Qui est Galt MacDermot, un des artistes les plus samplés par le hip-hop

Qui est Galt MacDermot, un des artistes les plus samplés par le hip-hop

Sample Story #31 : Tous les grands noms du rap se sont un jour ou l’autre attaqués à l’œuvre de Galt MacDermot, décédé lundi 17 décembre 2018.

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Galt MacDermot, 1968 (Photo by Larry Ellis/Express/Getty Images)

Run-DMC, Public Enemy, Busta Rhymes, Pete Rock, Action Bronson, MF Doom, Buckwild, J Dilla, Madlib, Snoop Dogg, Wax Taylor…  Retour sur l’amour du hip-hop pour la musique de ce compositeur, notamment auteur de la comédie musicale à succès Hair d’albums fantastiques, grandement instrumentaux, formant une matière première de choix pour les beatmakers.

Galt MacDermot est connu du grand public pour une chose : la composition de la comédie musicale américaine culte Hair sortie en 1968. Une ode au Summer of Love, contre la guerre du Vietnam, contant la découverte de la contre-culture hippie par un jeune homme prêt à s’engager dans l’armée. Révolution sexuelle, drogues, pacifisme, politique… L’œuvre est un gigantesque succès, adaptée plusieurs fois au cinéma, jouée dans des dizaines de pays, encore aujourd’hui. La bande originale fait aussi partie du mythe, grâce à des titres comme “Aquarius” ou “Let The Sunshine In”.

Une vie loin du rap et des caméras

Mais ça n’est pas pour cela que Galt MacDermot a marqué le hip-hop de son empreinte. À partir de 1966, le Canado-Américain a sorti de multiples albums pillés plus tard par les beatmakers. Peuplés de longues plages instrumentales, ces disques ont été samplés sur le tard. L’exemple le plus fameux est très certainement le titre “Woo-Hah!! Got You All In Check” de Busta Rhymes, en 1996.

Les notes de synthés dissonantes, un peu timbrées, faisant écho à la folie et au potentiel loufoque de Busta, sont issues du morceau “Space”, sorti en 1969 sur son album Woman Is Sweeter. Produit par Rashad Smith, “Woo-Hah!!”, comme il est souvent abrégé, porte le premier album du rappeur vers les sommets, et lance définitivement sa carrière.

L’histoire de l’album Woman Is Sweeter est idéale pour cerner ce qu’est Galt MacDermot aux yeux du monde du rap. Il s’agit à la base de la bande originale d’un documentaire sur Yves Saint-Laurent qui n’a jamais vu le jour à cause des scènes de nudité qu’il contenait. Le disque n’est donc jamais sorti non plus. En 1994, alors que sa musique commençait à être samplée par de grands beatmakers, Galt MacDermot restait introuvable, peu de gens sachant ce qu’il était devenu. Peu d’interviews, pas d’apparition publique… Mais V.I.C., collectionneur de vinyles et beatmaker, parvient, par hasard, à trouver son numéro de téléphone. Il l’appelle et lui demande s’il a des exemplaires de la BO de Woman Is Sweeter en stock. C’est le cas, il en a plein son garage. V.I.C. va alors se mettre à les vendre à des Japonnais, puis aux producteurs new-yorkais. Bref, Galt MacDermot est une sorte de chimère, avec toute la respectabilité que cela comprend.

1993, l’année charnière

Il est, aux yeux du sampling hip-hop, comparable à Bob James ou à David Axelrod : des compositeurs funkys capables de pièces instrumentales massives et érudites, d’utiliser des sons subtils, utilisant beaucoup de synthétiseurs alliés à des batteries et des orchestrations symphoniques. Ils ont une place de choix dans les étagères des producteurs rap. Pourtant, MacDermot a été samplé sur le tard. S’il existe quelques exemples peu connus à la toute fin des années 1980 et au début des années 1990, c’est surtout dès 1993 que la fièvre va se répandre. À l’époque, le rap change de son avec l’arrivée du Wu-Tang, entre autres, qui chamboule bien des choses. Les Run-DMC, stars du game depuis presque dix ans, cherchent à s’adapter, et font appel à Pete Rock, l’un des valeurs sûres de la production de moment. Il créera, avec Jam Master Jay, le titre “Down With The King”, qui sample la bande originale de Hair, le titre “Where Do I Go” pour être précis.

Pete Rock, comme à son habitude, rajoute des cuivres à la boucle, et joue avec une volée de filtres.

Cette même année, on retrouve Masta Ace rappant sur la basse de “Harlem Medley”, ou Naughty By Nature sampler les notes aiguës de synthé de “Stockyard”. Ces deux morceaux de Galt MacDermot sont issus de sa bande originale de Cotton Comes To Harlem, publiée en 1970.

Des samples cultes

Mais un homme va changer la donne : Buckwild. En 1994, ce New-Yorkais démarre sa carrière auprès des grands noms du rap tels que O.C., Beastie Boys, Brand Nubian, mais surtout auprès du groupe Artifacts. Dans le documentaire LOOKIN4GALT sorti en 2012 et réalisé par les Français de Gasface, il explique : “Galt Mac Dermot nous a éduqués. C’est un modèle. On ne sait pas écrire de partition, on n’a pas les musiciens pour faire les arrangements, mais on connaît la valeur de sa musique.” Il sample le tout début du titre “Ripped Open By Metal Explosions”, contenu à l’origine dans la comédie musicale Hair, encore elle.

Une boucle incroyable qu’il place sur le morceau “C’mon Wit Da Git Down” des Artifacts, et samplée par bien d’autres artistes par la suite tels que Mos Def, Action Bronson ou encore Public Enemy.

Le producteur K-Def entend ce titre produit par Buckwild, et commence à s’intéresser à l’œuvre de Galt MacDermot : “On ne dirait pas des disques de funk, on dirait du folk, pas le genre où l’on trouverait des breakbeats. Mais en écoutant l’orchestration, avec la stéréo, on entend la basse sur la gauche, la guitare sur la droite, et des sons étranges qui envahissent le tout. Certains ont le funk, d’autres ont le jazz, ou le folk. Mais lui, il y met du funk, du jazz et une touche de folk. Certaines mélodies sont enfantines, genre dessin animé du matin, mais il a aussi de la musique pour zoner au bar.”

En 1999, deux beatmakers de renoms, à savoir Prince Paul et Dan The Automator, s’allient pour former le groupe Handsome Boys Modeling School. Sur leur premier album, So… How’s Your Girl, se trouve le titre “The Truth”.

Le sample vient de “Coffee Cold” de Galt MacDermot, sorti en 1966 sur l’album culte Shapes of Rhythm. Les quatre premières mesures sont échantillonnées, presque sans être retouchées.

Toute la clique de Stone Throw s’y est mise

Bernard Purdie, batteur de légende qui a notamment travaillé avec Aretha Franklin, Louis Armstrong, The Beatles ou encore Miles Davis et Nina Simone, a aussi travaillé avec Galt MacDermot. Ses propos recueillis dans le documentaire LOKKIN4GALT résument la portée du mystère et de la musique du compositeur : “On s’est trouvés. Je ne comprenais pas comment il composait. C’était un grand homme, mais discret. Son style était insolite, mais c’était magnifique. Ce qui s’en dégageait, ces mélodies, ces rythmiques… Wow !”

Sur son titre “Mash”, J Dilla sample “Golden Apples Pt. II” (1971). D’ailleurs, toute la clique du label Stone Throw pillera sa musique, allègrement. MF Doom se servira dans le très funky “400 Girls Ago” (1973) pour en faire sa boucle de “Potholderz” (2004), mais aussi le magnifique violon de “Princess Gika” (1970) pour son “That’s That” (2009). Madlib se penchera quant à lui sur la batterie et le piano de “Field Of Sorrow” (1966) pour son “Static Invazion” (2010). Mais deux projets sortent grandement du lot.

Tout d’abord, si vous vous demandiez d’où sort la boucle du tube de Wax Taylor “Que Sera”, ne cherchez plus.

Il s’agit en fait d’un sample du titre de Galt MacDermot “And He Will Not Come Again”, sorti sur une compilation d’inédits en 2000.

Mais surtout, il faut mentionner l’incroyable projet de Oh No, producteur du hip-hop de renom et frère de Madlib. En 2006, il sortait l’album Exodus Into Unheard Rhythms, uniquement basé sur des samples de Galt MacDermot.

Sur son titre “Black”, en featuring avec Wise Intelligent, il s’attaque au morceau “Cathedrale”, sorti en 1969. Tout l’album est à poncer sans relâche.

D’ailleurs, lors de l’annonce du décès de Galt MacDermot, Oh No fut l’un des premiers à réagir.

Preuve, s’il en fallait encore, que Galt MacDermot, malgré sa reconnaissance tardive, a marqué de son empreinte la musique populaire américaine ainsi que le hip-hop. Et en profondeur.