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Le Cirque Tinder, épisode 3 : le dating n’est pas un long fleuve tranquille

Le Cirque Tinder, épisode 3 : le dating n’est pas un long fleuve tranquille

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Photo Illustration by Thiago Prudêncio/SOPA Images/LightRocket via Getty Images

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Par Pauline Ferrari

Publié le

Les années passent, les rendez-vous s’enchaînent et se ressemblent. Le temps se fait long sur les apps de rencontre, et la lassitude pointe le bout de son nez.

Quatre années sur Tinder, deux sur OkCupid, et le même constat : je reste célibataire. Désormais, je swipe davantage par habitude que par réel intérêt, entre deux arrêts de métro ou du coin de l’œil devant une série Netflix. Ça fait des mois que je ne suis pas allée en date, les interactions m’épuisent, je n’y crois même plus. Je me contente de rester sur les apps, au cas où. “Toujours la même valse, les mêmes dates, la même baise, le même étiolement qui s’ensuit”, résume Maud, 28 ans. Une routine mortifère dans un monde qui lui-même s’écroule, entre crise sanitaire, écologique et politique.

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Nous en avions parlé dans l’épisode 2, mais le côté addictif des apps n’aide pas dans notre recherche de l’amour. On a été beaucoup à “arrêter” les apps, se désinscrire… pour finir par y revenir. “Je me suis dit que je devais arrêter, que ça me fatiguait d’être traitée et de traiter mal mes relations. Mais c’était addictif, je finissais toujours par y revenir, c’était tellement simple de l’utiliser pour rencontrer des gens. J’étais addict aux émotions fortes que me faisait vivre Tinder”, m’a confié Ariane, 28 ans.

En libérant de la dopamine à chaque match, j’ai moi-même usé mon circuit de récompense jusqu’à la moelle. Un boost à l’ego, mais totalement éphémère. “Je me réinscrivais pleine de bonne volonté et, au bout de quelques semaines, ça me saoulait, donc je supprimais”, se rappelle Alice, 24 ans.

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Il y a presque un an, j’avais interviewé Judith Duportail pour la sortie de son livre Dating fatigue : Amours et solitudes dans les années (20)20. Au bout du fil, elle me confiait : “Je pense qu’il y a un épuisement généralisé, qui n’est pas seulement lié au fait d’utiliser des applications de rencontre, mais à un état d’esprit cynique et quantitatif, qu’on est beaucoup à ne plus pouvoir supporter.” Autour de moi, je le voyais, cet épuisement, à la fois du célibat et du système des applications, seule échappatoire pendant ces deux années de pandémie. Alors, pourquoi nous étions tous et toutes au bord du burn-out émotionnel ?

Des dates foireux, un score Elo et des problèmes de sécurité

On a souvent dit (et moi la première) que Tinder avait une fonction de booster d’ego. On like, on matche, ça nous rassure sur notre désirabilité. Mais que se passe-t-il quand notre boîte de réception reste vide ? “Une fatigue due au manque de réponses, à l’omniprésence de faux comptes, entre autres. Pendant un moment, j’avais l’impression d’être totalement indésirable”, m’explique Malik, 28 ans.

Parfois, aussi, notre physique n’est qu’un fétichisme, un objet aux yeux des autres. “J’ai vraiment eu l’impression d’être un fantasme : coucher oui, mais surtout pas de sérieux parce que c’est honteux de sortir avec une personne grosse. C’est peut-être un ressenti lié à mon manque de confiance en moi, mais en tout cas, Tinder ne m’a pas mise plus en confiance, au contraire”, se rappelle Margot, 23 ans. À la lecture de son témoignage, je me rappelle tous les commentaires non sollicités sur mon physique, l’objectification, les insultes parfois.

En 2019, dans son livre L’Amour sous algorithme, la journaliste Judith Duportail révélait que l’algorithme de Tinder comprenait un score de désirabilité des utilisateurs, plus connu sous le nom de score Elo, qui se fondait sur l’attractivité, mais aussi le niveau de revenus et d’études, la grammaire, le vocabulaire ou la longueur des réponses sur l’application. Si Tinder a abandonné le score Elo en 2019, on peut être tenté de se demander pourquoi on matche avec certains profils et pas d’autres.

“J’ai eu mille dates foireux. Il y a eu ce mec qui me caressait le crâne en me parlant de ses problèmes gastriques et à qui j’ai dû payer son verre ; ou ce pianiste qui m’a suppliée de venir le retrouver chez lui alors que je lui avais dit vouloir se rencontrer dans un lieu public”, se rappelle Hannah, la trentaine. Moi-même, je pourrai passer plusieurs heures à vous raconter mes pires expériences de ces quatre dernières années, des plus drôles aux plus sombres. Du mec qui m’a traînée en soirée échangiste (sans que je sois au courant) à celui que j’ai rejoint un soir de Saint-Valentin pour un premier date avec sa mère.

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Et puis, du côté des femmes qui fréquentent des hommes, il y a la question de la sécurité. “À force d’entendre la multiplication des témoignages des femmes qui sont victimes, on se pose la question sur les hommes qu’on rencontre : est-ce qu’il insulte des femmes sur Tinder ? Est-ce qu’il tient un fichier Excel des femmes avec qui il a couché ? Est-ce qu’il est capable du pire ?” questionne Judith Duportail.

Les récents dépôts de plainte contre Salim B., surnommé le “violeur de Tinder”, posent une nouvelle fois la question de la sécurité sur les apps de rencontre. “Je ne suis pas sûr qu’on s’inscrit sur une app parce qu’elle est safe. Mais si l’expérience se révèle safe, on gagne des points”, avance Benjamin Puygrenier, porte-parole de Tinder.

Depuis deux ans, le géant du dating a mis en place de nombreuses mesures pour renforcer la sécurité des utilisateurs : vérification des profils, davantage de possibilités de signalement, le scan des photos de profils et des messages potentiellement offensants… “Mais il n’y a pas de solution magique : il faut donner aux gens les outils et faire des campagnes d’éducation”, rappelle Benjamin Puygrenier.

Partir un jour, sans retour ?

On aurait pu penser que cette fatigue aurait poussé à une désertion de Tinder et consorts. Au Royaume-Uni ou encore aux Pays-Bas, des concepts comme Thursday ou Breeze veulent revenir à des rencontres “dans la vraie vie”, comme à la glorieuse heure des “meet-up”. Des concepts qui nous rappellent que, même IRL, on a besoin qu’on nous prenne la main.

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Pourtant, du côté de Tinder, on nous assure : à la sortie de la pandémie, les chiffres n’ont jamais été aussi hauts. “Nous avons vu une augmentation cruciale du temps d’utilisation et du nombre de personnes présentes”, nous explique Benjamin Puygrenier, à la communication de chez Tinder.

Mais surtout, fait étonnant : la moitié des inscrits sur Tinder font partie de la génération Z, qui a moins de 25 ans. Selon Tinder, cela se traduit par une approche complètement différente du dating. “C’est une génération en quête d’exploration, qui ne cherche pas une relation en particulier, et qui bouscule les manières de se rencontrer”, explique encore Benjamin Puygrenier. Tinder cherche d’ailleurs à toucher les jeunes, à travers des rencontres par les goûts musicaux, ou “à l’aveugle” avec une fonctionnalité de tchat instantané qui ne révèle la photo de l’autre qu’au bout de plusieurs messages.

“On pense comme des boomers”, résume Benjamin Puygrenier. Ces dernières années, de Mona Chollet à Victoire Tuaillon, les trentenaires sont de plus en plus nombreux à se questionner sur les normes autour de l’hétérosexualité, du couple monogame et exclusif, de l’amour. Mais ces questionnements seraient dépassés pour nombre de plus jeunes, qui utilisent Tinder et autres applications de rencontre comme un facilitateur, simple et efficace, mais pas une fin en soi. Peut-être qu’en effet, cette quête de l’amour via Tinder est un truc de boomer. Si c’est le cas, laissez-moi remettre mon plaid et réchauffer ma tisane, je vais continuer à swiper fort.