Difficile de ne pas penser, en évoquant Douglas Trumbull, à un artiste qui songeait à son medium en même temps qu’à son sujet. Lui qui avait toujours un pied dans le futur en s’occupant de certains des plus grands films de science-fiction du siècle dernier a révolutionné la manière d’aborder la matière et les techniques concrètes.
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De 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) à Blade Runner (1982), Trumbull a régné secrètement sur le septième art, laissant une empreinte indélébile malgré les nombreux obstacles des majors face à ses innovations. Lui, qui avait 79 ans quand il nous a quittés le 7 février dernier des suites d’une tumeur au cerveau, était certes adoré de tous les aficionados du genre, mais trop peu connu du reste des cinéphiles. Il mérite pourtant une reconnaissance bien plus globale de l’impact immense de son travail sur l’industrie du cinéma.
Un ingénieur trop en avance sur son temps
Fils de Donald Trumbull, à qui l’on doit entre autres les effets visuels du film culte Le Magicien d’Oz (1939), le jeune Douglas se fait repérer par Kubrick avec le film To the Moon and Beyond, diffusé sur un dôme en Cinerama 360. Il a travaillé sur ce dernier pour la Foire internationale de New York de 1964, et fait en plus des animations pour la Nasa, rien que ça.
Stanley Kubrick, accompagné de l’écrivain Arthur C. Clark, décide de contacter Douglas Trumbull pour travailler notamment sur les scènes hallucinatoires de la fin de 2001, l’Odyssée de l’espace en expérimentant et en tentant de nouvelles méthodes de captation de lumière.
Il réussit à convaincre Universal de financer son premier long, tandis qu’il travaille sur Le Mystère Andromède (1971) de Robert Wise. Sur le papier, Silent Running a tout pour plaire : Trumbull derrière la caméra, un script post-apocalyptique cosigné par un certain Michael Cimino, et Bruce Dern au casting. Malheureusement, le studio ne croit pas au film, lui consacre un budget ridicule et le sort discrètement, sans succès malgré de très bonnes critiques.
Trumbull essaye de lancer d’autres projets, mais tous tombent à l’eau et il se voit obligé de retourner aux effets spéciaux. Il transforme néanmoins cette obligation en force, puisqu’il va y voir, lui dont le père était ingénieur au départ, un véritable terrain de jeu.
Après un passage non crédité sur les fonds bleus de La Tour infernale (1974), il refuse de travailler sur Star Wars pour être sur le film de Spielberg, Rencontres du troisième type (1977). Alors qu’il préfère travailler sur une nouvelle technologie – Showscan, qui permet de capter 60 images par seconde –, qu’il finance grâce à la Paramount, ainsi que sur une nouvelle réalisation, il refuse de participer à Star Trek, qui tombe pendant la post-production du Spielberg.
La Paramount, visiblement vexée de la décision de Trumbull, coupe le financement de Showscan et recrute quelqu’un d’autre – le studio Robert Abel & Associates. Le bonhomme, laissé pour compte, reprendra les rênes du projet quelques mois plus tard après que RA&A est finalement mis de côté. Il a peu de temps, une charge de travail immense puisqu’il doit revoir toute l’imagerie spatiale du film, et travaille avec l’équipe de manière acharnée. Il aura même un ulcère à cause du manque de sommeil et du trop-plein de stress.
Après cette expérience traumatique, il ne veut plus travailler. Jusqu’à ce qu’un certain Ridley Scott l’approche pour Blade Runner. Il accepte, expliquant qu’au moins, ce n’est plus un film dans l’espace. Des décors aux voitures volantes, il conçoit tout avec Richard Yuricich, avant de devoir quitter le navire. Difficile de lui en vouloir : on vient de lui offrir la possibilité, enfin, de financer son deuxième long.
Brainstorm est l’occasion pour lui d’exploiter le Showscan, puisqu’il s’agira d’un film de SF dans lequel des scientifiques ont créé une technologie permettant de voir et de ressentir les émotions d’autres personnes. Pour illustrer les séquences où une personne voit la vie d’une autre, Douglas Trumbull voulait justement utiliser ces séquences filmées en 70 mm à 60 images par seconde.
Malheureusement, la MGM fait machine arrière et le film sera diffusé normalement. En cause : la mort par noyade de l’actrice principale, Natalie Wood, alors que le film n’est pas terminé, et le fait que les salles ne veulent pas changer de matériel de diffusion. Après une longue bataille, le film sort en salles en 1983, encore une fois boudé par le public malgré de très bonnes critiques. Ce sera le dernier film de Trumbull.
Il a été un véritable pionnier dont on a gâché le talent tout au long de sa carrière. En plus d’avoir innové sur le Showcan, il avait, avec la même fondation financée par la Paramount, essayé de développer la technologie LaserDisc – qui permet peu ou prou la conception d’un jeu vidéo –, qui est tombée à l’eau car la Paramount refuse le prototype. L’idée est récupérée par Cinematronics pour le jeu Dragon’s Lair dix ans plus tard.
De la même manière, après l’échec de Brainstorm, Douglas Trumbull a, avec son équipe, conçu la première plateforme de cinéma qui peut physiquement bouger en fonction de l’image. Le projet sera refusé, avant d’être utilisé des années plus tard pour des attractions, Retour vers le futur dans les parcs Universal Studios et Star Tour dans les Disneyland.
Ce génie incompris, qui a travaillé pour rendre l’image plus immersive et l’expérience en salles plus impressionnante, disparaît peu à peu des radars. On le verra brièvement à la direction d’IMAX Corporation en 1994. C’est Terrence Malick qui lui donnera ses dernières lettres de noblesse. Grand fan de Trumbull, il lui demandera d’être consultant sur les effets spéciaux de The Tree of Life, Palme d’or à Cannes en 2011. De son côté, il travaillait sur tout un tas de projets, d’un film à 120 images par seconde à un projet de film en miniatures photo-réaliste.
Il mourra avant d’avoir pu repasser une dernière fois derrière la caméra, laissant un héritage monstrueux et frustrant, celui d’un artiste révolutionnaire qu’on a restreint dans ses avancées et ses idées. Le moins que l’on puisse faire maintenant serait de respecter son immense talent, comme des générations de cinéastes ont pu le faire ces dernières années.