Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il y a un certain nombre d’artistes français qui travaillent pour des grosses écuries de comics outre-Atlantique. Pas énormément, mais de quoi être fier. Nous vous présentions il a quelque temps le grand Olivier Coipel, mais il n’est pas le seul à s’être fait un nom chez Marvel.
Une certaine Stéphanie Hans a aussi fait son trou. En dix ans, elle est passée des BD jeunesse franco-belges a des dizaines de titres et des centaines de couvertures signées chez Marvel, avant d’être à l’origine d’un des plus gros succès de ces derniers mois côté comics aux États-Unis.
Co-créé avec le scénariste en vogue Kieron Gillen (The Wicked + The Divine, plusieurs séries Star Wars et chez Marvel), Die est un carton plein de vente mérité. On y suit des amis qui, après avoir vécu une expérience traumatisante de jeu de rôle les ayant envoyés dans une dimension parallèle, sont obligés d’y retourner des années plus tard pour résoudre une bonne fois pour toutes cette histoire.
Alors que vient de sortir le deuxième volet de cette saga fantasy en France, on a discuté avec cette artiste pour mieux comprendre son parcours, l’histoire de cette franchise culte en devenir, les coulisses de son travail et pourquoi Marvel est la meilleure école pour travailler dans les comics.
Konbini | Pour commencer, j’aimerais aborder ton rapport aux comics. À quel moment as-tu commencé à t’y intéresser ?
Stéphanie Hans | J’ai 44 ans. Comme tous les gens de ma génération, j’ai commencé à en lire avec Strange, que mon père achetait et que je volais. J’ai continué jusqu’à ce que Bill Sienkiewicz reprenne Les Nouveaux Mutants. C’est une légende, mais c’est beaucoup trop adulte – avec un dessin très impressionniste, très beau mais vraiment trop difficile d’accès pour un enfant. J’ai donc arrêté d’en lire à ce moment-là. De toute façon, ce n’était pas moi qui les achetais, et j’habitais dans un tout petit village, le choix disponible n’était pas énorme.
Puis j’ai plus ou moins oublié l’univers des comics jusqu’à ce que je me mette aux jeux de rôle avec des amis. J’ai plongé dans des trucs plus indés, les bouquins d’Alan Moore, Sandman… Mais comment j’y suis venue, c’est différent.
C’est-à-dire ?
Vu ma génération, il n’y avait pas grand-chose qui se faisait par Internet. Même en France, il fallait rencontrer les éditeurs en vrai. J’ai été la première dessinatrice embauchée dans une maison d’édition de romans jeunesse sur un dossier en PDF. C’est un milieu qui a mis du temps à se mettre au numérique. Maintenant c’est différent mais à l’époque, c’était encore très instauré le coup de portfolio. Je n’avais jamais envisagé de bosser pour Marvel. Même encore maintenant, alors Marvel embauche des gens du monde entier, les canaux ne sont pas aussi navigables.
Concrètement, c’était quoi ton premier job dans le comics ?
Je faisais déjà de la BD depuis quelque temps en France, principalement des couvertures. Et il y avait ce type qui travaille maintenant chez Delcourt mais qui à l’époque bossait à Album Comics [une boutique au quartier Saint-Michel à Paris, ndlr]. Il allait souvent à New York où il avait des contacts chez Marvel, tous les Français qui y ont bossé sont passés par lui. Je lui ai donné un portfolio qu’il a filé au recruteur international : il a bien aimé mon dossier mais trouvé que c’était encore trop jeune. J’ai dû attendre un peu avant d’avoir mon premier boulot chez eux.
Qui était ?
Faire une couverture de Firestar. Pour Marvel, j’ai réalisé un bon paquet de couvertures, et un peu d’intérieurs mais beaucoup moins – peut-être un ou deux par an contre au moins une couverture par mois. C’est simple, j’ai récemment dépassé le cap des 200 couvertures – pas que chez Marvel certes, j’ai bossé pour tout un tas d’éditeurs. Mais j’ai été la première française collaboratrice régulière chez Marvel.
À quoi ressemblait ce premier boulot chez Marvel ?
C’était très différent de ce que je faisais jusqu’ici. Dans l’édition française ou franco-belge, je planchais surtout sur des projets jeunesse, avec énormément d’allers-retours. Il pouvait parfois y avoir 24 allers-retours et les choses pouvaient prendre 2 mois.
Alors que quand C.B. Cebulski [ancien recruteur international chez Marvel, ndlr] m’a contactée, la couv’ était à rendre dix jours plus tard. J’ai accepté, forcément, mais j’étais un peu paniquée. Au début, je leur demandais s’ils avaient des demandes, des critiques, parce que j’étais habituée à ça. J’ai vite compris que si je pensais que c’était fini, c’était bon pour eux aussi. Tu as forcément beaucoup plus de responsabilités. Puis je me suis rendu compte que quand Marvel recrute quelqu’un, c’est qu’ils lui font confiance.
Mais tu as des consignes malgré tout, non ?
Tout dépend du type de couverture. En gros, tu en as 5 :
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- Les couvertures “variantes”, alternatives, qui sont très différentes de l’intrigue.
- Les couvertures principales où il y a une continuité, où t’es en relation avec les auteurs. Parfois, le scénario n’est pas encore écrit, mais il y a quand même un pitch.
- Les pin-up, ou les couvertures qui sont censées représenter les personnages de manière grandiose, le perso seul sans contexte. Ce sont des couvertures de lunch box, qui peuvent se recycler.
- Les couvertures concepts. Dans ce cas-là, Marvel fait souvent des événements. Par exemple, quand ils relancent un projet sur Venom, ils font des “variantes” de tous les personnages à la sauce Venom.
- Les couvertures “tributes”, pour des titres des années 1950 ou iconiques dont ils veulent une réédition.
Mais la plupart du temps, quand on fait des “variantes”, c’est iconique. Et il y a plein de façons de le faire. Je fais partie de ceux qui aiment bien construire les couvertures comme des rébus, mettre des choses qu’il y a dans le bouquin sans que ce soit explicite, comme une épiphanie. Mais on n’a pas toujours le temps…
Qu’est-ce que tu préférais ?
Ça dépend du scénariste car tous travaillent différemment. Il faut trouver un scénariste avec qui tu peux faire comme une danse. Il ne faut pas danser au pas, il faut se faire confiance mutuellement. Il y a des scénaristes qui aiment être à la barre, décrire la page, la position des cases, les arrière-plans, le premier plan… Certains dessinateurs adorent ça, mais pas moi. Je préfère les scénaristes qui me laissent improviser, comme mon scénariste pour Die.
Comment avez-vous commencé à collaborer ?
C’était sur Journey Into Mystery. Il y a des séries comme Spiderman, Les 4 Fantastiques, où il y a beaucoup d’attente. Mais pour celle-là, il y en avait clairement moins, parce que c’était un personnage assez jeune – Loki venait d’être réincarné.
Donc on était libres et on s’est beaucoup amusés. J’ai toujours vu mon travail chez Marvel comme un moyen pour m’améliorer. Il y a eu beaucoup de dessinateurs sur cette série, mais j’étais la seule cover artist. Avec Lauren Sankovitch comme éditrice, on était une super équipe. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à parler avec Kieron Gillen – et aussi que j’ai récupéré mes premiers abonnés sur les réseaux sociaux.
Puis pour le dernier tome de Mystery, j’avais proposé à l’éditrice de dessiner tout le volume. Et là, il a vraiment découvert mon univers, c’était intéressant. Je crois que c’était en 2013. On avait parlé de faire un projet ensemble, mais ça a pris du temps. On a d’abord collaboré sur Angela, Asguard’s Assassins, et j’avais fait des one shots sur sa série The Wicked + The Divine.
Quand est-ce que Die arrive dans tout ça ?
On a commencé à parler de travailler ensemble un peu plus sérieusement à la fin d’Angela. En 2016, j’étais une nomade numérique : je n’avais plus d’appartement et je voyageais d’un pays à l’autre. Juste avant que je parte, on avait discuté sérieusement. Et on s’était rendu compte qu’on était des auteurs de fantasy incognito. Que c’était notre porte d’entrée mais qu’on n’avait pas encore fait ça dans notre travail. Juste avant que je parte, il m’a envoyé la première esquisse. Je lui ai dit banco tout de suite.
J’ai passé un mois à Londres pour mettre les choses à plat sur ce qu’on voulait faire. On a parlé de tout et n’importe quoi. Il prenait des notes, intégrait mes idées, prenait en compte ce qu’on voulait. J’ai commencé à bosser dessus quand je suis revenu en France.
Vous avez trouvé une maison d’édition directement ?
Oui car Kieron avait un titre qui se vendait très bien chez Image Comics, The Wicked + The Divine. Il avait un rapport privilégié avec eux et on n’a pas eu besoin de beaucoup le pitcher, ce qui était très confortable.
Trouves-tu que tes dessins sont différents de ceux pour Marvel ? Le fait que ce soit de la fantasy, que tu sois la créatrice des personnages, sans pression d’un héritage à suivre ?
Mon dessin est un peu différent, c’est sûr. Vu que je fais 24 pages toutes les 6 semaines, j’apprends énormément et je trouve que je progresse. D’ailleurs, une des raisons pour lesquelles j’aimais travailler chez Marvel, c’était qu’ils me laissaient faire. La qualité de Marvel pour moi, c’est qu’ils sont capables d’aller chercher des talents qui vont apporter des voix nouvelles dans leur collection, qui ont vraiment des pattes originales, avec une vision particulière.
La seule vraie différence avec Die, c’est que j’étais la créatrice. Je pouvais concevoir tout un imaginaire, un bestiaire qui m’était propre. J’ai toujours fait du mieux que je pouvais, mais là c’est différent.
Tu disais plus tôt que tu jouais à des jeux de rôle plus jeune et que ça t’a aidée à concevoir l’imaginaire. Ça a rendu l’affaire plus facile pour toi ?
Pour être honnête, Kieron aurait pu écrire n’importe quoi, j’aurais accepté. Mais effectivement, le fait d’avoir fait jeu de rôle plus jeune, ça m’a parlé.
Tu te souviens de la sortie du premier volet, de la réception du public ? Comment te sentais-tu ?
Oh oui ! J’étais tellement stressée que je me suis planquée un mois à Singapour. Littéralement. Je ne répondais quasiment pas aux mails, c’était l’enfer, bien pire que d’habitude.
Pourquoi ?
Quand je faisais des couv’ pour des BD franco-belges, j’étais un petit plus, mais les ventes ne dépendaient pas de mon fait. Si c’était un flop, on ne me reprochait rien. Là en sortant un premier livre, en étant cocréatrice et même impliquée financièrement, c’est évident que l’enjeu est différent. Si ça foirait, c’était en partie de ma faute.
Sauf que ça a été un carton.
Oui, mais je n’ai pas compris tout de suite. Quand le premier Die a été réimprimé pour la cinquième fois, là j’étais heureuse [rires]. Elle le sera peut-être même une sixième fois mais en petit volume. Donc oui, c’est rassurant. En fait ça a mieux marché aux États-Unis qu’ici.
Le deuxième volet vient de sortir, as-tu déjà une fin en tête ? Est-ce pour bientôt ?
La série a toujours eu une fin, elle arrivera à un moment mais je ne peux pas dire quand. Par contre, je peux dire elle aura quatre arcs et on réfléchit déjà à ce qui viendra après.
Le deuxième volet de Die est sorti chez Panini Comics.