Une étude montre (encore) que les “pirates” sont aussi les plus gros acheteurs de biens culturels

Une étude montre (encore) que les “pirates” sont aussi les plus gros acheteurs de biens culturels

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(© Virginia Sherwood/USA Network)

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Par Thibault Prévost

Publié le

Une étude menée par un organisme antipiratage britannique révèle que ceux qui piratent le plus sont aussi les plus gros consommateurs de contenus légaux.

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Depuis que le téléchargement illégal existe, les autorités aiment présenter les utilisateurs de réseaux peer-to-peer comme le cancer de l’industrie culturelle. À en croire les organismes de contrôle des droits d’auteur et de répression de l’échange de contenus gratuits, les “pirates” seraient en quelque sorte allergiques au fait de payer quoi que ce soit pour se procurer un film, un livre ou un album en ligne. Télécharger illégalement serait un sacerdoce, en somme – celui de la gratuité omniprésente, au mépris de la rémunération des créateurs. Faux, faux et trois fois faux.

Si plusieurs études et sondages avaient déjà montré que la vivacité de l’écosystème peer-to-peer était en partie due au manque de disponibilité de certains contenus culturels en ligne, que les plateformes de torrents s’efforçaient de combler – notamment feu la plateforme privée T411, qui regorgeait de raretés culturelles sorties depuis longtemps des circuits d’achat légaux –, une nouvelle étude, datée du 7 juin et relayée par TorrentFreak, démonte une nouvelle fois le mythe du pirate obsédé par la gratuité (on se souvient de cette étude mystérieusement “perdue” par l’Union européenne sur le sujet) : de fait, ceux qui téléchargent le plus sont aussi ceux… qui achètent le plus.

L’illégal comble les manques du légal

L’étude, menée à l’initiative du gendarme britannique du piratage MUSO, a été réalisée en ligne auprès d’un millier d’internautes britanniques grâce à la plateforme CitizenMe. Premier résultat : 60 % des personnes interrogées admettent avoir téléchargé du contenu illégalement dans un passé proche.

Mais 83 % d’entre eux admettent aussi avoir d’abord cherché à se le procurer légalement et, faute d’y être parvenus, avoir dû se résoudre à la piraterie. Plus révélateur : si 86 % des sondés disent utiliser un service de streaming légal, comme Netflix ou Spotify, ce chiffre monte à 91 % chez les utilisateurs de plateformes de téléchargement illégal.

Dans une seconde partie, l’étude interroge les pirates pour essayer de comprendre leurs motivations. Tiercé dans l’ordre : le contenu recherché n’était pas disponible par voie légale (34 %), trop difficile d’accès (34 %) ou tout simplement trop cher (35 %).

Un portrait autrement plus nuancé que celui du pirate obsédé par la gratuité. Selon Paul Briley, l’un des responsables de MUSO, “l’industrie du divertissement tend à considérer les audiences pirates comme un élément criminel, et ne voit que l’argent qu’elles lui feraient perdre. Elles ont tort. La réalité montre que la vaste majorité de ceux qui ont fait l’effort de trouver ces contenus sans licence sont, avant toute chose, des fans – des fans qui essaient la plupart du temps de trouver du contenu légalement”. On ne saurait être plus clair.

Sur le P2P, rien de nouveau

Si la faiblesse de l’échantillon interrogé peut mettre en doute la légitimité de l’étude de la MUSO, elle est cependant loin d’être la première à parvenir à de telles conclusions. En 2011, notre bonne vieille Hadopi révélait que les pirates étaient aussi les meilleurs clients de l’industrie du divertissement en ligne – oui, cette même Hadopi dont le boulot consistait à traquer les pirates et leur couper leur accès à Internet.

Même son de cloche pour le régulateur britannique des télécoms Ofcom, qui concluait en 2012 que les pirates consommaient plus que les autres. Ces études vous paraissent trop anciennes ? Pas de problème : l’année dernière, Launchleap révélait que si la moitié des millennials utilise régulièrement un service de téléchargement illégal, ils sont 70 % à payer pour écouter de la musique, lire des livres ou regarder des séries.

Bref, en 2018, l’offre illégale sert majoritairement à pallier les manques des catalogues légaux, quoi qu’en disent les associations d’ayants droit qui continuent à criminaliser le peer-to-peer. Le pire, c’est qu’en lisant les études, ça fait près de vingt ans qu’on le sait (il suffit de regarder là, , ou encore là), soit à peu près depuis la préhistoire du téléchargement. Et vous vous souvenez de cette idée selon laquelle le piratage allait mener l’industrie musicale à la faillite ?

Selon le dernier bilan de la RIAA (le syndicat des labels américains), l’industrie a enregistré 8,7 milliards de dollars de profit en 2017, son plus haut niveau de profits depuis 2008, en augmentation de 16,5 % par rapport à 2016 – mais encore, il faut bien l’avouer, 40 % moindre qu’à son paroxysme. Et devinez quoi : 65 % de ces recettes provenaient du streaming légal. Parallèlement, le 21 mars, la MUSO révélait que le téléchargement illégal… n’avait jamais été aussi populaire. Il est temps d’arrêter pour de bon de traiter le peer-to-peer comme une activité criminelle.