La prochaine adaptation de Martin Scorsese, des champignons hallucinogènes et Jean-Jacques Goldman : nos 9 coups de cœur de la rentrée littéraire

La prochaine adaptation de Martin Scorsese, des champignons hallucinogènes et Jean-Jacques Goldman : nos 9 coups de cœur de la rentrée littéraire

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(© Éditions du sous-sol / Rivages / Seuil)

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

Des histoires vraies, des romans d’anticipation, des champignons magiques et même un essai sur une star de la chanson : une sélection aux petits oignons.

Une enquête événement

(© Éditions du sous-sol)

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Au fil des années, le nom de David Grann est presque devenu aussi légendaire que les histoires qu’il raconte. Depuis longtemps déjà, son nom est sur toutes les lèvres sans qu’on puisse mettre un visage sur ce génie discret. Reporter emblématique du New Yorker, véritable institution du journalisme d’investigation, il s’est d’abord fait un nom grâce à son flair. Enquêteur acharné, qui triture ses sujets jusqu’à l’obsession, il a très vite été contraint par les colonnes des magazines et s’est tourné vers les livres. Davantage de place pour pointer chaque détail mais aussi un style plus libre. Il est alors devenu l’un des emblèmes de la non-fiction américaine, un écrivain du réel capable de vous raconter une histoire vraie avec la rigueur d’un journaliste mais le sens du récit et le lyrisme d’un romancier. L’écrivain idéal à adapter ? Croyez-moi, Hollywood ne s’y est pas trompé.

Après la disparition de l’explorateur Percy Fawcett dans La Cité perdue de Z, adapté au cinéma par James Gray, ou les meurtres de la tribu amérindienne des Osages dans Killers of the Flower Moon, adapté par Martin Scorsese dans un film à paraître dans quelques semaines, les droits du nouveau livre de David Grann, Les Naufragés du Wager, sont déjà achetés (par le duo Scorsese/DiCaprio, qui d’autre ?). Il faut dire qu’il y a matière à raconter et peut-être encore plus matière à filmer.

Avec Les Naufragés du Wager, David Grann ressort des archives une incroyable histoire vraie, une tragédie maritime restée dans les annales de la marine britannique. Nous sommes en 1740, en pleine guerre de l’oreille de Jenkins (si, si). Un des bateaux de l’escadre anglaise chargée de dérober le plus grand trésor de l’Empire espagnol s’échoue après une terrible tempête sur une île au large du Chili. Commence pour les survivants une robinsonnade mortelle sur fond de mutinerie, d’affrontements sauvages et de pure folie. Des mois plus tard, alors qu’on les croyait perdus à jamais, des grappes de survivants ressurgissent au compte-gouttes et racontent des histoires bien différentes. La guerre des récits est déclarée. Et pour se sauver des pelotons d’exécution de l’amirauté, il vaudrait mieux voir sa vérité triompher.

David Grann, Les Naufragés du Wager, Sous-Sol, 448p, 22,90 €

Un premier roman stupéfiant

(© Life Magazine)

Le titre s’affiche en gras au sommet de l’article en une du magazine Life daté du 13 mai 1957 : “Seeking the Magic Mushroom”. Un banquier new-yorkais aurait parcouru les montagnes brumeuses de Oaxaca, au cœur du Mexique, dans le but de découvrir un des derniers champignons hallucinogènes encore inconnus à ce jour. En partant de cette folle histoire vraie, Benoît Coquil signe avec Petites choses un premier roman éblouissant. On plonge avec lui dans l’intimité des époux Wasson, Gordon et Valentina, deux scientifiques amateurs, l’un banquier, l’autre médecin, devenus des figures emblématiques de la mycologie moderne. Le romancier nous raconte cette folle passion pour les champignons qui va sceller leur union. On suit au plus près cette quête obsessionnelle pour trouver le Psilocybe, ce champignon aux incroyables propriétés psychotropes.

(© Rivages)

Un parcours du combattant scientifique et intime où l’on croisera toute une galerie de personnalités hautes en couleur comme l’illustre poétesse et chamane María Sabina, le chimiste découvreur du LSD Albert Hofmann ou encore le botaniste Roger Heim. Surtout, Benoît Coquil n’élude rien de l’autre course qui se joue une fois le Psilocybe découvert, une course tragiquement humaine, menée par des hommes si pressés de transformer chaque quête miraculeuse en conquête destructrice. Entre la déferlante hippie qui envahit le Mexique pour s’empiffrer de cette promesse de voyage immobile, les manigances de la CIA à la recherche de l’arme suprême et les recherches mystérieuses des laboratoires pharmaceutiques, la cueillette magique a rapidement perdu tout son charme.

Benoît Coquil, Petites choses, Rivages, 224p, 19,50 €

Une révélation étrangère

(© Albin Michel)

Il n’y a pas de trajectoire classique pour devenir écrivain, on pourrait raconter mille histoires, mille manières dont l’écriture s’est immiscée dans la vie de tel ou tel romancier, mais celle de Dario Diofebi prête à sourire. Né à Rome en 1987, étudiant en lettres à la prestigieuse université Sapienza, il découvre pendant son cursus le poker en ligne et devient littéralement obsédé par ce jeu. À la fin de ses études, il s’envole pour Las Vegas et devient joueur professionnel. Après plusieurs années dans cette immense machine à laver et un master d’écriture à New York, il nous offre avec Paradise, Nevada un premier roman impressionnant tiré de cette fuite en avant. Une radioscopie à couper le souffle de Las Vegas, la capitale du péché ou la ville de tous les possibles, c’est selon.

Ne vous laissez pas influencer par le texte, dense, massif, Dario Diofebi a conçu un roman choral qui se dévore à toute allure et qui fait se croiser, se rapprocher, parfois même se percuter les histoires rocambolesques de ses personnages. Un jeune prodige du poker en ligne venu se frotter à la véritable compétition, une journaliste qui tente de décrocher un scoop, une serveuse du plus majestueux hôtel de la ville, un immigré illégal italien qui a de l’or dans les mains : tous sont peu à peu avalés par ce monstre tentaculaire. Il y avait le Casino de Scorsese pour dépeindre Las Vegas dans la course à l’argent des années 1970, il y a désormais Paradise, Nevada pour raconter le Las Vegas des années Trump, toujours aussi riche, toujours aussi névrosé, mais plus sale, un cloaque devenu l’emblème d’une nation américaine aux abois.

Dario Diofebi, Paradise, Nevada, Albin Michel, 656p, 23,90 €

De la très bonne littérature de genre à la française

(© Flammarion)

Difficile de choisir, alors on ne choisit pas. Dans une rentrée culturelle française, placée sous le signe du genre avec notamment les films Acide de Just Philippot et Le Règne animal de Thomas Cailley ou encore la série Rictus sur OCS, les romans français sont nombreux à se joindre à la fête. Parmi eux, deux ouvrages, écrits pas des femmes, un genre qui n’a longtemps pas eu sa place dans le genre, nous offrent à la fois des récits haletants et enlevés et des réflexions profondes et dérangeantes sur l’état de notre société.

Avec un premier roman au nom plus qu’éloquent, Juliette Oury, 34 ans, nous plonge dans un futur proche, un monde dystopique où la place de la nourriture et celle du sexe sont inversées. Manger est devenu un acte obscène et tout ce qui se rapporte à l’alimentation, à la cuisine et aux saveurs doit être dissimulé. Le sexe, lui, s’expose partout, se partage, il rythme notre quotidien, notre vie professionnelle et notre rapport aux autres. Dans ce nouvel ordre social, Laetitia, une femme à la vie bien rangée, décide de s’inscrire à un cours de cuisine clandestin.

(© Gallimard)

Dans Panorama, Lilia Hassaine imagine une société française en 2049 qui a été balayée par une Nouvelle Révolution. Une démocratie populaire a pris le pouvoir et sacre le règne de la Transparence. À l’intérieur de leurs maisons vitrées, les citoyens n’ont plus rien à cacher et s’épient. Ils partagent leur intimité dans une forme de surveillance généralisée. Flic de l’ancien monde, Hélène est appelée pour enquêter sur une famille des beaux quartiers qui s’est volatilisée. L’affaire inquiète. Ce nouveau monde devait pourtant éradiquer les suspicions et les secrets.

Deux histoires tenues de bout en bout et la démonstration de ce que le genre fait de meilleur : nous troubler, nous faire penser, nous faire peur.

Juliette Oury, Dès que sa bouche fut pleine, Flammarion, 272p, 19 €

Lilia Hassaine, Panorama, Gallimard, 240p, 19 €

La confirmation d’un grand talent

(© P.O.L)

Pierric Bailly est un écrivain presque aussi discret que ses personnages. Il avance à couvert, dans ces forêts du Jura qu’il aime tant, loin de la fureur et des tumultes du monde civilisé. Peut-être un peu trop tant il est n’est pas connu à sa juste valeur par le public français. Il a de nombreux fidèles, journalistes et lecteurs, mais ses talents de romancier méritent une bien plus grande destinée. Statuons tout de suite, La Foudre est parmi les textes les plus sublimes de la rentrée.

John, un berger qui se passionne pour son métier, mène une vie heureuse entre ses bêtes dans les montagnes et sa femme Héloïse dans la vallée. Mais un jour, il découvre aux informations qu’un ancien camarade de classe, Alexandre, devenu un vétérinaire engagé pour la cause animale, a tué son voisin, un jeune chasseur de 20 ans. Cette histoire le bouleverse et il décide de contacter Nadia, la femme d’Alexandre, elle aussi une ancienne amie du lycée. Peu à peu, il s’immisce dans cette vie de famille brisée, se rapproche dangereusement d’une femme abandonnée et commence à douter. Dans quel engrenage est-il allé se fourrer ? À la croisée du roman noir, parfois menaçant sans qu’on sache trop pourquoi, et du drame intime, Pierric Bailly écrit un grand livre sur le désordre amoureux et le délitement des êtres. Et en toile de fond toujours, cette nature majestueuse, hypnotique, menaçante.

Pierric Bailly, La Foudre, P.O.L, 464p, 24 €

Une icône française

(© Seuil)

Comment ne pas parler ici du Goldman d’Ivan Jablonka, le livre événement de ce début de rentrée ? Il ne s’agit pas d’une biographie non autorisée ou d’un portrait qui fourmille de secrets, mais plutôt d’une passionnante œuvre de sciences sociales qui propose “l’archéologie d’une époque” à travers le destin de Jean-Jacques Goldman, une célébrité pas comme les autres. Ivan Jablonka prend un malin plaisir à retracer sa jeunesse, son ascension, à expliquer son rapport différent à la foule et à la gloire, à se replonger dans ses tubes emblématiques, mais cela n’est qu’un prétexte à une étude plus passionnante encore d’un demi-siècle d’histoire où tous ses thèmes de prédilection s’entrechoquent : l’identité juive, les codes de la virilité, le concept de culture populaire.

À partir de la vie d’une icône, jamais aussi adulée que depuis qu’elle s’est retirée de la vie publique, il dresse une savoureuse sociologie de la France, raconte les joies, les doutes et les peines d’une société qui déchante mais qui continue à croire aux lendemains qui chantent. Il suffira d’un signe.

(© Julliard)

Et pour ceux qui ne raffoleraient pas des soirées karaoké, on vous propose une alternative plus poétique, une invitation à prendre de la hauteur. Fondateur du Festival Fnac Live, Benoît, le mari de l’auteur, disparu il y a trois ans, avait pris pour habitude de constamment scruter les nuages en espérant que la pluie épargne sa grand-messe musicale. À tel point qu’il s’était pris de passion pour la météorologie. Comme un dernier adieu, Mathieu Simonet nous offre un livre étonnant avec La Fin des nuages, une sorte d’enquête historico-écologique sur les traces des nuages.

À l’heure où de nombreux pays tentent d’ensemencer les nuages, de les maîtriser pour faire la pluie et le beau temps, ou pire, de les transformer en armes de guerre, leur protection est plus que jamais un enjeu de société, et Mathieu Simonet prend le combat à bras-le-corps. Dans une démarche à la fois artistique et politique, l’avocat œuvre même à la création d’un statut juridique pour les nuages et à l’institution d’une “journée internationale des nuages” le 29 mars. Et pourquoi pas ?

Ivan Jablonka, Goldman, Seuil, 400p, 21,90 €

Mathieu Simonet, La Fin des nuages, Julliard, 208p, 20 €

Le retour d’une surdouée

(© Stock)

Installer un jeu de miroirs entre une comédie dramatique contemporaine et un western de l’âge d’or : voilà un pari culotté. Mais Maria Pourchet n’est pas du genre à trembler au moment de dégainer. Avec Feu déjà, elle analysait la brutalité des rapports hommes-femmes avec un style bien à elle, nerveux, acéré, et un sens de la punchline qui ferait trembler n’importe quel MC. Dans Western, elle vide à nouveau ses chargeurs et égratigne tout le monde, surtout l’époque.

Le roman raconte le voyage à l’Ouest de deux âmes égarées. Alexis Zagner, un comédien charmeur au sommet de sa gloire, s’apprêtait à interpréter Dom Juan, un rôle taillé sur mesure dans une pièce qui allait faire l’événement. Mais il a fini par payer son comportement déplacé et a pris la fuite pour échapper à la vindicte populaire. Aurore, elle, est une quarantenaire à bout de souffle, passagère clandestine de son existence. Déçue, trop abîmée par la vie, elle part au chevet de sa mère mourante. La rencontre tant attendue ne se fera pas à Santa Fe ou Rio Bravo mais dans une ferme du Lot. Au fil des chapitres, Maria Pourchet égrène les poncifs du genre pour mieux les détourner : la fuite d’un hors-la-loi, l’arrivée en gare, l’apparition nocturne du cow-boy fourbu, le calme d’un repas autour du feu avant la tempête, jusqu’au duel final. Bang-bang.

Maria Pourchet, Western, Stock, 304p, 20,90 €