Précédé d’un bon bouche-à-oreille outre-Atlantique, Gook, le second film de Justin Chon (alias Eric dans les deux derniers volets de Twilight), a été présenté en compétition le 5 septembre au Festival de Deauville. Cette plongée au cœur des tensions raciales au moment des émeutes de Los Angeles, qui ont eu lieu il y a vingt-cinq ans, tient globalement ses promesses.
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29 avril 1992. Un jury composé de dix Blancs, un Latino et un Asiatique acquitte les quatre officiers de police qui, un an auparavant, ont passé à tabac Rodney King, un automobiliste afro-américain coupable d’excès de vitesse. Dans une ville de Los Angeles alors chauffée à blanc et plus que jamais segmentée par des tensions raciales endémiques, la nouvelle fait l’effet d’une bombe et précipite d’emblée d’impressionnantes et mortelles émeutes qui s’étaleront sur six jours. Gook – terme argotique et péjoratif visant à qualifier les Asiatiques –, le second long-métrage de Justin Chon, 36 ans, s’ouvre ainsi sur le premier jour de ces tristes événements.
Nous sommes plus précisément quelque part dans le quartier majoritairement noir de Paramount. Là, Eli et Daniel, deux frères d’origine coréenne, se battent au quotidien pour maintenir à flot la boutique familiale. En l’occurrence : un magasin de chaussures pour femmes hérité de leur défunt père qui, des décennies plus tôt, a choisi d’immigrer aux États-Unis pour offrir à ses enfants un avenir prospère. Hélas pour tous, le rêve américain ne s’offre pas au tout-venant. Avec deux loyers de retard, de rares clients à l’horizon et une bâtisse en décrépitude, Eli cravache pour survivre dans un monde sans couleurs – le film est d’ailleurs tourné en noir et blanc – tandis que son frangin rêve d’une utopique carrière de chanteur de R’n’B.
Dans cet univers terne et mortifère de béton, d’asphalte et d’espérance rompue, leur seul eldorado prend les traits de Kamilla, une jeune fille noire de 11 ans, un peu garçon manqué et en perdition scolaire. Plus qu’une amie, elle représente pour eux une véritable petite sœur, un drapeau blanc flottant dans une jungle d’autant plus tumultueuse que la brutalité des émeutes gagne du terrain comme un cancer métastasé. Au loin, la fumée paraphe sur le ciel la violence qui sévit, ici et là. Ils l’observent, soudés et aimants, sans savoir que les troubles environnants ne vont pas tarder à contaminer leur propre existence et à faire émerger d’indéboulonnables griefs communautaires.
Chaque mot prononcé est une bombe à retardement
Avec Gook, Justin Chon dissèque, à l’aide d’une loupe à fort grossissement, les rivalités entre les Coréens et les Noirs, leur compétition économique et le racisme qui séparent ces communautés. C’est sous l’angle de cette fracture sociale que son œuvre, visiblement très personnelle, trouve sa raison d’exister. L’intéressé, également scénariste et interprète du personnage d’Eli, entend plus spécifiquement raconter la petite histoire dans la grande, lier la fronde lointaine aux animosités intimes. Les clivages sont des montagnes à gravir. Chaque mot prononcé est une bombe à retardement, surtout entre les deux héros et le frère de Kamilla, qui enrage de voir sa sœur traîner avec des Asiatiques.
Pour mieux montrer ces discordes, Justin Chon colle aux basques de ses personnages, les traque avec douceur et nervosité, flirtant, comme eux, avec les extrêmes. Si la mise en scène ne manque pas de vitalité et que les intentions fédératrices sont les bienvenues, notamment à l’heure où les États-Unis de Donald Trump peinent à contenir leurs dérives, l’entreprise aurait gagné en force avec un peu plus de subtilité dans la construction des personnages. Moins fort que Do the Right Thing de Spike Lee, mais important quand même !