Interview : Parasomnia, le studio qui se lance dans le film de genre à la française

Interview : Parasomnia, le studio qui se lance dans le film de genre à la française

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( © Wild Bunch)

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Par Arthur Cios

Publié le

Il est le résultat d'une association entre Sony Pictures France et le producteur Marc Missonnier.

Jusqu’à il y a peu de temps, cinéma de genre et cinéma français ne faisaient pas franchement bon ménage, malgré de très belles tentatives au début des années 2000 dans la veine de ce qu’on appellera le mouvement du New French Extremism (les puristes parleront de French Frayeur). Alors que Hollywood est maître dans ce domaine depuis les années 1970, nos productions n’ont jamais trop osé aller sur ce terrain-là.
Il y a mille et une raisons qui peuvent l’expliquer. Que ce soit le financement particulier des films en France, l’image que dégage un film français dans l’imaginaire collectif, ou encore la frilosité de nombreux acteurs de l’industrie. Les fans du genre ont donc attendu de pied ferme que la situation évolue. Et l’horizon commence à s’éclaircir.
Après le succès critique de Grave et quelques tentatives récentes réussies, nous avons vu la société de distribution française The Jokers se diriger vers ce terrain miné. La boîte de Manuel Chiche va bientôt sortir La Nuée, Teddy et d’autres films de genre made in France. De quoi donner un peu d’espoir. Mais ils ne sont pas les seuls.
Il y a quelques semaines, Sony Pictures France annonçait lancer un label français de cinéma de genre. Une première. Imaginez : une major hollywoodienne qui s’associe à un producteur français pour financer des projets à bas coût. De quoi faire émerger de nouveaux talents, et solidifier le mouvement en cours qui veut que le cinéma français arrête de bouder le genre une bonne fois pour toutes.
Alors que l’appel à projets se termine le 15 mars, nous avons discuté longuement avec Marc Missonier, PDG de Moana Films, et Stéphane Huard, président de Sony Pictures France, pour comprendre tout ce qui se cache derrière ce projet.
Konbini | C’est quoi votre rapport aux films de genre ?
Marc Missonier| En ce qui me concerne, le film de genre, je ne l’ai pas découvert au cinéma car je ne viens pas d’une famille de cinéphiles. Je sais que ça fait préhistorique, mais je l’ai découvert en VHS [rires]. Plus tard, DVD et salles de cinéma quand je pouvais. Juste pour vous donner une anecdote, durant mes études, je m’occupais du ciné-club de Sciences po. J’ai projeté The Rocky Horror Picture Show (1975) dans un des grands amphis avec une troupe qui venait faire les animations. Vous imaginez l’état de l’amphi après la projection [rires], j’ai été convoqué par la direction.
Stéphane Huard | Il y avait de la flotte et tout ?
Marc | Oui, il y en avait partout. De la flotte, du riz… Donc j’ai une cinéphilie très large, mais j’adore les films de genre parce que je les trouve toujours très créatifs, très imaginatifs. Souvent, de nouvelles idées de mise en scène viennent de là. Les questions de société sont abordées de manière très frontale dans ce genre de films. Ça permet d’aborder plein de choses. Bon, il y a plein de merdes aussi, il faut vraiment faire le tri.
Et puis, dans ma vie de producteur, j’ai produit des films de genre il y a très longtemps, comme Promenons-nous dans les bois (2000), qui était le premier slasher français, à l’époque de Scream. On pense ce qu’on veut du film, mais c’était une tentative. D’ailleurs, il avait bien marché, on avait fait plus de 800 000 entrées.

Ça m’a donné envie d’en faire d’autres à l’époque. J’avais produit le premier film d’Éric Valette avec Maléfique (2003), ou encore Un jeu d’enfants (2001) de Laurent Tuel. Certaines tentatives étaient abouties, d’autres moins. Et je pense que le contexte n’était pas propice, que les critiques n’accueillaient pas ces films de la même manière, à savoir qu’il n’y avait pas beaucoup de mansuétude pour les films de genre français. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, il y a une écoute. C’est peut-être une question de génération au niveau des critiques. Il y a désormais une intention différente, le film de genre est plus noble, entre guillemets, qu’il ne pouvait l’être avant.
Stéphane | C’est marrant votre question, parce que je n’y avais jamais pensé. Le premier souvenir que j’ai, c’est The Thing (1982) de John Carpenter. Je ne m’y attendais pas du tout. J’avais vu New York 1997 (1981), je pensais que c’était la suite. J’ai été tellement flippé de ce film. Et j’ai eu la chance de sortir le remake chez Universal, qui pour le coup était moins fort, moins réussi, mais la boucle se bouclait.
Ce que j’aime dans ces films, c’est à quel point ils sont contemporains. The Thing est tellement moderne, intelligent. Quand on le regarde, avec le recul, avec toutes ces années. C’est ce qu’on aimerait générer avec ce projet, à savoir faire émerger des projets de films par des jeunes talents qui vont nous secouer un peu, nous émerveiller, nous solliciter intellectuellement pour regarder, à travers ce prisme-là, la société.
Vos premières références de films de genre sont américaines. Est-ce que les productions françaises peuvent atteindre le niveau des Américains ?
Marc | Il y a une profusion du film de genre américain, alors qu’il y en a beaucoup moins en France. Mais j’ai pu le voir à Gérardmer, les talents ne demandent qu’à s’exprimer. Simplement, pour avoir de la qualité, il faut de la quantité. C’est un peu bête de dire ça, mais c’est en faisant des films que des pépites émergeront. Je ne crois pas à la formule magique qui fait qu’on sait la recette. J’ai produit trop de films pour croire à une chose pareille. C’est en faisant, en tentant des choses, que quelque chose peut arriver. C’est vrai que les références sont américaines, mais par défaut. Parce qu’il n’y a pas eu assez de films français qui existent dans ce registre-là.
Stéphane | Il ne faut pas oublier que Hollywood produit pour le monde, donc le marché n’est pas comparable à celui du marché français. La problématique quand un film de genre américain sort, c’est qu’il fonctionne sur son marché et est bénéficiaire à l’internationale. Ce qu’on voit depuis dix ou quinze ans, c’est que les marchés occidentaux ont été beaucoup plus réceptifs à ce genre de films, surtout en Europe et en Amérique latine.
En Europe, l’Espagne était très favorable aux films de genre, elle en développait beaucoup mais ne les exportait pas tant que ça. Et puis on a commencé à en voir avec les films de genre industrialisés américains, les Blumhouse, Screen Gems. Le public s’est élargi, donc il y a un public dans les salles en France suffisamment réceptif pour avoir plus d’ambition dans les projets français. Aussi, les plateformes contribuent à faire voyager les films locaux à l’international. Ce timing par rapport à Marc et à Sony nous fait dire que la période est favorable pour tenter ce genre d’aventure.
Vous parlez de ce projet depuis combien de temps ?
Marc | C’est venu de plusieurs choses. D’abord, cette envie ne m’a jamais quitté. Quand je produisais mes films il y a très longtemps, un de mes partenaires, Vincent Maraval [un des fondateurs de Wild Bunch, ndlr], qui vendait tous mes films à l’époque, me disait : “Quand est-ce que tu refais des films de genre ?” Parce que lui vendait ça comme des petits pains à l’international. Je lui disais que le contexte en France n’était pas génial. Mais j’y pensais toujours.
Puis, il se trouve que j’ai produit récemment un film pour un très petit budget, chose que je n’avais pas faite depuis longtemps. J’ai vu que c’était possible et que le résultat était intéressant. Film que va sortir Stéphane, d’ailleurs. Il y a un an et demi, je suis allé voir Stéphane et je lui ai proposé de créer un label et d’associer nos forces. C’est-à-dire un producteur français établi, et un studio américain qui connaît les films de genre, qui sait comment les sortir. Parce que ce n’est pas tout de savoir les faire, il faut aussi savoir comment les vendre au public. Souvent, les distributeurs français n’ont pas cette culture-là et ne savent pas trop s’il faut les vendre comme des films d’auteur, du pur divertissement, si on s’adresse aux ados, aux adultes…
Des questions que les distributeurs comme Stéphane connaissent par cœur, parce qu’il a déjà été confronté à ça avec des productions américaines. Donc c’est bien d’avoir des personnes qui connaissent cela dans ses équipes. Il faut que le film soit là, bien sûr, mais il faut aussi savoir le vendre. C’est cette association-là que je leur ai proposée. Ils ont trouvé que ça fonctionnait, c’est pour ça qu’on est là aujourd’hui.
Ça a été facile à lancer avec les Américains ?
Stéphane | On a chez Sony une équipe dédiée aux productions internationales, basée à Los Angeles, qui travaille sur l’aspect financier du deal. L’approche de Marc, qui a été très originale, de dire qu’on ne s’engageait que sur des budgets à moins d’un million d’euros de production, a une faculté de rassurer évidemment l’investisseur Sony. Avec, à côté, l’accès que nous avons à d’autres médias que le cinéma, et la possibilité d’avoir d’autres diffusions. La possibilité de faire des remakes.
C’est cette approche raisonnable qui a fait qu’on a pu déclencher le partenariat, en se disant : on fait un pari ensemble, on part ensemble sur quelques années, on ne sait pas pour combien de temps, mais c’est un pari qu’on est prêts à faire ensemble, sachant que si on fait trois ou quatre projets, ça ne reviendra au global qu’à un ou deux gros projets français qu’on aurait faits par ailleurs. Avec cette connaissance des marchés qui évoluent et des goûts des spectateurs, on se dit qu’il y a peut-être une opportunité.
Est-ce que vous pensez que cette alliance entre un producteur local et une major aurait pu se faire dans un autre marché européen ?
Stéphane | Il faut reconnaître que la production française est puissante, et qu’il y a un savoir-faire, des expertises de métiers et de cinéphilie qui font que la France s’y prête particulièrement. Mais demain, le modèle peut être développé en Espagne, en Asie, et peut être répété ailleurs si on trouve les mêmes combinaisons de talents. En France, c’est naturel. 40 % des entrées sont faites par des films français, ça n’existe que dans très peu de marchés dans le monde. C’est une expertise différente.
Marc | L’intérêt de notre association est aussi dans le financement. Je ne sais pas à quel point vous êtes familiers avec le financement d’un film français, mais soit ça passe par un partenaire, des guichets de film d’auteur (avance sur recettes, aide des régions), soit il se finance de l’autre côté avec des télévisions pour des films plus mainstream. Le film de genre est entre les deux. Il ne s’adresse ni à l’un, ni à l’autre.
L’intérêt du partenariat avec Sony, c’est que Sony finance l’intégralité du film. On n’a de comptes à rendre à personne d’autre que nous. Quelque part, on est totalement libres de faire ce qu’on veut. C’est ça l’intérêt, et c’est cette liberté qu’on donne à tous les cinéastes qui vont nous proposer leur projet et on va leur dire que, si on aime un projet, on y va, et c’est tout. Il ne faut pas passer par une commission, par un comité de lecture, pas du tout. Si on aime, on y va.
Ce sont des projets que des Alexandre Aja ou des Christophe Gans auraient appréciés il y a quelques années…
Marc | Oui !
L’idée, c’est de trouver les nouveaux Aja ?
Marc | Absolument.
Stéphane | Mais pour revenir sur le fait qu’il n’y a pas eu beaucoup de films de genre en France pour l’instant, la notion de financement est majeure.

Le fait que les télévisions ne veulent pas miser dessus car elles ne pourraient pas les diffuser ?
Stéphane | C’est-à-dire que les guichets n’étaient pas là. Ceux qui validaient n’étaient pas dans la volonté de faire ce genre de projets. On voit que le CNC essaie justement de pousser vers des films de genre depuis deux, trois ans avec des commissions spéciales. Mais nous, on n’en veut pas [rires]. Pour garder cette indépendance.
Marc | Et ce n’est pas étonnant. La seule manière de faire marcher ces films de genre, c’était de les présenter comme des films d’auteur. Grave est présenté d’abord comme un film d’auteur avant d’être présenté comme un film de genre. C’est très bien de faire des films d’auteur, j’en produis plein, c’est juste que, effectivement, il y a un angle mort.
On parlait de Gérardmer, on a vu The Jokers qui s’est mis à défendre le cinéma de genre français. Quel est votre regard là-dessus ?
Marc | Manuel Chiche est évidemment un grand connaisseur, un grand cinéphile du genre. On peut lui reconnaître ce talent et cette expertise. Il a toujours cru d’ailleurs que c’était possible en France. Et il le prouve aujourd’hui, maintenant qu’il a un peu de moyens grâce au succès de Parasite, et c’est tant mieux, pour prouver justement qu’il est capable d’en faire, d’en dénicher. Je trouve ça super.

C’est génial que les films de The Jokers aient reçu des prix, aient été remarqués. Et c’est ce que je vous disais tout à l’heure : plus il y en a, plus on aura une chance d’avoir des films intéressants et qui marcheront en salles. Parce que Manuel ne fait pas ça que pour la beauté de l’exercice, il espère que ces films marcheront en salles.
Au-delà de tout ça, pensez-vous que le public a une méfiance envers les films de genre français ?
Marc | C’est aussi pour ça que, je pense, il faut que les films aient une vraie identité française. En langue française, qui parlent de la société française. On verra les genres et les histoires qu’on nous propose, mais c’est vraiment notre souhait. Que ce soit des films qui ne puissent pas se faire ailleurs qu’en France. On parlait des films Blumhouse, certains de leurs films parlent de problématiques de la société américaine. C’est un peu ça notre idée. Comment parler de la question de la place des femmes, du genre, des minorités, de la religion dans notre spectre. Il y a des milliers de questions que la société française se pose en ce moment, et il y a plein de façons de l’aborder. Le film de genre est peut-être un des meilleurs moyens pour le faire, de manière frontale ou détournée.
Stéphane | Aujourd’hui, quand vous dites à un ado de 13 ans d’aller au cinéma, une des premières questions qu’il vous pose, c’est : “Ton film, c’est un film français ?” C’est un critère de décision. Sauf si c’est une comédie portée par un talent qu’il admire, c’est un critère de rejet. Donc effectivement, il faut qu’on passe ce filtre-là, et qu’on ait une proposition qui permette justement de les convaincre et de leur donner envie d’aller voir des films de genre français. Après, avec la maturité et l’expérience, on peut être moins influencé par ce critère-là, mais c’est un critère majeur pour les plus jeunes, c’est sûr.
Ce sont les plus jeunes que vous visez justement ?
Stéphane | Oui ! Quand on regarde le public des Blumhouse [société de production américaine fondée par Jason Blum qui a produit les franchises Insidious, Paranormal Activity et American Nightmare, ndlr], ça commence à 12-13 ans, et ils y vont en bande. Beaucoup de filles y vont entre elles se faire un petit frisson, et c’est une expérience cinéma forte. C’est ce nouveau public-là qu’on peut essayer de viser également. Évidemment, ça va dépendre de l’histoire mais, sur certains, on ne va pas s’empêcher d’y aller.

Marc | Il y a une différence entre le public de Grave, qui comprend des jeunes adultes en centre-ville, et le public de certains films Blumhouse, qui est beaucoup plus large, beaucoup plus jeune. Nous, on aimerait couvrir ce spectre-là.
Marc | Quand on fait un film et qu’on le distribue, il faut être clair avec la cible. Il faut savoir à qui on s’adresse. Il y a toujours un public cible, et il faut d’abord partir de ce public cible et ensuite on élargit, et pas l’inverse. On ne se dit pas après qu’on vise large, en espérant qu’un public se créera au milieu. On vise d’abord notre cible, et ensuite on élargit. Et notre cible, quand on élargit, le public de film de genre, c’est effectivement un public jeune. C’est une grande ambition de ramener les plus jeunes voir des films français.
Blumhouse, dont on parlait juste avant, a fait des productions interdites aux moins de 16 ans. C’est quelque chose que vous éviteriez du coup ?
Stéphane | On ne se l’interdit pas, mais je ne pense pas que ce soit une priorité. Déjà parce que ça pose une difficulté au niveau de l’accès au cinéma. Certains sont réticents à diffuser des films moins de 16, et puis, il y en a de moins en moins – quatre ou cinq par an. Après, je ne suis pas sûr que ce soit le genre le plus adapté à nos ambitions. C’est-à-dire que le très violent, ce n’est pas forcément notre démarche.
Marc | Et puis, pour être honnête, c’est moins mon goût. Je pense que je serais moins bon pour produire un film hyper violent, hyper gore, qu’un film qui l’est un peu moins. C’est une question de goût, il faut assumer ça. Moi, c’est moins mon truc.
On parlait de cette contrainte de budget. Est-ce que c’est plus difficile pour le cinéma de genre de produire des films pas chers ?
Marc | Ce n’est pas facile de produire un film pas cher, ça c’est sûr. Parce que l’argent résout beaucoup de problèmes. Mais en même temps, ça contraint à être inventif. Disons que ça implique des revenus assez bas, mais du coup, que les gens ont un intérêt à faire ce film-là. Soit parce qu’ils ont peu d’expérience et que ça leur permet de se lancer : un jeune qui n’a jamais été chef opérateur, ça lui sert de tremplin. Soit, au contraire, ça attire des gens qui ont de l’expérience mais qui nous donnent un peu de leur temps pour essayer des choses nouvelles. La contrepartie, c’est d’être intéressé sur le succès du film. Dans notre modèle, tout le monde est intéressé. C’est à la fois des contraintes, et en même temps, la garantie de travailler avec des personnes motivées.
Le modèle à ce niveau-là, c’est Blumhouse, dont on parle depuis tout à l’heure, qui lui aussi a marketé une limite budgétaire à hauteur de 5 millions de dollars. C’est un modèle pour vous ?
Marc | Bien sûr. Ce n’est pas le seul à avoir essayé de s’adresser au plus grand nombre avec des petits budgets. En tout cas, c’est lui qui a le plus réfléchi à ce modèle. Donc oui, c’est une référence.
Concrètement, quels sont vos objectifs ?
Stéphane | Globalement, on s’est donné un timing. C’est-à-dire que là, on a jusqu’au 15 mars pour recevoir des pitchs. Une fois que ces pitchs seront arrivés, on va demander un traitement d’une dizaine de pages à plusieurs projets qu’on va optionner, et sur ces traitements, on va engager des développements. On se dit avec Marc que si on peut partir avec cinq projets en développement cette année, ce serait bien. Combien iront au bout, on va voir, peut-être pas tous, mais c’est un peu le volume qu’on se fixe pour un démarrage.
Sachant que ça, c’est le début et qu’au fur et à mesure, vous recevrez d’autres projets ?
Stéphane | Bien sûr. On relancera des appels à projets régulièrement.
Vous avez déjà commencé à regarder ce qu’on vous a envoyé ?
Marc | On a reçu beaucoup de choses. Plusieurs centaines [400, ndlr]. Et ça arrive tous les jours. C’est ça aussi qui nous conforte avec Stéphane, quand on voit ce qu’on reçoit, on sent que ça répond vraiment à une envie. Même dans les commentaires, on voit que les gens sont ravis de pouvoir postuler. On n’a pas encore ouvert la boîte. On fera le tri quand on aura tout reçu.
Au-delà de scénarios liés à l’actualité française, quels sont les autres critères qui sont importants pour vous ?
Marc | Le pitch lui-même, est-ce qu’il y a une histoire, un concept, est-ce qu’il est original, sort de l’ordinaire. On n’est pas là pour reproduire une formule qui existe déjà. Il faut que ce soit neuf, que ça fasse écho avec quelque chose qui est dans l’air. “Qui est cette personne ?” Parce qu’on demande un pitch et une note d’intention. “Quelle est l’envie ? Qu’est-ce que la personne veut raconter ? Est-ce qu’elle a un point de vue ? D’où elle vient, est-ce qu’elle a fait des choses avant ?” Même si on ne demande pas forcément beaucoup d’expérience, on va sans doute faire beaucoup de premiers films. “Mais est-ce qu’elle a déjà un univers ?” C’est ça qui nous intéresse. Des parcours hors norme, pourquoi pas. On veut donner leur chance à des gens d’horizons différents
Vous trouvez qu’il y a, en dehors des thèmes abordés, une mise en scène française différente, une sorte de French touch cinématographique ?
Marc | Je pense qu’il y a, quand on regarde les films de genre américains, et je parle de tout-venant, pas juste ceux qui sortent du lot, une propension à faire du pur divertissement. Sans intention réelle, juste pour faire sursauter les gens, et c’est tout. Là où un auteur de film français va se poser un tout petit peu plus de questions. Cela peut sembler prétentieux quand je le dis, mais on veut faire des films divertissants, et si on peut raconter une histoire qui a un peu plus de sens, c’est tant mieux.
Stéphane | Soulever des questions, surtout pour les plus jeunes. Cela va permettre de les interpeller sur des sujets de société, ce serait pas mal.
Le problème, c’est que beaucoup de jeunes vont voir des films de genre américains comme Sinister, Insidious, Conjuring. Comment concurrencer ces films-là ? À travers des dimensions marketing aussi affûtées ?
Stéphane | Je pense qu’on a appris beaucoup de choses ces dernières années, surtout avec les outils digitaux. Il y a une façon de communiquer aux jeunes et de leur donner envie d’aller au cinéma, quel que soit le genre. C’est un peu plus codifié sur les films de genre, mais grosso modo, ce sont les mêmes méthodes, et oui, on va les utiliser. Parce que ce sont celles qui font qu’on donne envie d’aller le premier jour au cinéma, parce que tout est là chez nous. Ça se joue le mercredi. On ne peut pas se permettre d’attendre qu’ils se réveillent trois semaines après pour y aller. On connaît les leviers, on va les utiliser. Un des critères que je vais apporter à Marc, c’est que je vais vraiment pousser les projets sur les pitchs. Il nous faut un pitch, il nous faut un moyen d’être une bonne force de proposition quand les gens iront au cinéma.
Vous disiez que dans le cinéma d’horreur, il n’y a pas de recette, mais il y a malgré tout les fameux jump scares. C’est un passage presque obligé. Est-ce que vous vous sentirez obligés d’en mettre ?
Marc | Mais moi, j’adore les jump scares [rires] ! Je trouve ça super, pourquoi s’en priver ? Évidemment, le chat qui saute à la figure du personnage, on l’a déjà vu 40 000 fois, il faut être malin. Mais ce serait dommage de priver les spectateurs de ça. Un film d’horreur sans jump scares, il ne remplit pas toutes les cases. Il faut l’utiliser à bon escient.
Dans cette nouvelle vague de genre français, il n’y en a pas toujours. Comme dans Teddy par exemple…
Marc | On préfère l’angoisse sourde, ce qui n’est pas forcément le cas de Teddy d’ailleurs, plutôt que le jump scare. Mais on peut avoir les deux.
Tout à l’heure, on parlait de faire un film pour un public précis. Est-ce qu’on peut avoir la même démarche pour une plateforme ? Est-ce qu’on tourne un film différemment si on veut qu’il aille en salles ou sur une plateforme de streaming ?
Marc | On ne raisonne pas comme ça. Les films sont financés par Sony, donc on les produit pour qu’ils soient diffusés en salles. Mais il y en aura peut-être un ou deux où la réflexion se fera sur une sortie en streaming ou la diffusion post-salles. Pour tout vous dire, j’ai eu plein de coups de fil après l’annonce du label de gens intéressés pour s’associer. Alors oui, mais pas pour l’instant.
Stéphane | Et puis, il est hors de question d’aller voir une plateforme en disant : “On a tel pitch, ça vous intéresse ?” Ce n’est pas l’idée. C’est le film avant tout, et pour la salle. Et si après, il y a problème X ou Y, on verra. Au dernier moment.
Du coup, vous vous donnez quel type de chronologie pour les projets ? Un premier film d’ici 2023 ?
Stéphane | Mi-2022.
C’est rapide !
Stéphane | Un peu plus d’un an.
Marc | C’est tout l’intérêt. En quatre ou cinq semaines de tournage, on peut faire des choses intéressantes. Ce sont des grosses journées, il faut travailler, mais c’est faisable. Ce qu’on vend aussi à ceux qui postulent, c’est un processus rapide. L’idée est aussi de créer une communauté, d’utiliser les réseaux sociaux pour faire vivre le label et les projets en amont.
Sachant qu’il y a Sony d’impliqué, et qu’on sait que les majors peuvent avoir la main dessus, est-ce qu’il y a un final cut au réalisateur propre à la production française ?
Marc | Oui, je suis le seul producteur délégué. Sony est coproducteur, distributeur, mandataire sur différents médias d’expositions du film. Et c’est produit dans un cadre classique de film français classique, avec un final cut partagé entre le producteur et le réalisateur.
Et du coup, si distribution internationale il y a, ce sera à travers les branches internationales de Sony ?
Stéphane | Oui, l’idée est de le faire à travers les bureaux Sony dans le monde. Si un bureau Sony local n’est pas intéressé pour telle raison, on cherchera un producteur local. Ce sera en fonction à chaque fois.
C’est une bonne chose vu qu’il y a un manque de diffusion à l’international de ce type de productions françaises…
Stéphane | Oui, mais c’est aussi parce que le public n’est pas prêt. C’est compliqué. Je reçois souvent des projets qui ont cartonné en Allemagne ou en Angleterre, mais qui ne marcheraient pas vraiment ici. Même s’il fait 800 000 entrées en Allemagne, en France, il ne fera rien. Tout ne voyage pas.
Marc | Mais on sait que le cinéma de genre voyage plus. Contrairement à la comédie, qui est très liée à la culture locale. Le film de genre peut voyager davantage.
Entretien réalisé le 4 mars 2021, par Arthur Cios et Louis Lepron.

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