Qui est starRo, le producteur japonais qui a séduit les Grammy Awards ?

Qui est starRo, le producteur japonais qui a séduit les Grammy Awards ?

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Par Naomi Clément

Publié le

starRo est la preuve vivante qu’il n’est jamais trop tard pour embrasser sa véritable passion. Fils d’un pianiste de jazz, passionné de soul depuis son plus jeune âge, multi-instrumentiste confirmé… ce natif de Tokyo, aujourd’hui âgé de “bientôt 40 ans”, comme il s’amuse à nous le confier, était visiblement né pour faire de la musique. Pourtant, ce n’est qu’il y a cinq ans que Shinya Mizoguchi (de son vrai nom) décide de se lancer enfin, dévoilant au compte-gouttes via sa page SoundCloud des titres entraînants au cœur desquels s’harmonisent ses multiples influences, du R’n’B à la house en passant par le rock.

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Depuis cette reconversion, le beatmaker s’est allié à de nombreux chanteurs américains, comme le prometteur Masego, a dévoilé un premier album baptisé Monday, et décroché une nomination pour la 59e cérémonie des Grammy Awards, qui s’est tenue début 2017 à Los Angeles, où il vit depuis maintenant dix ans. Nominé dans la catégorie “Meilleur remix de l’année” pour son travail sur le titre “Heavy Star Movin'” du groupe The Silver Lake Chorus, starRo est ainsi devenu l’un des rares (sinon le seul) producteurs japonais indé à avoir séduit ce qui constitue l’une des plus grandes institutions de l’industrie musicale américaine. Un parcours inspirant, qu’il a accepté de retracer pour nous.

La musique m’a offert les plus beaux moments de ma vie, mais aussi les pires

Ta musique est le fruit d’une vie passée aux quatre coins du monde, du Japon aux États-Unis en passant par l’Australie et l’Europe. Quels sont les genres qui t’ont le plus influencé ?

Le jazz, principalement, car mon père était un pianiste de jazz. J’ai grandi en l’écoutant jouer du piano. Et puis, mes parents se sont rencontrés parce qu’ils faisaient partie du même groupe quand ils étaient jeunes. Ma mère chantait, donc avant même que je naisse, quand j’étais encore dans son ventre, la musique était tout autour de moi. À part ça, l’Australie, où nous avons vécu deux ans avec mes parents quand j’étais enfant, est sans doute le pays qui a le plus d’impact sur moi, parce que ce pays est largement influencé par la culture américaine, mais il possède également une très forte influence britannique. C’était l’endroit idéal pour se façonner une culture musicale riche et variée.

Quand as-tu commencé à considérer la musique comme un potentiel métier ?

Le style que j’ai aujourd’hui, à travers le projet starRo, j’ai commencé à le façonner il y a seulement cinq ou six ans. Avant ça, je travaillais dans une compagnie de tech’ à Los Angeles, et la musique n’était alors qu’un loisir pour moi. SoundCloud a joué un rôle important dans le projet starRo. Avant son apparition, je me contentais de faire écouter mes morceaux à quelques-uns de mes amis, et j’étais super heureux de leur retour ; mais quand j’ai commencé à poster ma musique sur SoundCloud, ce sont des gens du monde entier qui me faisaient part de leur retour, de parfaits inconnus ! C’est super grisant de voir que ta musique parle à des gens un peu partout dans le monde. C’est ce qui m’a encouragé à prendre la musique au sérieux.

Qu’est-ce que tes parents pensent de cette reconversion ?

Mes parents ont toujours refusé de considérer la musique comme un véritable métier, sans doute parce que mon père était pianiste, et qu’il a pu voir de ses propres yeux à quel point cette industrie est effectivement complexe. Et moi-même aujourd’hui, je crois que je n’encouragerais personne dans cette direction [rires]. C’est un milieu très difficile. La musique m’a offert les plus beaux moments de ma vie, mais aussi les pires. Il faut faire avec.

“Grâce à la musique, le lundi est devenu mon jour préféré de la semaine”

L’année dernière, tu as dévoilé ton tout premier album, Monday. Est-ce qu’il y avait un message particulier que tu souhaitais faire passer à travers lui ?

J’ai choisi le mot “monday” car j’avais l’habitude de détester les lundis ! Tout le monde déteste les lundis, n’est-ce pas ? Mais depuis que j’ai quitté mon job dans la tech’ pour me concentrer entièrement sur la musique, le lundi est devenu mon jour préféré de la semaine. Le lundi, c’est le jour où tout le monde retourne travailler, donc c’est un jour en mouvement, celui qui te donne de l’énergie. Et puis je voulais aussi que cet album motive les gens à se lever pour aller bosser, à appréhender de façon positive ces longues journées de travail qu’ils redoutent parfois. Voilà le message principal.

Pour donner vie à cet album, tu t’es allié à plusieurs artistes comme Joyce Wrice ou Gavin Turek. Comment choisis-tu tes collaborateurs ?

Les artistes qui figurent sur Monday sont pour la plupart basés à Los Angeles, où je vis. J’avais besoin d’une certaine proximité, car je préfère toujours partager mes idées au sein d’un studio plutôt que via Internet, par écrans interposés. Le seul artiste qui n’est pas basé à L.A. sur cet album, c’est Jonah4lyfe, qui figure sur le deuxième titre de l’album, “I Wish”. Je n’arrivais pas à trouver la personne avec la texture que je m’étais imaginée en créant ce morceau… Et puis un jour, j’ai reçu un message sur SoundCloud, d’un Africain qui vivait en Indonésie. Et il chantait exactement comme ce que je m’étais imaginé… ! Donc je lui ai demandé s’il était partant pour collaborer sur ce son, et six heures plus tard, il m’avait déjà envoyé une démo. C’était juste parfait.

Tu n’as jamais pensé à chanter toi-même ?

En vérité, c’est moi qui chante sur la toute première chanson de l’album, “A New Day”. Mais je préfère éviter, c’est tellement embarrassant pour moi [rires] ! Et puis, il y a tellement de chanteurs talentueux à Los Angeles, autant en profiter ! Mais je voyage beaucoup en ce moment, et je ne peux malheureusement pas emmener tous ces artistes avec moi, du coup je vais peut-être m’y mettre davantage…

“L’énergie qui émane des concerts de rock me fascine”

Quelques mois après avoir dévoilé Monday, tu as été nommé pour les prestigieux Grammy Awards. Comment on réagit à une telle annonce ?

Je ne m’y attendais pas du tout. Pour commencer, les artistes indé comme moi ne sont que très peu représentés aux Grammy Awards, sauf quand ils se cachent derrière la production d’un morceau qui a cartonné, un single surpuissant de Beyoncé par exemple. Donc à mes yeux, les Grammy n’étaient pas pour moi.

Ensuite, je ne savais même pas que le remix pour lequel j’ai été nommé avait été soumis à la sélection des Grammy ! Je l’ai appris en me réveillant, un beau matin. J’ai regardé mon téléphone et un de mes amis avait tweeté un truc du genre : “Félicitations starRo pour ta nomination !” Les Grammy Awards ne m’ont prévenu que deux ou trois semaines plus tard. Alors que moi, je m’étais toujours imaginé qu’une bande de mecs en costumes noirs viendraient toquer à ta porte si tu étais nommé, en te remettant une enveloppe super confidentielle contenant ta nomination… je m’étais trompé [rires].

À quel point la scène est-elle un lieu important pour ton métier de producteur ?

Tu sais, j’écoute beaucoup de rock, et c’est un genre qui m’inspire beaucoup pour mes concerts. L’énergie qui émane des concerts de rock me fascine. J’essaie de reproduire cette énergie à travers mes sets. C’est très important pour moi d’avoir une connexion avec le public, surtout à cette époque où la musique électronique jouée en live ne se résume parfois qu’à un producteur derrière ses machines – ce qui m’attriste beaucoup.

Est-ce que les vêtements, la façon dont tu te présentes physiquement à ton public, participe à cette énergie ?

Absolument ! En tant qu’artiste, tu dois faire en sorte que le public croie en toi. Et pour ce faire, tu dois utiliser la musique bien sûr, mais aussi ta personne, ton corps, ton style. J’ai toujours pensé que si tu présentes bien, alors tu sonneras bien.

Prince incarnait parfaitement cette idée, par exemple…

There you go ! Prince est parfait. Sa musique seule est évidemment extraordinaire, mais il l’emmenait à un niveau supérieur grâce à son style, son image, les visuels et tout le reste. C’est aussi ce que je souhaite faire dans mes concerts.

“Faire de la musique pour le reste de mes jours”

Comment définirais-tu ton style vestimentaire ?

Pour moi, la musique, le style, la mode… tout ça est une mixture de toutes mes influences. Par exemple, dans ma musique : oui je me base sur le R’n’B et le jazz, mais j’aime aussi y incorporer du punk ou du rock. C’est pareil avec la mode : j’aime que mes vêtements représentent cette idée de multiculturalisme qui me représente. Je veux que mes vêtements soient à l’image de ma musique.

J’ai cru comprendre que les sneakers étaient assez importantes pour toi…

Oh oui, j’ai des tonnes et des tonnes de paires ! Et j’adore cette nouvelle paire de Gel-Diablo issue de la gamme Asics Tiger que j’incarne aujourd’hui. Asics est une marque à laquelle je m’identifie très facilement, dans la mesure où elle n’en fait jamais trop. J’entends par là qu’elle n’essaie absolument pas de surfer sur la vague japonaise en utilisant des tissus provenants de kimono pour concevoir ses baskets par exemple (d’ailleurs, la plupart des gens ne sait même pas qu’Asics est une marque japonaise !). Il en va de même pour ma musique : je suis originaire du Japon, certes, mais je ne vais pas faire en sorte que ma musique sonne comme la bande originale d’un film de Miyazaki, simplement pour qu’on me colle l’étique “Japon”, très en vogue en ce moment. J’aime cette idée de subtilité, qui pour moi est inhérente à l’art.

Maintenant que tu as sorti ton premier album, séduit les Grammy Awards, flirté avec une grande maison comme Asics… à quoi va ressembler ton année 2018 ?

Nous vivons dans une ère digitale où les gens manquent cruellement d’attention, à tel point qu’ils n’ont plus la patience d’écouter un album jusqu’à la fin, pas même un EP pour certains. Du coup, je compte dévoiler ma musique à coups de singles, toutes les six semaines, et voir où cela me mène. Je sortirai peut-être un second album, mais pour le moment, je vais me concentrer sur cette idée de singles et de collaborations. Je sais que j’évolue dans un milieu très difficile, mais honnêtement, je veux juste faire de la musique pour le reste de mes jours. Pour 2018, mais aussi pour 2019, 2020… et toutes les années qui suivront.