Jeremy Irons contre Jeremy Irons : pourquoi Faux-semblants de David Cronenberg est culte

Jeremy Irons contre Jeremy Irons : pourquoi Faux-semblants de David Cronenberg est culte

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(© Capricci)

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Par Alexis Roux

Publié le

Le 11e long-métrage de David Cronenberg, Faux-semblants, ressort en salles ce mercredi 25 octobre. Une occasion parfaite pour revenir sur ce film emblématique.

À Toronto, en 1988, les frères Mantle, jumeaux monozygotes (Jeremy Irons x2) sont les chirurgiens gynécologues les plus renommés de leur temps. Depuis l’enfance, ils ont pris l’habitude de se substituer l’un à l’autre pour s’amuser. En grandissant, ce plaisir de l’usurpation a contaminé leurs relations sentimentales, puisqu’Elliot, séducteur invétéré, refile ses conquêtes d’un soir à son frère Beverly, plus sensible et introverti. Mais lorsque Beverly tombe fou amoureux de l’une d’entre elles, Claire (Geneviève Bujold), victime d’une mutation utérine extrêmement rare, le lien qui unit les deux frères menace soudain de rompre.

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Il est bien difficile de résumer un film aussi tortueux et vénéneux que Faux-semblants. Avec cette histoire de relation fraternelle malsaine, Cronenberg continue d’explorer un motif récurrent de sa filmographie — la tentation de l’inceste, ou plutôt ici de la fusion, sexuelle et sensorielle, de deux corps qui ne devraient faire qu’un — et témoigne une fois de plus de sa passion pour la lecture psychanalytique de nos tourments. En un sens, Faux-semblants semble même anticiper d’une décennie la rupture stylistique et narrative qui caractérisera, plus tard, le travail du cinéaste.

De l’hémoglobine aux tapis rouges

Dans la première partie de sa carrière, David Cronenberg a exploré, avec une grande lucidité, les traumatismes psychologiques de l’humanité moderne via le genre du body horror (“l’horreur corporelle” dans la langue de Molière), dont il est encore aujourd’hui le plus grand représentant.

Quiconque a déjà vu Vidéodrome ne pourra jamais oublier le magnétoscope qui pousse dans les entrailles de James Woods, évocation spectaculairement graphique de la déshumanisation progressive causée par l’addiction à la télévision et à la violence, devenue spectacle. Avec La Mouche en 1986, c’est l’apothéose : le film donne naissance à la personnification la plus terrifiante et la plus gore qui soit d’une humanité sur le point d’être digérée par les technologies qu’elle engendre.

Pourtant, la carrière de Cronenberg va se voir chamboulée par sa reconnaissance institutionnelle tardive. Avec le controversé Crash en 1996, le cinéaste se rend à Cannes pour la première fois, et décroche le Prix du jury. Il devient dès lors un habitué de la grand-messe cannoise (il comptabilise aujourd’hui six films en compétition officielle) et son style va peu à peu délaisser les outrances anatomiques pour renouer avec un certain classicisme.

Au sein de son public, c’est un fossé qui se creuse, entre celleux qui se passionnent pour l’évolution théorique de son art, et celleux qui déplorent la perte de leur cinéaste de genre préféré.

Froideur clinique

De ce point de vue, Faux-semblants est un film charnière, qui relègue au troisième plan les effets gores et se concentre plutôt sur les indescriptibles pulsions qui animent son tandem. L’atmosphère éthérée du film (qui se déroule en grande partie dans la clinique des jumeaux) tranche donc radicalement avec celle de son précédent film, La Mouche, et opère une rupture de ton.

Pour mettre en lumière la psyché tourmentée des jumeaux, dont les petits jeux de confusion tournent à la folie destructrice, Cronenberg fait le choix de l’épure et de la sobriété, comme pour mieux ancrer son récit dans une forme d’authenticité plus marquée qu’auparavant. Il faut d’ailleurs rappeler que le film s’inspire du roman Twins, écrit par Bari Wood et Jack Geasland, lui-même adaptation romancée d’un fait divers : le suicide simultané des jumeaux Stewart et Cyril Marcus, également gynécologues.

Dans Faux-semblants, la monstruosité ne se manifeste (presque) plus par des chairs explosées ou des fluides visqueux, mais transpire au contraire de la simple bizarrerie inhérente à la gémellité : comment deux êtres humains distincts peuvent-ils être à ce point semblables ? Une impression d’étrangeté qui se trouve accentuée par certains partis pris purement symboliques (la couleur rouge sang des habits de chirurgiens qui sont ici le présage d’un crime à venir).

Comme l’écrit le journaliste Vincent Avenel pour le site Critikat, lorsque “cette dérangeante corruption charnelle” d’habitude caractéristique de Cronenberg “prend corps, elle le fera dans les instruments pour mutants créés par Beverly Mantle — la chair corrompue, à présent, est d’acier chirurgical”.

(© Capricci)

Pour mettre en scène cette confrontation hors norme, Cronenberg se repose sur son formidable interprète principal, Jeremy Irons, qui se dédouble pour l’occasion. Si le film se repose en grande partie sur des effets optiques vieux comme le monde (doublures, montage en champ-contrechamp), il est pourtant resté célèbre pour son statut de défi technique : Faux-semblants est en effet l’un des premiers films à perfectionner à ce point le motion control, soit le contrôle informatique d’un mouvement d’appareil (principalement un travelling) pour pouvoir le reproduire à l’identique, avant de mélanger les différents plans en postproduction.

C’est ainsi que Faux-semblants a donné naissance à son image la plus dérangeante, et sûrement la plus iconique : celle d’un acteur de légende dupliqué, un effet encore aujourd’hui sidérant de réalisme.

Faux-semblants est de nouveau visible en salles depuis le 25 octobre.