a même parfois du mépris dans la vieille génération et ceux qui transgressent les règles sacrées du classique, comme le duo de violonistes “pop” 2Cellos, sont mal vus.

“Les gens qui font de la pop avec des instruments du classique sont mal vus, comme s’ils prenaient le chemin de la facilité ou qu’ils s’abaissaient d’une certaine manière.”

“J’ai eu la chance de quitter longtemps le monde du conservatoire et d’y revenir.”

Pour citer un classique (du cinéma, pas de la musique), ce sont avant tout des rencontres, des gens qui ont tendu la main à Daniel, d’un professeur de musique qui l’invitait à jouer sur des comédies musicales pop ou d’un chef d’orchestre comme Nicolas Simon (“un vrai senseï !”) qui le prend sous son aile comme assistant d’orchestre. “Cela m’a fait vriller quand j’ai compris qu’on pouvait faire de la musique d’orchestre comme je le concevais jeune, sans que j’aie à me travestir pour être dans le moule du conservatoire.”

Mais même avec autant de bonne volonté, un orchestre demande quand même de la technique. Invraisemblable il y a quelques années, Daniel tente sa chance pour retourner au conservatoire, cette fois à St-Maur en région parisienne. “Je me suis foiré, je n’avais plus aucune base en matière érudite”, concède-t-il. Sauvé par son oreille, il est accepté en auditeur libre.

“À partir de là, je me suis mis une pile, j’ai bouffé du solfège à n’en plus finir.”

Si on avait filmé cette séquence de sa vie, on y aurait probablement ajouté la musique d’entraînement de Rocky. Daniel ne remet pas un pied dans la musique classique, il y fait un grand salto avant (on vous a dit qu’il faisait du trampoline en club ?). Concomitamment, il “tombe amoureux de l’univers de l’orchestre”. Par son travail d’assistant, il passe aussi parfois devant le pupitre, découvrant une toute nouvelle expérience musicale, mais surtout humaine.

“Si j’ai un seul perfectionnisme, c’est sur l’expérience humaine.”

Là où d’autres chefs d’orchestre doivent travailleur sur leur communication, pour Daniel, c’est tout l’inverse. “J’ai dû apprendre à être un peu dur, à travailler mon exigence musicale. Parfois j’étais trop traversé par l’émotion du moment.”

Si on pouvait officiellement changer l’intitulé de “chef” d’orchestre, Daniel l’aurait déjà fait cent fois. C’est d’ailleurs pour ça qu’il préfère dire “directeur artistique et musical”. Il trouve même qu’il a parfois une“forme de despotisme” dans ce rôle tellement complexe. Il n’y a pas d’avis ultime, même en musique classique : “Il y a des chefs qui vont dire à des violonistes comment pousser et tirer leurs archets alors qu’ils le font depuis 20 ans.”

Bien sûr, une fausse note est une fausse note et il faut la corriger, mais ce qui importe le plus Daniel, c’est l’expérience collective, ce qu’il se passe entre ceux qui composent l’orchestre et le public. “Je m’en fiche que ce ne soit pas parfait tant qu’on transmet quelque chose.”

“Je préférerai toujours des gens lumineux avec moi plutôt que des musiciens hyper-techniques.”

C’est sur ces bases humaines que Daniel Sicard a monté de toutes pièces le Curieux Orchestre : “J’ai démarché partout sur Insta, sur Facebook”. Il se souvient qu’un de ses actuels violoncellistes de Curieux (et également à l’Orchestre de Paris) lui disait même qu’il avait été “insolent” à l’époque. Ils ont une moyenne d’âge de 24 ans, ils viennent des conservatoires, des orchestres nationaux ou locaux, mais tous sont fédérés par une même passion commune du vivre-ensemble : “On se retrouve pour partager des partitions, mais surtout des émotions”.

Un objectif de démocratiser et dépoussiérer la musique classique ? Pas du tout : “Lorsque j’ai repris la musique, au début j’avais pensé à faire office de marchepied au classique, mais en fait, j’ai vite compris que je voulais surtout faire plaisir aux gens”.

Depuis ces fameuses notes de Pirates des Caraïbes dans la cafétéria de son lycée, il a orchestré des mélodies que tout le monde reconnaît de près ou de loin, de Zimmer à Williams en passant par du Joe Hisaishi (compositeur des films de Miyazaki) ou même du Aurora comme au dernier concert du Z Event 2022 aux côtés de la streameuse Little Big Whale et de PV Nova.

Curieux sera aussi l’occasion pour Daniel Sicard d’enfin lier la musique à ses engagements personnels. Déjà très sensible à l’écologie, il est toujours habité par la volonté d’agir comme en témoigne son travail sur “Avant l’orage” avec Solal Moisan et Camille Étienne. Mais il peine tout de même à trouver un moyen d’accoler plus directement la musique à son envie d’agir en bien : “C’était une vraie prise de tête, entre ça et le Covid, j’ai presque failli arrêter de nouveau.”

C’était sans compter sur les gens, tous aussi motivés par ces valeurs, qui l’ont accompagné dans ce Curieux projet. Déjà, l’orchestre joue pour des hôpitaux ou dans des écoles : “c’était des projets non rémunérés, donc on s’était dit autant porter des valeurs”. L’écologie viendra finalement se joindre au mouvement (d’archet). Jouer sur un glacier pour le court-métrage éponyme de “Avant l’orage” ou la participation au Z Event 2023 dédié à l’écologie, autant d’opportunités qui feront prendre conscience à Daniel qu’il est totalement possible d’utiliser la musique orchestrale pour transmettre et agir.

Les recos de Daniel Sicard

  • Une série : Sex Education de Laurie Nunn, disponible sur Netflix.
  • Un livre : Impact d’Olivier Norek, aux éditions Michel Lafon.
  • Un film : Premier contact de Denis Villeneuve.
  • Un album : La bande originale de Dragons, composée par John Powell.
  • Une expérience d’orchestre : La chaîne YouTube de DR Koncerthuset, la salle symphonique de Copenhague.

Vous pouvez retrouver Daniel Sicard sur Instagram. Le Curieux Orchestre est également à retrouver sur les réseaux et vous donne RDV le 7 juin 2023 pour la “John Williams & Hans Zimmer Odyssey” à la Cigale.