Alors qu’il vient de pondre le génial EP Gleam/Shelter, le jeune Caennais revient pour Konbini sur les disques et morceaux qui ont marqué sa jeunesse.
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Installé dans son salon, Gabriel Legeleux, répondant au nom de Superpoze, est dans son élément. Le jeune homme est passionné de musique, et franchement passionnant. Impossible de parler d’un morceau ou d’un disque sans qu’il ne se rue sur sa belle collection de vinyles, pour faire écouter ce dont il parle avec tant de facilité.
Il faut dire que le Caennais a été bercé depuis sa plus tendre enfance par la musique, entre les goûts de ses parents, ses cours de percussion au conservatoire, et ses débuts de bidouillage informatique (à 14 ans). Après un très beau premier long format sorti l’année dernière, Opening, il vient de balancer un EP un peu plus énervé, conçu pour les clubs.
“Je commence à faire de plus en plus de DJ sets, tout simplement, donc ça m’influence dans ma manière de produire et j’avais envie de faire des morceaux comme ça, nous explique-t-il. C’est pour ça que c’est en dehors d’un album, que c’est un jet brut, comme ça.“
Avant de démarrer l’entretien, on a soumis le producteur à un exercice adressé aux DJs : le Track-ID. Le principe ? Choisir des morceaux liés à ses goûts musicaux et à ce qu’il aime jouer en boîte.
Mais nous avons voulu pousser le schmilblick un peu plus loin, en creusant son enfance, en rebondissant sa manière produire et surtout en abordant son prochain album, sur lequel il planche actuellement. Retour en musique sur la jeunesse d’un des producteurs français les plus intéressants (et passionnants, oui on se répète mais c’est important) du moment.
1. Sans mentir, c’est quoi le premier album que tu as acheté ?
J’ai dû acheter quelques CDs quand j’étais petit mais je ne m’en souviens pas vraiment, ça ne devait pas être glorieux. Mais le premier vinyle que j’ai acheté, je m’en souviens très bien, c’était le Unreleased 3 de DJ Premier. C’est le premier truc que j’ai acheté dans un disquaire à Caen avec mon argent, je pense que j’avais 13 ans. J’écoutais beaucoup de rap – j’en écoute toujours mais je n’écoutais que ça à l’époque. J’ai commencé la production en faisant des instrus en fait.
Et après, j’ai commencé à acheter des disques plus hip-hop, un peu électro/hip-hop et plus tard, de la house ou de la techno.
Tu voulais produire des beats de hip-hop au début donc ?
Au début oui, ça m’est venu en même temps que cet achat.
T’étais jeune…
On m’a installé un logiciel sur mon ordi, que j’utilise toujours aujourd’hui d’ailleurs, j’avais 14 ans. Mais je faisais de la musique déjà. J’ai fait du piano quand j’étais tout petit, à 3 ans, et surtout des percussions, de mes 7 à 14 ans en gros. Après, mes vrais premiers morceaux, avec Superpoze et tout ça, j’avais 18 ans.
Et tu ne veux plus faire de rap ?
J’en fais. J’ai produit un morceau sur l’album Feu de Nekfeu, j’en ai fait un autre avec Lomepal, peut-être avec Alpha Wann sur son album. Bon, c’est pas du rap mais j’ai réalisé tout le premier album de Dj Pone, c’est-à-dire que je transformais des idées en morceaux avec lui. Tu mets en place, tu fais en sorte qu’il y ait une cohérence dans le son, qu’il y ait une unité, c’est un filtre à idée.
2. Le disque que tes parents écoutaient, que tu trouvais horrible mais que tu aimes bien maintenant
C’est dur ! Je crois qu’en vérité, mes parents ont plutôt bon goût. Mais ma mère, elle était très mélomane. Encore aujourd’hui, elle me fait découvrir des albums, même de musique électronique. J’ai toujours aimé ce qu’ils écoutaient : Air, Beck, Mercury Rev… des trucs pop des années 90 et 2000, que j’aimais aussi du coup.
Si, mon père écoutait de la variété, que je n’aimais pas et je n’aime toujours pas. Je trouvais ça horrible quand j’étais enfant mais maintenant ça me fait rire.
Un exemple ?
Bah tu vois, j’aimais pas Maxime Le Forestier et ils en écoutaient beaucoup. Maintenant, je ne vais pas dire que j’aime, mais il y a un truc dans l’enregistrement. J’écoutais ça en voiture la dernière fois, sur Spotify, et l’enregistrement était trop bien. Je crois que c’est un peu avant l’avènement du CD où le son a été complètement compressé. Et c’est hyper large, t’entends la guitare d’un côté, la basse de l’autre, t’es englobé de son. En fait, je prends aussi du plaisir à comprendre comment sont faites les choses, c’est le plaisir de découvrir le processus. J’écoute pas ça de manière générale hein, c’est parce que tu me demandes ! (rires)
3. Le premier morceau que tu as cherché à apprendre à la percu’
C’était pas un morceau en particulier, c’est ce qu’on appelle le marching drum, la percussion militaire qui était très droite, très rapide. J’adorais ça parce que tout se jouait sur les accents, le fait de jouer plus fort à certains moments, en début de boucle, pour faire un groove quoi en fait.
Et sinon, il y a “Drumming” de Steve Reich. Je ne pense pas que ce soit le premier que j’ai appris, mais c’est une des pièces de percussion qui me fascine le plus, même si je n’ai jamais eu le temps de l’apprendre parce que j’ai quitté le conservatoire avant, à 14 ans.
Ce morceau est fou, c’est génial, c’est tout ce que j’adore avec le déphasage. On est en train de bosser un morceau avec Jacques inspiré de ce principe-là, en ce moment. Tout le monde joue un rythme, ça se décale et hop, ça se rejoint et du coup ça donne un autre truc [il joint ses mains les doigts écartés, puis tourne sa main gauche jusqu’à ce que son index gauche se superpose (lol) sur l’annulaire de la main droite, ndlr].
Tu peux m’en dire plus sur ce morceau avec Jacques ?
On est en train de faire un morceau assez dansant mais basé sur un arpeggiator de synthé qui phase comme ça. C’est un morceau qu’on va sortir comme ça je pense. Je devrais bosser sur l’album de Dream Koala aussi. Mais là, j’ai une fenêtre pour bosser sur le mien donc j’en profite.
4. Le morceau qui t’a donné envie de produire
Je pense que c’est sur l’EP Reset de Flying Lotus, en 2007. Et je crois que c’est “Tea Leaf Dancers”… Non, c’est tout l’album. NON, c’est “Spicy Sammish” ! Ohlala, il est tellement fou ce son.
C’est très éloigné de ce que je peux faire, mais je me suis dit : “Wow, ça sert à un truc, c’est différent, tu peux faire avancer la musique en fait.” Ça, ça fait avancer la musique. Ça a presque dix ans, c’est dingue. Forcément, on est habitué à ce genre de son. Et encore… Le mieux, c’est ce petit sample qui fait “alalala” après, qui va pas du tout dedans. C’est fou non ? C’est incroyable de mettre ce sample.
T’utilises des samples ?
Ouais ! Sur mon premier album, beaucoup moins. Je n’en avais pas envie. Mais parce que je l’ai fait à un moment particulier. Je pensais que ça ne faisait plus avancer le truc, je ne trouvais pas ça utile – sans prétention, vraiment. Sauf si t’essayes d’apporter un petit truc, une idée à la conversation.
Et sur le prochain ?
Je reviens plus aux samples, mais d’une autre manière. Moins cut, plus placé en fait. Je les laisse se diffuser pendant le morceau. Ça peut être quelqu’un qui parle dans un film, ou du Beyoncé, je l’ai jamais fait ça mais je ne me mets aucun filtre. Après, tu peux faire des trucs avec des dogmes.
C’est-à-dire ?
Se forcer à se dire : “Sur le prochain album, je vais utiliser tels synthés, des samples de tels disques, et tels types de percus.” Et t’es dogmatique, t’as un kit pour faire ton album. J’ai déjà fait ça sur mon album : j’ai trouvé un son, je me suis dit que j’allais tout faire avec ce piano, puis j’avais deux reverb, alors je me suis dit que j’allais mettre que ces reverb, j’avais une disto, je vais mettre que cette disto. Je les ai bien travaillés en amont pour que mon album ait ce son-là.
Pourquoi tu t’imposes ça ? Pour le challenge, pour avoir un cadre vraiment défini dans ton processus de création ?
En fait, je pense qu’il y a deux plaisirs liés à la musique : le plaisir du processus, et celui du résultat. J’ai envie que quelqu’un qui connaît pas la musique, apprécie la musique pour son résultat, genre “J’aime ce morceau” ; mais j’ai aussi envie que quelqu’un qui apprécie faire de la musique se dise “ah ça j’aime comment ça a été fait.” Donc j’aime les deux, et je trouve que ce kit, ça aide à développer ça. Si tu as peu de sons, tu vas vraiment fouiller dedans, tu vas commencer à t’habituer, ça devient quelqu’un à qui tu parles tous les jours et donc, avec qui tu peux créer des idées.
Sur le prochain, tu t’es aussi posé des contraintes ?
Ouais ouais, j’aurai beaucoup de percu’ samplées, alors qu’avant j’en avais pas du tout. Des types de mélodies. Je préfère pas trop en parler mais j’ai des méthodes.
5. La chanson un peu douteuse que t’écoutais en secret sans vraiment assumer
Moi en fait, c’est des morceaux que je trouve géniaux. En vrai, “Suga Suga” de Baby Bash, ou non, “Toxic” de Britney Spears. Il est trop bien ce morceau (rires). Tout le monde s’accorde à le dire. Que quelqu’un me dise qu’il n’est pas bien ! La ligne est ouf, c’est trop bien écrit. Il suffit que tu la reprennes avec des arrangements que t’aimes bien, et ça devient un classique.
Ouais donc t’avais pas vraiment honte d’écouter ça ?
Non. Après, j’étais au collège, j’allais peut-être pas leur dire que j’aimais bien ce morceau. Sinon, il y a des hits que j’ai bien aimés. Mais après, encore une fois, des hits de R’n’B, c’est pas vraiment des guilty pleasures, parce qu’ils sont vraiment trop bien ! Genre le bon R’n’B mainstream, il y en a des trop bien…
Donnes des noms !
(Rires) Tout n’est pas trop bien, mais j’aimais bien N.E.R.D. Aussi, quand j’étais tout petit tout petit, je chantais Manau mais j’étais enfant. C’est plus honteux, parce que ça, c’est vraiment mauvais.
6. Le disque que tu écoutais et que tu écouteras toujours
Oulah, il y en a plusieurs. Plusieurs époques. Le premier, Moon Safari d’Air, je le connais depuis que je suis tout petit, genre 6 ans, ou la B.O. de Virgin Suicide. Alors c’est pas un disque que j’écouterais tous les jours mais là, si on le mettait, je serais vraiment heureux. Je sais que sur le long terme, je l’écouterais toujours.
Après, dans les trucs plus récents mais que je sais que j’écouterai toujours, il y a le deuxième Mount Kimbie, Cold Spring Fault Less Youth, ça je pourrais l’écouter tout le temps. Étrangement, je sais que c’est le disque que les fans de Radiohead aiment le moins, mais King of Limbs est fou, franchement sous-estimé et incroyable en écriture. Ou Glassworks de Philip Glass aussi. C’est des trucs qui correspondent à des périodes de découvertes de musique. Par contre, je sais qu’il y a des trucs que je ne pourrai plus écouter.
Comme ?
Tout ce qu’est devenu la beat scene, j’écoute plus du tout. L’après Flume, j’écoute plus trop ça. Je trouve pas ça mauvais hein, mais je suis moins dedans, c’est pas des trucs que j’écouterai sur le long terme.
Ah sinon, dans les disques que j’écouterai encore et encore, j’ai oublié Four Tet : There Is Love In You ! Trop bien, beaucoup trop bien.
Pas de Bonobo ?
Bah, si, j’aime bien, forcément, c’est un père fondateur tu vois. J’étais fan absolu, ça m’a donné envie de faire de la musique et j’adore encore. Mais je le trouve plus intéressant maintenant, genre North Borders est super, franchement mieux que les autres, même si je sais qu’il a parfois été moins bien reçu ou au moins dans mon entourage. Je suis moins… Si, c’est trop bien, j’écouterais toujours, si si. (rires)
Retrouvez Superpoze en concert à l’Élysée Montmartre le 3 mars 2017.