Samedi dernier, Julia Ducournau, la benjamine du festival, est repartie de Cannes avec la Palme d’Or pour Titane, son second film, qui a autant remué que convaincu jury et festivaliers. Ultra-violent et malaisant pour certains, transgressif et féministe pour d’autres, Titane divise les spectateurs. Mais une chose est sûre, Titane était de loin le film le plus osé de cette compétition et marquera l’histoire de Cannes.
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À travers l’histoire d’Alexia, une jeune femme violente et meurtrière, victime d’un grave accident de voiture étant enfant et désormais danseuse dans les salons de tuning, Julia Ducournau propose, à base d’hybridation femme/machine, d’amour pour les voitures et de quête de paternité, un puissant et dérangeant questionnement sur le genre, sur fond d’hommage à Crash de David Cronenberg.
“Qu’on aime ou pas le film, c’est même pas une question pour moi. Ce qui est important, c’est que le film déclenche quelque chose, qu’il soit le début de quelque chose. Mais ça peut être le début d’une détestation à vie. On a tous des films comme ça dont on sait qu’on les haïra à vie“, déclarait la réalisatrice au micro d’Augustin Trapenard à Cannes.
Pour poursuivre la réflexion, voici donc une liste non exhaustive de ces films que certains détesteront à vie, des films qui ont choqué à leur sortie, choquent parfois toujours aujourd’hui, ou ont été érigés au rang de grands classiques du septième art.
Orange mécanique, Stanley Kubrick, 1971
Dans chacun de ses films, Stanley Kubrick s’intéresse à la fragilité humaine. En adaptant le roman d’Anthony Burgess, le cinéaste met en scène un Londres dystopique dans lequel errent Alex (Malcolm McDowell) et sa bande de voyous terrifiants, oscillant notamment entre viols et meurtres.
Si la première partie du film dépeint avec cruauté le portrait d’un délinquant sociopathe, la seconde partie illustre la violence institutionnelle à laquelle est soumis le prisonnier, perdant peu à peu son humanité. Par la violence de ses images, ce film satirique déclencha une telle polémique que Kubrick en personne prit la décision de retirer le film des salles de cinéma du Royaume-Uni où il reste interdit pendant 30 ans. Aujourd’hui érigé en classique du septième art et étudié dans toutes les classes de cinéma, Orange mécanique n’a rien perdu de sa violence et continue de traumatiser la société américaine puritaine.
Lolita, Stanley Kubrick, 1962
Hypersexualisation des jeunes filles, promotion de la pédophilie, détournement de mineure… Lolita a fait scandale dans les milieux puritains, lors de sa sortie en 1962. En s’attirant les foudres de la critique, Kubrick a même déclaré plus tard que s’il avait su, il n’aurait pas tourné le film. Pour promouvoir le film, l’équipe marketing n’avait pas hésité à surfer sur les polémiques en affichant bien distinctement sur l’affiche : “Comment a-t-on osé faire un film de Lolita ?”
En adaptant librement le roman de Vladimir Nabokov, Stanley Kubrick imagine une histoire d’amour complexe entre Humbert Humbert, un professeur de littérature française et Dolorès, la fille séduisante d’une veuve entichée de l’homme de lettres. Bien vite, ce trio amoureux évincera la mère pour se concentrer sur l’idylle iconique des deux héros, désormais attaché par un lien de parenté. Aussi glauque que fascinante, cette œuvre continue de traverser les décennies et de bâtir la légende sulfureuse de Kubrick.
(© Warner Bros.)
La Grande Bouffe, Marco Ferreri, 1973
Si la violence, le sexe et le blasphème sur grand écran choquent et continuent de choquer, il est plus rare que ce soit l’indigestion qui provoque le malaise au cinéma. Pourtant, quand les lumières de la salle se sont rallumées après la projection du film de Marco Ferreri le 21 mai 1973 au festival de Cannes, l’indignation est à son comble et le public remonté comme jamais.
“Une honte”, “un film obscène et scatologique”, “le festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation”, voici un petit florilège des réactions du public et de la presse à l’issue de la présentation, retrouvées par So Film. Même Ingrid Bergman, alors présidente du jury du festival de Cannes, déplorait l’un des films “les plus sordides et les plus vulgaires du festival”.
Dans La Grande Bouffe, les quatre monstres sacrés du cinéma, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Philippe Noiret et Michel Piccoli, lassés de leur petite vie morose, décident de s’enfermer dans une villa le temps d’un week-end pour y manger jusqu’à ce que mort s’en suive, sans oublier de convier à la fête quelques prostituées. Un pitch peu raffiné, pourtant inspiré de situations réelles, qui, en sous-texte, dénonçait une société de consommation où l’abondance et la quantité faisaient déjà loi.
Mais excréments, pets, vomi et gavage jusqu’au suicide gastronomique font aujourd’hui un film culte qui a offert à Michel Piccoli l’un des rôles les plus marquants de sa carrière.
(© Connaissance du Cinéma)
L’Empire des sens, Nagisa Ōshima, 1976
L’Empire des sens, qui fait se côtoyer rapports sexuels non simulés et mort, cochait toutes les cases du scandale annoncé. Inspiré d’un célèbre fait divers nippon des années 1930 – Abe Sada, une geisha et prostituée, étrangla son amant pendant l’orgasme avant de l’émasculer pour se promener des semaines durant son pénis en main – Nagisa Ōshima filmait ses deux personnages, Sada et Kichi, dans d’incessants ébats où les objets tranchants ne sont jamais loin.
Considéré comme le premier film d’auteur pornographique, L’Empire des sens choquait aussi par son point de vue féminin. À contre-courant du cinéma érotique japonais traditionnel, c’est ici la femme qui assume son désir, son plaisir et qui domine son amant. À ce moment-là, au Japon, la censure guette et, dans son pays d’origine, le film se verra amputé de certaines scènes et les parties génitales des acteurs floutées. Son réalisateur sera quant à lui sommé de comparaître au tribunal de Tokyo en décembre 1976 pour “obscénité”.
La Dernière Tentation du Christ, Martin Scorsese, 1988
Au cinéma, lorsque Martin Scorsese ne déclare pas sa flamme à New York, il voue un culte à la religion comme en témoigne son adaptation de La Dernière Tentation du Christ, un livre qu’il avait découvert une décennie plus tôt. Avec l’ambition de traiter la vie de Jésus selon ses propres questionnements existentiels, et pas très catholiques, le cinéaste ne séduit pas les producteurs, trop frileux pour financer un sujet aussi peu commercial et polémique. Lorsque la Paramount donne finalement son accord pour lancer le tournage, des protestants américains font pression sur le studio qui se retire du projet la veille de Noël 1983. Soit trois semaines avant le clap de début. Il devra attendre 1987, et des succès au box-office, pour relancer le film.
Sans surprise, La Dernière Tentation du Christ vaut quelques bras de fer à Martin Scorsese avec les intégristes à la sortie du film. Discours, pétitions, manifestations, boycotts, pressions politiques, incendies dans un cinéma, attentats contre les cinémas français programmant le film, censure pour “propos blasphématoires”… Le cinéaste savait qu’il susciterait une polémique mais ne s’attendait pas à déplorer des blessés graves.
Irréversible, Gaspar Noé, 2002
Comme Stanley Kubrick ou Lars von Trier, Gaspar Noé est un habitué de la provocation. Capable de susciter des émotions contradictoires chez les spectateurs, parfois en simultané chez le même spectateur, le réalisateur fait événement à chaque nouveau film. Cette année à Cannes, il a présenté Vortex, un film sur l’amour en fin de vie dans un style naturaliste et intimiste, presque documentaire, qui a pris de court les festivaliers tant il s’est éloigné de son cahier des charges habituel.
Car il y a 20 ans, en 2002, le réalisateur foulait les tapis rouges pour présenter en séance de minuit Irréversible, son second long-métrage, qui choquait la Croisette. En cause, un assassinat ultra-violent à coups d’extincteur dans la mâchoire mais surtout, un plan séquence de neuf minutes de viol, absolument insoutenable.
Le film était en réalité un scandale annoncé puisque son sujet et une partie de son contenu avaient fuité avant même sa projection. Mais le résultat n’en fut pas amoindri puisque départs de la salle et évanouissements se sont succédé pendant la projection. Des réactions intenses qui n’ont pas déstabilisé le réalisateur, qui se réjouit encore aujourd’hui du choc provoqué : “Le film est né avec beaucoup de fracas, c’est bien“, confiait-il.
Mais, preuve qu’Irréversible a indéniablement marqué l’imaginaire collectif, le film s’est offert l’été dernier un remontage à l’endroit, encore plus éprouvant pour les spectateurs, l’identification au personnage de Monica Bellucci étant plus forte dans le sens chronologique.
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Antichrist, Lars von Trier, 2009
“Un tournage qui n’est pas cauchemardesque est un tournage ennuyeux“, déclarait Charlotte Gainsbourg. Et des tournages éprouvants, elle en a certainement connus pour construire son exigeante filmographie. Si l’on ne connaît pas le détail de celui d’Antichrist, le résultat est quant à lui bel et bien cauchemardesque à regarder.
Présenté au festival de Cannes en 2009, Antichrist relatait la descente aux enfers d’un couple rongé par la culpabilité de la mort accidentelle de leur enfant, un scénario écrit alors que le réalisateur danois souffrait de dépression. Certaines scènes d’une violence physique et psychologique inouïes, ainsi que des scènes de sexe très explicites, avaient provoqué ricanements et huées des nombreux spectateurs et journalistes, plongés dans un profond malaise.
Si le film fut très contesté, les performances de ses deux acteurs principaux, Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe, encore lui, ont été unanimement applaudies. Charlotte Gainsbourg, qui se remettait d’une lourde opération au cerveau au moment du tournage, a même reçu le prix d’interprétation féminine au festival de Cannes. Le film a de son côté écopé d’une interdiction aux moins de 18 ans, demandée par Promouvoir, une association proche des milieux catholiques intégristes.
(© Les Films du Losange)
La Vie d’Adèle, Abdellatif Kechiche, 2013
Malgré une Palme d’or pour Abdellatif Kechiche et ses deux actrices principales Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, La Vie d’Adèle a fait couler beaucoup d’encre depuis sa projection en avant-première au festival de Cannes en 2013. Entre les conditions de travail déplorables, des comportements proches du harcèlement moral ou encore la démission des techniciens et ouvriers, le réalisateur finit par accuser ses producteurs et Léa Seydoux d’avoir “instrumentalisé une controverse stérile visant à le diffamer et à empêcher le succès du film”.
Outre ces nombreux témoignages qui dénoncent un tournage cauchemardesque, l’association très conservatrice Promouvoir ajoute sa cerise sur le gâteau en faisant retirer le visa d’exploitation du film, dénonçant à son tour des scènes de sexe “réalistes” qui pourraient “heurter la sensibilité du jeune public“. Pourtant, lorsque Abdellatif Kechiche décide d’adapter la bande dessinée de Julie Maroh, il assure qu’il voulait avant tout traiter le hasard de la rencontre, capable de chambouler toute une existence. De ce récit d’apprentissage puissant, on retiendra moins la réussite du cinéaste à avoir illustré la force prédatrice des groupes que l’animalité des pulsions et la voracité sexuelle de ses héroïnes.
(© Wild Bunch Distribution)
Article écrit avec Lucille Bion