Réminiscence de l’imagerie western et des années 70, ses vêtements commencent à conquérir les hautes sphères de la scène musicale. 2019 lui tend les bras.
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Basée à Los Angeles, Judith Rothman-Pierce conçoit tout à la main, et met entre deux jours et deux semaines pour donner vie à ses créations. (© Judith Rothman-Pierce)
Post Malone serait-il la star la plus sous-estimée en matière de mode masculine ? C’est en tout cas ce qu’affirmait récemment le respecté Vogue américain, qui est allé jusqu’à comparer le style vestimentaire du jeune artiste à celui, iconique, du King Elvis Presley.
C’est que, tout au long de l’année 2018, le chanteur et rappeur new-yorkais, propulsé sous le feu des projecteurs en 2015 grâce à son titre “White Iverson”, s’est affiché dans une myriade de tenues toutes plus folles les unes que les autres : un costume jaune éclatant décoré de larges serpents et inspiré par la pochette de son single “Rockstar”, un deux-pièces rouge estampillé d’imposantes flammes noires, porté à l’avant-première du film Spider-Man : New Generation, ou encore un ensemble bleu marqué par la présence de la Faucheuse, et spécialement confectionné pour le réveillon du Nouvel An.
Ces looks, aussi fascinants qu’extravagants, on les doit en grande partie à Judith Rothman-Pierce, la créatrice américaine qui se cache derrière la marque de vêtements Rose Cut (anciennement appelée Rusty Cuts). C’est en effet elle qui, aux côtés de Catherine Hahn, la styliste attitrée de Post Malone, a donné vie à cette série d’habits flamboyants.
Basée à Los Angeles, cette “sorcière du point de couture” (“stitch witch”), comme elle aime à se surnommer, façonne à la main des vestes, pantalons, jupes et autres chemises qu’elle magnifie de motifs brodés et faits main, inspirés des années 1970, de l’univers du rock, de la culture du western ou encore du monde mystique de la magie noire. De véritables œuvres d’art en tissus, qui ont également conquis d’autres artistes comme Ty Segall, Kevin Morby ou Los Growlers, et qui en font à nos yeux l’une des créatrices les plus inspirantes du moment. Rencontre.
“Le tout premier costume, c’était en 2004 pour le groupe Ty Segall”
Konbini | Peux-tu nous raconter un peu ton parcours, et ce qui t’a menée à créer ces vêtements ?
Judith Rothman-Pierce | J’ai commencé à prendre des cours de couture à l’âge de 9 ans, que j’ai poursuivis jusqu’à mes 12 ans, et à ce moment-là j’ai appris à lire et reporter des motifs sur du tissu. Après quoi j’ai arrêté ces cours, et commencé à apprendre d’autres techniques de couture par moi-même, via Internet.
En 2009, j’ai ouvert un compte Etsy sur lequel je vendais des vêtements que je confectionnais à partir de textiles vintage (de la tapisserie, des toiles en velours, des nappes que je chinais…), ce qui a fini par devenir mon job à temps plein.
Et puis petit à petit, il y a cinq ans environ, mes créations ont pris un tournant, et se sont de plus en plus transformées en vêtements inspirés par l’univers du western, sur lesquels je venais coudre des patchs décoratifs… C’est ce que je continue à faire aujourd’hui !
Te souviens-tu du tout premier costume que tu as conçu ?
Quand j’étais au lycée, je faisais énormément de jupes et de robes à partir de vieilles cravates et de taies d’oreiller… Bon, ce n’était pas super beau [rires], mais j’imagine qu’il faut bien commencer quelque part ! Mais le tout premier costume sur lequel j’ai ajouté des patchs décoratifs, comme ce que je fais aujourd’hui, c’était en 2004 pour le groupe Ty Segall, qui s’envolait alors pour la tournée de leur album Manipulator.
Tu as toujours voulu faire ce métier, finalement ?
Écoute, quand j’étais enfant, je voulais devenir créatrice de mode… Donc j’imagine que, oui, je fais aujourd’hui le boulot dont j’ai toujours rêvé.
“Je puise mon inspiration dans de nombreuses scènes musicales”
Tes costumes sont marqués par l’univers du western, mais également par les années 1970 et la culture rock. Pourrais-tu m’en dire plus sur tes différentes inspirations ?
Je suis clairement inspirée par tout ce qui est vintage. Et effectivement, j’aime énormément les années 1970, ainsi que les vêtements western – les compétences requises pour donner vie à ce genre de vêtements étaient vraiment impressionnantes, on n’en voit plus beaucoup aujourd’hui…
Mais à vrai dire, je puise mon inspiration dans de nombreuses époques, ou plus précisément dans de nombreuses scènes musicales. Les tenues de scène qui ont par le passé été créées pour des artistes comme David Bowie, Alice Cooper ou Parliament-Funkadelic sont tellement folles ! Ça, ça m’inspire énormément.
Sur Instagram, tu te surnommes la “sorcière du point de couture”… Le monde de la magie constitue-t-il aussi une source d’inspiration pour toi ?
Oui, beaucoup ! Grâce à mon père, j’ai grandi en m’intéressant à l’astrologie et au tarot, donc j’ai effectivement toujours été intriguée par ce genre de choses. Et d’ailleurs, quand je porte un vêtement aujourd’hui, je le considère comme une sorte de maille protectrice entre le reste du monde et moi-même. Cela fait donc sens pour moi d’avoir des symboles (comme les serpents noirs par exemple) de cet univers magique et mystique cousus par-dessus.
Est-ce que tu pourrais me raconter plus en détail la façon dont tu donnes vie à tes costumes ?
Il y a plusieurs méthodes. Parfois, je crée le costume de A à Z, et d’autres fois, je travaille à partir de vêtements vintage. Dans les deux cas, je réfléchis toujours à un thème, et pense le costume à partir de ce thème choisi. Après ça, je dessine chaque pièce nécessaire à mon idée sur du tissu, et je les découpe. Vient ensuite la phase où j’assemble le tout, le costume et les patchs. En général je fais plusieurs modifications, en ajoutant, retirant ou déplaçant certains patchs.
Ensuite, je viens fixer les patchs (qui sont thermocollants) avec un fer à repasser, et je réalise par-dessus des points satin et autres broderies, à main levée. La dernière étape consiste à ajouter quelques strass, si je suis d’humeur à ce que ça brille. C’est un processus assez long, mais je sais pertinemment qu’en réalisant tous mes patchs moi-même, je m’autorise à avoir une plus grande liberté de création que si j’utilisais des patchs déjà tout faits.
“Post Malone a un style assez similaire au mien, donc c’est super marrant de créer des choses pour lui”
Y a-t-il des créateurs ou artistes qui t’inspirent particulièrement pour ton travail ?
Je suis une fan inconditionnelle du travail de Nudie Cohn et Manuel Cuevas, qui ont conçu les costumes de cowboy à strass les plus cool que j’ai jamais vus [ils ont notamment habillé Elvis Presley, ndlr]. Je suis également très inspirée par Exene [Cervenka, la chanteuse du groupe punk X, ndlr], Keith Richards et David Bowie. Sans oublier mes amis, qui sont les personnes les plus talentueuses que je connaisse.
Justement, tu as collaboré avec l’artiste et tatoueuse Tati Compton, qui est également ton amie. Qu’est-ce qui te plaît tant, dans son univers artistique ?
Tati et moi, on est amies depuis qu’on est adolescentes. Et à mes yeux, elle a toujours été l’une des artistes les plus douées que je connaisse ! En fait, on a décidé de collaborer ensemble pour créer les vêtements dont on rêvait, mais… sur lesquels on n’arrivait jamais à mettre la main ! J’ai hâte de voir ce que la suite nous réserve.
L’année dernière, tu as également créé plusieurs costumes pour Post Malone. Comment en es-tu arrivée à travailler avec lui ?
Cathy Hahn [la styliste de Post Malone, ndlr] m’a contactée en décembre 2017 pour que je l’aide à designer et à broder un costume jaune qui lui était destiné. Et après ça, on a retravaillé ensemble sur plusieurs costumes, que Post Malone a notamment portés sur scène.
Ça a été une aventure folle, et c’est très gratifiant de voir des photos de lui portant nos costumes, ou des articles de presse à ce sujet. Son style est très similaire au mien, donc c’est super marrant de créer des choses pour lui – des choses que, je crois, peu de gens assumeraient de porter ! Et puis, c’est super de travailler avec Cathy. J’ai hâte de faire plus de choses avec elle cette année.
“J’adorerais faire un costume pour Keith Richards”
Quelle est la création dont tu es la plus fière jusqu’ici ?
C’est dur de n’en choisir qu’une seule… Mais il y en a trois dont je suis particulièrement fière : le costume jaune avec les serpents noirs que j’ai fait pour Post Malone avec Cathy ; le bleu ciel inspiré de la mythologie grecque ; et le celui couleur crème, avec les cœurs sacrés, les verres de vin rouge et les roses.
Dans un récent post Instagram, tu retraçais ton année 2018 en disant : “Je n’arrive pas à croire que j’exerce le métier de mes rêves.” Avec le recul, quel regard portes-tu sur le travail que tu as accompli ?
Honnêtement… C’est juste dingue ! Et même encore aujourd’hui, j’ai vraiment du mal à croire que tout ça est bien réel… Je vais continuer à travailler dur, et tout faire pour vivre de ce travail le plus longtemps possible.
Du coup, c’est quoi la suite pour toi pour 2019 ?
2018 a clairement changé la donne, beaucoup de portes se sont ouvertes pour moi. Après… Je ne suis pas du genre à planifier les choses en avance, donc je pense que je vais simplement continuer à faire ce que j’ai fait jusqu’ici, à savoir me laisser porter par les événements, et voir où cela me mène !
Avant de te quitter, j’aimerais savoir : c’est quoi, le costume que tu rêverais de créer ?
Je ne suis même pas sûre de savoir ce que c’est… peut-être un costume avec des clowns ? Je ne sais pas… Mais mon rêve le plus fou en tout cas, ce serait de créer des vêtements pour mes idoles. J’adorerais faire un costume pour Keith Richards ou Exene.