La Mif, ou la vie dans les foyers par les premières concernées

La Mif, ou la vie dans les foyers par les premières concernées

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(© Stephane Gros/BFI Distribution)

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Par Manon Marcillat

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Pendant deux ans, apprenties actrices et réalisateur ont échangé pour donner corps à des trajectoires cabossées.

De Placés à La Vraie famille, les films sur les foyers, les familles d’accueil et les enfants qu’on a éloignés de leurs parents font l’actualité cinématographique du moment dans l’Hexagone. Hasard du calendrier ou volonté commune de raconter cette réalité pour l’extraire des clichés qui lui collent à la peau ? Quoi qu’il en soit, c’est un défi que Frédéric Baillif et sa Mif relèvent haut la main.

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Au commencement, il y a le chaos et l’intensité des foyers que le réalisateur, Genevois autodidacte, connaît bien, puisqu’il a lui-même été éducateur. Puis, il y a ces jeunes Suisses à qui il a proposé cette aventure. S’il s’est tourné vers un foyer mixte dont il connaissait la directrice – qu’il a au passage recrutée pour son film –, seules les filles ont accepté d’embarquer à bord de sa mission. Les garçons, de leur côté, n’ont pas adhéré au projet.

Kassia Da Costa, l’interprète de la volcanique Novinha, y a vu un défi personnel :

“Quand j’ai rencontré Frédéric, j’étais dans une phase de ma vie où on ne pouvait pas compter sur moi. Je changeais d’avis très rapidement. Mais j’ai décidé de me donner cette opportunité pour essayer de mener un projet à terme. Et ce fut un challenge d’aller au bout.”

Anaïs Uldry, qui incarne Audrey, une adolescente de 16 ans mystérieuse et inquiétante, voulait, quant à elle, saisir l’opportunité pour montrer la vérité des foyers. “Moi aussi, quand mon père menaçait de m’envoyer en foyer, je n’étais pas du tout consciente de ce que les jeunes y vivaient.” C’est son personnage qui, surprise au lit avec un garçon de 14 ans qui n’a donc pas la majorité sexuelle, va mettre le feu aux poudres et briser l’équilibre très précaire de cette “mif” que personne n’a choisie.

(© Stephane Gros/BFI Distribution)

D’emblée, on comprend qu’on ne sera pas épargné par le film et que de bons sentiments, il n’en sera pas question. Si toutes ces adolescentes sont des victimes, elles ont aussi parfois commis l’irréparable ou sont ici de leur propre volonté. Construit en chapitres, La Mif brosse les portraits des individualités qui constituent cette collectivité souvent imposée, et grâce à un jeu de flashbacks et de flashforwards, les histoires se répondent pour ouvrir différentes portes qui viennent les nuancer.

De plus en plus, le cinéma ne souhaite plus parler à la place de mais essaie de donner la voix aux premiers concernés, en offrant des rôles à des acteurs non professionnels dont l’histoire résonne avec le récit du film. Si La Mif n’est pas un documentaire, les histoires d’Audrey, Alison, Novinha, Précieuse, Justine, Caroline et les autres ont été écrites et fabriquées avec leurs futures interprètes, qui se sont inspirées de leur vécu et ce dont elles ont été les témoins privilégiées pour composer leur partition.

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Pendant deux ans, apprenties actrices et réalisateur ont échangé puis appris à improviser pour donner corps à ces trajectoires cabossées. Anaïs explique :

“Avec Frédéric, on a beaucoup parlé des raisons pour lesquelles on a été placées en foyer, pour qu’ils comprennent nos personnalités, qu’il nous attribue le rôle dans lequel on serait le plus confortable. Nos histoires, on les a construites ensemble, mais on a pu les modifier pendant le tournage en fonction de nos réactions.”

Avec La Mif, rarement la frontière entre réalité et fiction n’aura été aussi mince, et une heure et cinquante minutes durant, le film se joue de cette incertitude. Mais venu du documentaire, Frédéric Baillif a cette fois-ci préféré prendre le parti de la pudeur en passant ces destins au tamis de la fiction, suscitant ainsi l’adhésion de ces jeunes femmes qui n’auraient pas souhaité voir leurs véritables histoires à l’écran. “Le but n’était pas de raconter ma vraie histoire. Si Frédéric était venu nous voir avec un projet de documentaire, je ne suis pas certaine que j’aurais accepté car notre vie, elle peut-être une force mais aussi une faiblesse”, admet Anaïs.

(© Stephane Gros/BFI Distribution)

Tour à tour intenses puis vulnérables, toutes ces actrices en herbe sont admirables et signent une double performance : celle du jeu, bien sûr, mais surtout celle d’être parvenues à raconter leurs parcours de vie accidentés tout en ayant encore un pied dedans. Et trois ans plus tard, Kassia, qui déplorait ne jamais mener à bien ses projets, est devant nous pour assurer la promotion du film.

Pour la suite, elles ont des projets très concrets. Comme son personnage dans le film, Kassia espère décrocher un diplôme de cuisine avant de tenter sa chance dans le cinéma. Audrey, elle, termine une école d’art avant de partir perfectionner son anglais dans le but d’intégrer une formation de théâtre dans un pays anglophone. Quelle que soit la “mif” qu’elles se sont choisie, ces jeunes femmes semblent désormais armées pour la suite de leurs aventures.