Comme il est bon, de temps en temps, de se mettre dans la peau d’un opulent banquier suisse qui boit l’eau la plus pure du monde, qui respire l’air le plus pur du monde, qui, le matin, se balade le long des vignes de Saint-Saphorin, qui occupe ses week-ends à dénicher des œuvres, à étoffer sa collection d’art personnelle et qui, souvent, va au musée.
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Si vous êtes un·e pauvre Français·e SANS Premier ministre (mais AVEC un gouvernement démissionnaire), et si vous voulez goûter à cette vie, il vous suffit d’économiser un peu pour vous payer un billet de train pour Lausanne et une visite à la Fondation de l’Hermitage – quoique avec l’inflation, nos loyers si peu encadrés, l’explosion de nos tickets de courses et des notes de restaurants, le peuple français vit un peu à la suisse.
© Fondation de l’Hermitage
Ce n’est pas un hasard si j’évoque un banquier suisse puisque c’est bien un banquier suisse (qui d’autre ?) qui a construit cette belle bâtisse du XIXe siècle. Il s’appelait Charles-Juste Bugnion et avait acquis le terrain en 1841. Dans son parc, il a tranquillement planté des espèces rares. À sa mort, il fit don de sa maison à la Ville, qui le transforma en fondation.
Aller plus haut…
Pour accéder à la Fondation de l’Hermitage (à ne pas confondre avec l’Ermitage de Saint-Pétersbourg), il vous faudra monter ce que j’appelle la colline de Lausanne. Gravir ces escaliers infinis vous donnera l’impression de monter aussi dans votre ascenseur social personnel : la sensation est hyper-agréable et elfique, vous verrez, mais préparez-vous à la chute fatale de Gollum à votre retour dans le Mordor français.
© Mathilda Olmi/Fondation de l’Hermitage
Quand j’ai visité Lausanne, en mars dernier, l’exposition itinérante sur Nicolas de Staël battait son plein. Elle venait tout droit du Musée d’Art Moderne de Paris (oui, on est quand même bon·ne·s quelque part) et je l’avais donc déjà vue en version XVIe arrondissement pollué et sans ascension proposée sinon celle des marches de la bouche de métro.
Monter ces escaliers vaut le coup car une vue imprenable sur la ville se débauchera pour vous et un immense parc s’offrira à vos pas. Plus loin, il y a une haute tour qui vous permet d’aller plus haut, toujours plus haut. Oui, en Suisse, on ne fait pas autre chose qu’éliminer sa “lactite aiguë” lors de randonnées spontanées et on ne cesse de s’élever, symboliquement surtout.
Auguste Renoir, Paysage du sud de la France, 1900-1902. (© Collection Langmatt de Baden/Fondation de l’Hermitage)
Comme le Getty Museum aux États-Unis, cette fondation – qui possède quelque 600 œuvres et qui est inscrite comme bien culturel d’importance nationale – est probablement devenue mon musée préféré d’Europe : pour le havre de paix qu’il offre dans la ville de Lausanne, qui est déjà une paisible bulle en soi. En haut, il n’y a pas un bruit, pas un chat, juste nos pensées qui peuvent enfin résonner dans notre caboche. La visite de l’exposition de Nicolas de Staël s’est passée comme ça : elle s’est faite sans foule, sans rumeur parisienne, avec un passage aux toilettes pour savourer l’eau pure du robinet, avec une balade aux alentours, une pause sur un banc face à un pâturage parfait.
C’était une autre expérience que la version parisienne : le parcours était structuré différemment, avec la logique que permettent des salles d’un hôtel particulier. Les moulures étaient belles, les couples se bécotaient devant les couleurs du maître russe. Contrairement au Musée d’Art Moderne de Paris où il fallait faire des coudes pour admirer de plus près les toiles, à la Fondation de l’Hermitage, tout respirait un peu plus, tout était plus agréable à contempler.
Cette année, la fondation fête ses quarante ans avec une exposition de la collection du musée Langmatt de Baden, qui regorge de chefs-d’œuvre impressionnistes, de Monet, de Matisse, de Cassatt, de Renoir, de Degas et de Cézanne. On vous conseille d’y faire un tour, pour respirer, goûter à la réelle saveur de l’eau, respirer l’air que nos poumons sont censés accueillir, pour quelques jours au moins, mais surtout pour vous mettre dans la peau de ce banquier suisse en week-end.
© Fondation de l’Hermitage
Désolée, mes Suisses sûr·e·s, cet article est plein de clichés mais c’est bien parce que votre pays fait rêver.