Héritière d’Ugly Betty et du Diable s’habille en Prada, Glamorous, sur Netflix, redore le blason de la “boss lady”

Héritière d’Ugly Betty et du Diable s’habille en Prada, Glamorous, sur Netflix, redore le blason de la “boss lady”

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Par Delphine Rivet

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Parce que même si on les aime à la folie, Wilhelmina Slater et Miranda Priestly, et surtout leurs méthodes de management, c’est so 2006 !

C’est l’une des séries les plus queers de l’année. Si cette phrase seule ne vous a pas fait convulser : cool, on va pouvoir poursuivre. Glamorous, lancée sur Netflix ce 22 juin dernier, a tous les ingrédients du plaisir coupable de l’été : des intrigues soapesques (ce n’est pas un gros mot : ici, on respecte ce genre sériel !), un cast qui en fait des caisses et une photographie plus-clinquante-tu-meurs avec des couleurs saturées et du lens flare à gogo. Alors non, ça n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est un divertissement (là non plus, pas un gros mot !) honorable qui revisite à sa façon l’un des tropes les plus éculés du genre : la “boss lady”. Mais avant de vous en parler, un peu de contexte s’impose.

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Cette série, imaginée par Jordon Nardino, lequel est passé par les salles d’écriture de Smash et Desperate Housewives, nous emmène dans les bureaux d’une très grande marque de cosmétiques, Glamorous by Madolyn. On y entre par la petite porte et par le truchement de Marco, nouvel employé qui a des rêves plein la tête mais qui constate, aussi, qu’être adulte et travailler dur, ce n’est pas facile facile. Marco, campé par l’actrice et chanteuse trans Miss Benny, est un make-up artist et influenceur en herbe qui joue avec les normes de genre comme avec sa palette de fard à paupières.

Féminin ou masculin, ces codes n’ont plus vraiment de sens tant sa personnalité écrase tout sur son passage. Par souci de transparence, on se doit de justifier l’usage des pronoms il/lui le concernant. Car, même si Marco a une expression de genre que l’on pourrait qualifier de “féminine”, il utilise des pronoms masculins quand il parle de lui. Mais si ce n’est pas déjà fait, regardez les dix épisodes jusqu’au bout : Marco n’a pas fini d’explorer son identité !

D’ailleurs, Miss Benny elle-même, qui a fait son coming out en tant que femme trans il y a tout juste quelques jours, avait des petites réserves à l’idée d’incarner un jeune gay “gender nonconforming”. Mais le showrunner Jordon Nardino l’a vite rassurée sur la question : la quête de Marco n’est pas seulement celle de la maturité, de l’épanouissement professionnel, ou encore une recherche de l’amour véritable. Mais on vous préservera de tout spoil ici.

Après quelques bévues les premiers jours, donc, Marco sait rapidement se rendre indispensable dans l’entreprise et gagne la confiance de sa boss, l’ancienne top model Madolyn Addison (Kim Cattrall). On ne va pas se mentir, on n’a pas bien compris ce qui le rendait si méritant puisque, à chaque nouveau pépin, ce sont généralement ses collègues qui lui apportent les solutions sur un plateau.

Mais notre influenceur a une certaine intégrité malgré tout, et un grand cœur (parfois), donc on pardonnera ces facilités scénaristiques. Il y a évidemment des rivalités professionnelles, et des histoires d’amour ou de sexe (queers, pour la plupart) qui se font et se défont.

Le grand relooking de la boss lady

Tout le monde aura relevé le lien de parenté entre Glamorous et la série Ugly Betty, ou encore le film Le Diable s’habille en Prada, tous deux sortis en 2006. Au cœur de ces œuvres plutôt légères et hyper-divertissantes, c’est la relation jeune ingénue/mentore qui prend toute la place.

Et pour cause : la décennie 2000 appartenait à la “boss lady”, une femme plus âgée, puissante, qui suscite l’admiration de tout son milieu et surtout intransigeante avec ses employé·e·s. À la télé, c’était le règne des antihéros (Don Draper, Walter White, Tony Soprano, etc.) et les personnages féminins, pour exister, devaient être des “femmes fortes”. Soupir.

Tous les pitches de séries nous vantaient alors les mérites de leur héroïne “badass”, “qui n’a pas froid aux yeux”, ce qui était en fait souvent le synonyme d’“elle se comporte comme un gars”. Vingt ans plus tard, les choses ont (heureusement) bien changé, et les représentations féminines à l’écran aussi. Si Wilhelmina Slater et Miranda Priestly étaient considérées comme des icônes “camp” devant lesquelles se prosterner, aujourd’hui, on dirait simplement qu’elles sont des patronnes tyranniques (mais iconiques quand même !).

Le monde du travail a connu quelques secousses, à mesure que la société évoluait vers plus de bienveillance, et beaucoup de boss, en particulier dans l’industrie de l’entertainment sont tombés de leur piédestal. Le management toxique, à défaut de totalement disparaître, n’était plus en odeur de sainteté.

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Les années 2020 ont donc vu apparaître des séries aux vibes plus positives, plus engagées aussi, et avec elles, la “boss lady” est devenue une figure tutélaire. Une mentore (oui oui, il existe une version au féminin du “mentor”… mais seulement au Québec apparemment) qui, tout en conservant une certaine aura d’inaccessibilité — elle reste au-dessus du commun des mortels — sait transmettre son savoir et son expérience, sans écraser, sans humilier, tout en challengeant son employé·e à être la meilleure version de lui-même ou d’elle-même.

Une série comme The Bold Type avait pour héroïnes des femmes qui ont la gnaque et un compas moral qui ne flanche presque jamais. Et la “boss lady”, Jacqueline Carlyle (jouée par la formidable Melora Hardin), bien qu’intimidante, venait les aider dans leur quête (professionnelle ou personnelle) plutôt que de les empêcher d’avancer, ou pire, de leur donner une bonne leçon de “tough love” à l’ancienne.

Plus récemment, Emily in Paris nous a donné sa propre interprétation avec la frenchie Sylvie Grateau (Philippine Leroy-Beaulieu), qui a encore un peu le cul entre deux chaises, quelque part entre la glaciale et autoritaire Miranda Priestly du Diable s’habille en Prada et sa version 2023, plus “maternante”. Que voulez-vous, les stéréotypes ont la peau dure.

À l’instar de Jacqueline Carlyle de l’excellente The Bold Type, Madolyn Addison est ce modèle que notre époque réclame. La faire jouer par Kim Cattrall (même si notre chère Samantha de Sex and the City a l’air aussi investie dans son rôle que nous devant un tournoi de pelote basque) est une idée lumineuse.

Elle a quelque chose d’intouchable et de chaleureux à la fois. Elle est fière, mais n’a pas fait le deuil de sa carrière de top model ; elle est intransigeante avec son équipe, mais prête à donner une seconde chance, elle est très protectrice de son image et de sa marque, mais à l’écoute de nouvelles idées. Bref, cette “boss lady” là n’est pas une antagoniste, c’est une matriarche !

La saison 1 de Glamorous est disponible sur Netflix.