L’été est synonyme de soleil, de chaleur, de vacances et, depuis bientôt 45 ans, de… blockbusters. La tradition des films estivaliers attirant des millions de spectateurs dans les salles obscures a commencé depuis qu’un certain Spielberg a sorti Les Dents de la mer le 20 juin 1975 aux États-Unis.
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Avec ses 470 millions de dollars de recettes dans le monde (pour un budget d’à peine 12 millions de dollars), le long-métrage horrifique produit par Universal fait des petits : les étés suivants, on retrouve les différents volets d’Indiana Jones, Star Wars, Retour vers le futur, Ghost ou encore Forrest Gump.
Suivront, dans les années 1990 le renouveau de la franchise Batman, la suite de Terminator et le phénomène Jurassic Park, encore amené par un Spielberg inspiré. Les années 2000 voient naître un nouveau type de film estival : le blockbuster de super-héros, dont le premier succès revient à Sony et son Spider-Man, annonçant le MCU, qui truste le box-office depuis le premier Iron Man en 2008.
La fin d’une époque ?
Pour autant, la vague de films estampillés “Disney, Marvel, super-héros” aux succès impressionnants a perdu de la vitesse. Depuis quelques années, les scores de ces “blockbusters de l’été”, qui ne sortent d’ailleurs plus forcément l’été, sont de plus en plus faibles. Aux États-Unis, les entrées du début d’été 2019 ont été plus faibles de 6 % que celles de l’été 2018.
Pire : selon The Hollywood Reporter, pour qu’un blockbuster soit considéré comme un succès, il faut qu’il engendre entre 200 et 300 millions de dollars au box-office américain. Au cours des années 2000, entre cinq et dix films se retrouvent dans cette fourchette par an. En 2018, il y en a huit. En 2019, ce chiffre est tombé à… zéro. Ce week-end du 24 et 25 août était particulièrement sombre : à peine 65 millions de dollars récoltés sur les six plus gros films du moment.
Certes, les gros succès de Disney – Avengers: Endgame, Le Roi Lion, Aladdin, Captain Marvel, Toy Story 4 – perdurent. Il y a aussi eu Spider-Man: Far from Home chez Sony. Mais chez la concurrence, c’est le désert. Malgré le milliard de dollars récolté par certains films évoqués ci-dessus, la somme du box-office estival est 2 % plus bas que celui de l’an passé.
Et forcément, outre-Atlantique, on regarde ces chiffres avec beaucoup d’attention. Les studios sont, logiquement, inquiets. Le public est fatigué, ou trop occupé par les grosses productions Disney.
<em>Spider-Man: Far from Home</em> (© Sony)
Pour mieux comprendre le phénomène, regardons les recettes des blockbusters de 2019 à la loupe. Si l’on met de côté le dernier Tarantino, Once Upon a Time… in Hollywood, qui bénéficie d’un budget de 100 millions de dollars et de la qualité d’un film d’auteur et indépendant, voilà ce que l’on peut constater :
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Men in Black: International : 80 millions de dollars aux États-Unis, 173 millions de dollars dans le reste du monde, et un score Rotten Tomatoes (RT) sur 100 de 22 % (très faible) ;
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Shaft 2 : 21 millions de dollars aux États-Unis, pas de sortie à l’international, et un score RT de 27 % ;
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Uglydolls (film d’animation au budget de 45 millions de dollars) : 20 millions aux États-Unis, 7 millions pour le reste du monde, et un score RT de 61 % ;
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Child’s Play : La Poupée du mal : 29 millions aux États-Unis, pas de chiffres pour le reste du monde, et un score RT de 61 % ;
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X-Men: Dark Phoenix : 66 millions de dollars aux États-Unis, 187 millions dans le reste du monde et un score RT de 23 % ;
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Brightburn : 17 millions de dollars aux États-Unis, 15 millions dans le reste du monde et un score RT de 57 % ;
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Séduis-moi si tu peux : 30 millions de dollars aux États-Unis, 23 millions dans le reste du monde et un score RT de 81 % ;
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Pokémon : Détective Pikachu : 143 millions de dollars aux États-Unis (un score honnête, mais en deçà des prévisions), 285 millions de dollars dans le reste du monde et un score RT de 67 % ;
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Comme des bêtes 2 : 157 millions de dollars aux États-Unis (deux fois moins que le premier), 256 millions dans le reste du monde (deux fois moins que le premier) et un score RT de 57 % ;
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Godzilla: King of the Monsters : 110 millions de dollars aux États-Unis, 275 millions de dollars dans le reste du monde et un score RT de 41 % ;
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Anna (le dernier Luc Besson) : 8 millions de dollars aux États-Unis, 19 millions dans le reste du monde et un score RT de 32 % ;
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Fast & Furious : Hobbs & Shaw : 148 millions de dollars aux États-Unis, 440 millions de dollars dans le reste du monde et un score RT de 67 % ;
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Dora et la Cité perdue : 44 millions de dollars aux États-Unis, 17 millions de dollars dans le reste du monde et un score RT de 83 % ;
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Angry Birds : Copains comme cochons : 28 millions de dollars aux États-Unis, 48 millions dans le reste du monde, et un score RT de 76 % ;
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Good Boys : 43 millions de dollars aux États-Unis, 7 millions dans le reste du monde, et un score RT de 78 % (Supergrave avait récolté près de 170 millions de dollars en total, pour vous faire une idée) ;
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La Chute du Président : (qui vient tout juste de sortir aux États-Unis) : 23 millions de dollars aux États-Unis, et un score RT de 39 %.
Alors, oui, quelques-uns de ces “échecs” sont relatifs car certains scores sont honnêtes. Mais il faut garder en tête qu’un “bon film” a un score supérieur à 80 % sur Rotten Tomatoes, et que la plupart de ces films ont fait moins bien que ce que les studios avaient prévu. En ce qui concerne les suites, les résultats sont nettement en baisse par rapport au volet précédent.
Il est alors légitime de se demander : la recette aseptisée du blockbuster traditionnel est-elle à bout de souffle ?
Un ras-le-bol général ? Pas forcément
Pour comprendre, il faut prendre en compte plusieurs éléments. Les films cités ci-dessus sont-ils si mauvais pour qu’ils soient boudés de la sorte ? Non, certains sont même plutôt chouettes : le problème est qu’ils entrent pour la plupart dans la case “film-sympa-mais-pas-dingue-que-tu-vas-oublier-trois-jours-plus-tard”. Tu ne te fais pas chier, tu t’amuses même parfois, mais c’est tout.
Et le fait est que de plus en plus de films entrent dans cette catégorie. Le plus simple serait de pointer du doigt les studios, trop feignants pour se creuser un peu la tête. Ils pondent des films peu originaux, aux scénarios d’une facilité déconcertante pour certains, aux dialogues tous plus clichés les uns que les autres. Le spectateur est peut-être lassé – et on le comprend.
Pour autant, on refuse de croire que les auteurs font exprès de pondre un long-métrage fade et naze. Il faut garder en tête que cette recette de blockbuster a marché assez longtemps, et qu’elle était devenue la norme. Certains ont donc fait de leur mieux avec ce qu’on leur demandait, en cochant certaines cases. Mais ce n’est plus assez.
Autre élément à prendre en compte : tous les films de cet acabit n’ont pas floppé. En dehors de Disney et de Tarantino, on pense à John Wick Parabellum, qui casse tout sur son passage pour un blockbuster d’une taille moindre – 171 millions de dollars aux États-Unis (soit trois fois plus que le premier volet), 150 millions dans le reste du monde et un score RT de 90 % ! Tout n’est pas foutu.
<em>John Wick Parabellum</em> (© Lionsgate)
Alors, dire que le public ne supporte plus les suites et autres remake semble plutôt faux, puisque ces chiffres démontrent le contraire. D’ailleurs, l’année dernière, les longs-métrages qui ont le mieux marché étaient Avengers: Infinity War, Les Indestructibles 2 et Jurassic World: Fallen Kingdom.
Non, les spectateurs n’en ont pas marre des franchises. Certaines sont juste plus appréciées que d’autres, certaines ont peut-être perdu de leur charme avec les années. Peut-être, aussi, que le public veut aller au cinéma pour voir des “bons” films. Même les deux ne sont pas incompatibles, ils vont trop rarement de pair.
Disney mène la danse
Par ailleurs, il est indéniable que les succès de cette année viennent quasi tous de la même maison : Disney. Que ce soit dans ses films live action, Marvel ou Pixar, le studio mastodonte mène la danse. Mais est-ce le résultat ou l’origine du problème ? Depuis le succès du MCU, tout le monde veut son univers et multiplie les films, ce qui donne régulièrement des échecs commerciaux et critiques.
C’est le cas de Godzilla, qui devait nous tenir en haleine jusqu’à Godzilla vs Kong – ce qui s’annonce compliqué. On pense aussi à X-Men: Dark Phoenix, objet filmique le plus casse-gueule depuis des lustres, qui a souffert d’une production houleuse, devenant le film ayant eu le pire démarrage de l’histoire des X-Men…
Face à ces studios qui se cassent les dents, Disney enchaîne les bons coups. Mis à part Ant-Man et la Guêpe, sorti en 2018, qui a pu décevoir un chouïa, tous les derniers films du MCU de ces deux dernières années ont fait de très jolis cartons au box-office, la plupart étant salués par la presse.
Endgame a, quant à lui, cassé les codes du film de franchise, brisé la dynamique à grands coups de gant de Thanos et a surtout été le fruit de onze ans de dur labeur pour le producteur américain Kevin Feige et son équipe. Sorti au printemps, le film a coupé la chique à la plupart des blockbusters de l’été. Il a réussi ce que plus grand monde n’arrive à faire : marquer les esprits.
Une question de calendrier… et de prix
L’autre grand souci est que les tarifs sont de plus en plus élevés : aller au cinéma requiert un véritable budget, surtout quand on s’y rend en famille. Désormais, que ce soit en France ou chez l’Oncle Sam, il faut compter à peu près 15 euros par tête. Pourtant, chaque semaine sortent un ou deux gros films et des films indépendants, qui survivent tant bien que mal. Il faut faire un choix.
Le meilleur exemple aux États-Unis est Comme des bêtes 2. Le premier n’a pas vraiment marqué les esprits. De plus, le film est sorti quasiment en même temps (à deux semaines d’intervalle) que Toy Story 4, franchise adorée de tous. Évidemment, les parents qui n’ont pas forcément de budget préfèrent aller voir le Pixar. Résultat : Comme des bêtes 2 a fait deux fois moins bien que le 1.
<em>Toy Story 4</em> (© Pixar Animation Studios)
On aurait aimé que les films indépendants profitent de cette logique, mais c’est rarement le cas – la faute à une distribution encore timide (car coûteuse et à perte) sur les films qui ne cartonnent pas. Du coup, assez souvent, on préfère ne pas aller au cinéma plutôt que de payer cher pour un film qu’on a moyen envie de voir ou dont on n’a pas du tout entendu parler.
Et à quoi bon payer si cher quand on a du divertissement de plus en plus qualitatif sur le petit écran ? Il suffit de regarder les scores de Game of Thrones, Chernobyl, The Handmaid’s Tale, Big Little Lies, When They See Us ou encore Stranger Things pour se rendre compte que l’audience perdue du grand écran se retrouve sur le petit.
On pensait que Fast & Furious: Hobbs & Shaw sortirait du lot : la franchise est appréciée, et il est sorti début août sans gros film en face. Même pas : il a fait l’un des moins bons scores de la saga. On met le doigt sur un autre problème : il y a eu un gros embouteillage en mai/juin. Tous les films cités plus haut sont quasiment sortis en même temps. Forcément, avec le prix du ticket, cela n’aide pas.
Ce n’est pas pour rien que d’autres gros studios ont gardé au chaud de belles pépites pour plus tard dans l’année, comme ce fut le cas l’an passé. Il faudra compter sur Ça : Chapitre 2, Le Joker avec Joaquin Phoenix ou encore le traditionnel Star Wars de fin d’année, The Rise of Skywalker. Des films qui s’annoncent d’ailleurs un peu plus malins et moins formatés que ce qu’on a l’habitude de voir.
En fait, le problème n’est pas réservé qu’aux films de l’été. Hellboy a mangé un méchant flop en début d’année, Dumbo a été une petite déception pour Disney, et si on regarde un peu plus en arrière, Mortal Engines et Alita: Battle Angel n’ont pas eu le succès escompté (injustement peut-être). Tout est une question de promesses et de calendrier.
Le même constat peut être établi en France : de plus en plus, les comédies américaines fades et classiques, qu’on retrouve à la pelle avec toujours la même équipe, le même schéma narratif et un manque d’originalité chronique, échouent à ramener du monde en salles.
L’heure de la remise en question a sonné. On l’espère en tout cas.