Longue discussion avec le seul, l’unique, la légende : Julian Casablancas des Strokes

Longue discussion avec le seul, l’unique, la légende : Julian Casablancas des Strokes

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Par Rachid Majdoub

Publié le

De ses anciens problèmes d'alcool à sa musique en passant par une collab' avec Alex Turner des Arctic Monkeys... 1 h avec Julian.

“J’ai une centaine de chansons que j’essaye de terminer”

On a galéré à s’appeler car tu as un planning super chargé… En quoi consistent tes journées ces temps-ci ?
Eh bien… Il y a la partie musicale, mon travail de tous les jours, celui avec lequel je gagne de l’argent. Enregistrer, aller en studio, faire des démos et d’autres trucs dans le genre… C’est un boulot pas évident, mine de rien, quand il faut le concilier avec le reste de ma vie : aider mes enfants à faire leurs devoirs… tu sais. Et comprendre des trucs politiques, car je suis accro à la politique.
Quels genres de trucs politiques ?
Hum… faire des rassemblements, et essayer de trouver, par des lectures, des moyens de rendre sexy des messages non sexy [rires]. Je lis beaucoup, pour comprendre comment fonctionnent des choses comme l’histoire de la séparation de l’Église et de l’État il y a longtemps. D’ailleurs, c’est quelque chose qui a été officiellement promulgué en France ? Je t’avoue que je n’en sais rien. Je m’intéresse à d’autres théories économiques comme la répartition des richesses. Je pense que ce sont des choses importantes. La plupart des gens s’accordent sur ces choses, mais dans une époque dirigée par les entreprises, tout le monde est bombardé, abreuvé par des conneries donc c’est difficile et délicat de s’en détacher.
Tu as dit que tu allais en studio, c’est déjà pour un prochain album ou c’est trop tôt pour en parler ?
Je dirais que c’est aléatoire. Je ne sais pas si une telle chose va se produire. Si ça arrive, je te le dirai, mais pour l’instant, c’est juste pour d’éventuelles collaborations, ou pour m’amuser. J’ai une centaine de chansons que j’essaye d’organiser, de terminer. Je ne sais pas exactement ce que ça va donner, mais j’ai commencé il y a quelques semaines.
Avec The Voidz, The Strokes encore, ou en solo ?
J’essaye d’organiser des trucs, mais c’est interminable. Probablement avec The Voidz d’abord, même si je suis toujours sur les Strokes car ça n’en finira jamais [rires].
OK cool !

“J’avais besoin d’alcool […]. J’étais dans l’excès, j’ai abusé et je regrette”

“J’essaye de toujours être meilleur et je ne prête pas attention aux gens négatifs”

Petite parenthèse : qu’est-ce que tu répondrais à ceux qui disent que les Strokes ont changé, que ce n’est plus aussi bon qu’avant, etc. ? Ces mêmes personnes qui… ont tort.
[Rires.] Je ne sais pas vraiment ce que je dirais en particulier, mais je vais te donner l’exemple de quelqu’un qui avait un avis que je partageais et qui disait que… dans l’Histoire, il y a tant de choses géniales que les gens n’aiment pas. Je ne suis pas en train de dire que c’est l’une d’entre elles, mais qui sait ? Je te donne un exemple peut-être stupide, mais je suis sûr qu’il y a des gens à Paris qui n’aimaient pas la Tour Eiffel quand elle a été construite [rires].
Mais je m’en fiche je suppose, et j’essaye de toujours être meilleur. Peu importe si je le deviens ou non, mais j’essaye toujours en tout cas. C’est toujours mon objectif et je ne prête pas attention aux gens négatifs.
Il y a beaucoup de gens qui ont aimé l’album, et c’est surtout ceux, j’ai l’impression, qui ont suivi et connaissent le groupe depuis un moment.
Oui c’est cool, il y a aussi un facteur nostalgie qui rentre en compte. C’est comme Bob Dylan et son morceau “Like a Rolling Stone”… dans le documentaire de Martin Scorsese, tu l’as vu ?
Yep, bien sûr.
Le début est vraiment cool. Dans la première scène, quand on entend “Like a Rolling Stone”, c’est tellement puissant. Je pense que c’est la meilleure performance musicale que j’ai jamais vue. C’est tellement puissant, ça sonne si bien, c’est si fort en émotion. Et là… la chanson se termine et le public se met à le huer. Le public est fou de le huer car il était électrique.
Disons que j’essaye de ne pas trop réagir. Nous sommes tous des êtres humains qui aiment être aimés et n’aiment pas être détestés. Et je suis sûr que Bob Dylan se sentait super mal à ce moment-là. Cela dit, si tu crois en ce que tu fais, tu ne peux pas trop t’arrêter à ça. Comme j’ai dit, il faut se fier aux gens en qui tu as confiance. Si la foule se retourne contre toi ça ne veut pas forcément dire que tu as fait quelque chose de mauvais. Le plus souvent même, c’est l’inverse [rires].
C’était comment de retourner en studio pour enregistrer ce sixième album ? Est-ce que tu appréhendais ce retour, quatre ans après l’EP Future Present Past et sept ans après Comedown Machine ?
J’étais curieux de savoir si les gens allaient l’aimer ou pas. C’était cool de travailler avec Rick Rubin. Je lui ai fait confiance et j’ai vu en lui quelque chose de magique. C’était très impressionnant de bosser avec lui, avec quelqu’un en qui tu as totalement confiance. Je n’ai pas exactement la même façon de travailler que lui, mais c’était amusant de voir autre chose. J’étais curieux de savoir si les gens allaient accrocher, mais je n’étais pas inquiet pour être honnête, à part peut-être financièrement, même si je savais qu’on ferait des tournées pour amortir.
Bien. Maintenant, on va passer en revue quelques-uns de tes morceaux les plus cultes, avec quelques petites questions qui vont avec. Pour commencer, si je te dis “Last Nite”, votre premier gros single avec The Strokes ?

“Last Nite” : on l’a sorti en premier parce que quand on a joué l’intégralité de l’album en live sur scène, on s’est aperçu que le public réagissait mieux à ce titre. C’est ma préférée en tout cas, je ne sais pas pour toi.
C’est une de mes préférées oui, mais celle que je mettrais au-dessus c’est “Reptilia” [lancement de la musique à partir de 1:14] :

Lorsque tu as entendu ce riff puis cette batterie pour la première fois, comment as-tu trouvé l’inspiration pour sortir ce refrain ?
[Rires.] La toute première fois que j’ai entendu le riff, eh bien… c’est parce que c’est moi qui l’avais fait, je crois. Puis on l’a rejoué. C’était l’une des rares chansons qu’on a construite en studio pendant trois mois. Et on l’a construite à l’envers. Je me souviens l’avoir décomposée et retournée dans tous les sens, et on a essayé différents arrangements. Et au final, mis à l’envers, on a trouvé que le riff était super cool. Donc la guitare est venue en premier, ensuite on a posé la basse et les drums. Quant au refrain, j’étais dans un bon mood d’écriture à ce moment-là. Tu écris le premier truc qui te vient, ensuite la ligne de basse, puis tu rejoues la partie guitare, et ça prend.

“Je vole carrément des morceaux à mes rêves”

Comment crées-tu un morceau ? Vient la guitare d’abord, ou la voix, ou les textes… ou tout en même temps ?
J’ai différentes manières d’écrire une chanson. Si je joue beaucoup de la guitare, j’essaye de ne pas trop l’utiliser pour ne pas faire de morceaux similaires, mais ça peut m’inspirer pour d’autres mélodies. Sinon, j’aime bien prendre la chose comme un jeu parfois, genre on me donne un nom d’artiste et je fais la chanson comme si elle était pour lui [rires]. Mais globalement, quand je joue de la guitare, ça m’inspire ensuite de bonnes chansons. Au fait, dernièrement j’ai fait un rêve complètement dingue ! Dans mon rêve, j’entendais des morceaux que je n’avais jamais faits. Et c’est une fois que je me réveillais que je réalisais que ces chansons n’existaient pas. Je vole carrément des morceaux à mes rêves [rires]. Et là, j’essaye de transformer ça en réalité.
Mais ouais, parfois aussi plein de mots me viennent de façon aléatoire. Je les écris, je les assemble et parfois, quand un mot sonne dans ma tête, je l’inclus dans une chanson. Il arrive aussi que le premier truc que je chante sonne bien, mais que les mots que j’utilise soient trop stupides, donc je les change pour que ça corresponde mieux à ce que je cherche. D’autres fois, j’écris directement et je chante ça de manière brute. Généralement, la mélodie vient en premier. Parfois, la piste est cool et j’écris des trucs par-dessus. Je la rejoue et j’affine les choses progressivement. Je fais mes chansons de plein de manières différentes pour être honnête.

Morceau suivant, “You Only Live Once”… et une question : si tu pouvais changer quelque chose dans ta vie, ça serait quoi ?
Je changerais probablement la clé de “You Only Live Once”… c’est le premier truc qui m’est venu à l’esprit désolé [rires]. On l’a pensée comme une chanson de Prince. On l’a faite de manière à rendre plus facile pour moi de chanter plus bas, mais j’ai le sentiment que le morceau était plus cool quand je le chantais plus haut. Et plus sérieusement… s’il y avait une chose que j’aimerais changer dans ma vie ? Probablement ma période alcoolisée. Prendre conscience plus tôt qu’il fallait boire moins pour profiter des bons moments et ne pas me retrouver hors de contrôle. Avoir des histoires plus cool à raconter à mes gamins.
“New York City Cops” : vous avez rejoué ce morceau lors d’un meeting de Bernie Sanders en début d’année et… c’était comment de voir la police débarquer sur scène, comme N.W.A. ? [Rires.]
Je pensais bien que j’allais me faire arrêter [rires] ! J’avais anticipé la chose, mais j’ai réalisé qu’après coup. Honnêtement, je ne pense pas que les flics savaient ce que j’allais chanter. Mais c’était très drôle.

“Faire ses besoins et apprécier une fellation en même temps, c’est ce que font les politiciens avec les gens”

“J’adorerais travailler sur un morceau avec Alex Turner”

“Quand je réfléchis à une mélodie, je ne pense pas seulement à une seule ligne mélodique, mais à une harmonie globale”

“The Strokes, un groupe de rock classique encore en vie aujourd’hui”

Remontons rapidement le temps : au début de votre carrière avec The Strokes, vous étiez qualifiés de “sauveurs du rock’n’roll”. Que penses-tu, aujourd’hui, de ce statut ?
Je dirais juste que… The Strokes, vous pouvez plutôt nous voir comme un groupe de rock classique encore en vie aujourd’hui [rires].
Et toi, quelle est ta place au milieu de tout ça ?
Je pense que je continue de me la forger. J’essaye d’être quelqu’un de positif, d’avoir une bonne influence sur les gens. J’élève mes enfants et j’essaye d’aller dans la bonne direction. La musique, c’est ce que je fais, c’est mon travail de tous les jours et si c’est un moyen d’apporter du positif aux gens, c’est une bonne chose. J’essaye aussi de rester ouvert et de m’intéresser à de plus en plus de choses.
C’est quoi la suite pour les Strokes, The Voidz ou Julian solo ?
Je viens de trier ma musique et je pense que j’ai environ une centaine de chansons. Il y en a peut-être que trois de bien dans le lot. Une de The Voidz et deux des Strokes, ou l’inverse je ne suis pas sûr. Il faut que je revérifie au studio.

“Quand tu réussis, les gens vont tout faire pour te mettre à terre donc tu dois toujours garder le cap”