État des lieux du rap chinois, entre pépites underground, censure et nationalisme

État des lieux du rap chinois, entre pépites underground, censure et nationalisme

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BEIJING, CHINA – OCTOBER 29: Chinese rapper PG One performs during FIBA 3×3 World Tour on October 29, 2017 in Beijing, China.

Aujourd’hui, c’est le nouvel an chinois. Pour la peine, voici un tour d’horizon de la scène rap du pays.

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À la fin du mois de janvier 2018, nombreux étaient les médias français et occidentaux à reprendre l’information selon laquelle le gouvernement chinois souhaitait interdire le rap et les tatouages. En fait, la situation est bien plus complexe. À l’occasion du nouvel an chinois, il est temps de se pencher sur une scène musicale bien plus hétéroclite qu’il n’y paraît, certes victime de la censure, mais s’assurant une grande liberté artistique.

Higher Brothers, les têtes de cordée

Depuis quelque temps, le rap chinois a trouvé ses ambassadeurs. Ils sont trois, leurs sons sont modernes, et ils se nomment Higher Brothers. L’été dernier, ils parvenaient à faire parler d’eux avec une série de titres, dont “Black Cab” et “Made In China”, et ce en grande partie grâce à leur label, 88 Rising, qui leur a permis de traverser le Pacifique jusqu’aux USA. Mais c’est surtout grâce à la collaboration avec la re-sta du rap sud-coréen Keith Ape sur “WeChat” que les choses ont vraiment pris de l’ampleur (et ce clip, nom d’un chien…).

En regardant certaines de leurs vidéos, on hésite entre rire des poses chelou et des dégaines, ou s’incliner devant le fait de réussir à péter les scores en venant d’un pays si peu enclin à promouvoir le rap de sa jeunesse. Finalement, les deux ne sont pas inconciliables, et il faut reconnaître aux Higher Bothers un talent plus que certain.

Autant le dire tout de suite : on ne comprend pas la moitié du quart de ce qu’ils racontent. Mais ils rappent tout de même une bonne partie de leurs textes dans la langue de Shakespeare. Et puis, avouons-le, ne pas parler anglais n’empêche en rien d’apprécier le rap US. Pareil pour le chinois, donc. Dans leur répertoire, il faut aussi se pencher sur les titres “71” et “Franklin”. Derrière eux, une volée d’artistes. À commencer par PG One et GAI.

Faire face à la censure

Car si le gouvernement chinois ne souhaite pas interdire le rap, comme on a pu le lire un peu partout, il fait cependant peser un climat de censure fidèle à sa réputation sur la musique produite en ses frontières. En 2017, GAI et PG One ont remporté le radio-crochet local The Rap of China, équivalent de The Voice, mais version kickers.

Les autorités n’ayant finalement que peu goûté leur passage, les deux artistes se sont retrouvés évincés des télévisions, l’émission ayant été jugée non conforme aux valeurs du Parti communiste. Leurs performances télévisées sont tout de même disponibles sur YouTube, ainsi que plusieurs de leurs morceaux (assez stylés), à l’image de celui-ci par PG One.

Mais le rap chinois reste très majoritairement underground, et ce depuis de nombreuses années. Les Higher Brothers ne sont pas les seuls à sortir du lot. Kafe Hu, par exemple, originaire de Chengdu, l’un des épicentres de la scène rap chinoise, parvient à se produire jusqu’à Shanghai, et distille une critique acerbe du gouvernement en place. Difficile de se faire un nom dans ces conditions, mais son album 27 : The Code of Lucifer vaut réellement le détour, notamment pour le titre jazz-rap “Fever in the Desert”.

Du nationalisme chinois aux USA

Depuis quelques années, on trouve aussi des artistes ayant embrassé le style dirty south, à l’image de Big Zoo, ainsi que les instrus plus trap, comme Fat Shady. Ce dernier n’a de cesse de truffer ses textes et beats de référence à Eminem. Cependant, il a récemment été au cœur d’une polémique : son morceau “Gua Laowai” est extrêmement virulent envers les étrangers, qu’il appelle les “stupid foreigners”. Accusé de racisme et de nationalisme exacerbé par certains, il est cependant un des grands noms du rap chinois actuel. Pour le meilleur et pour le pire.

Puisque la scène rap chinoise n’est pas née d’hier, il faut aussi rappeler que certains artistes sont parvenus à se faire un nom aux USA il y a quelque temps, grâce à leur double nationalité sino-américaine.

Le plus célèbre d’entre eux, c’est MC Jin, présent dans le game depuis 2001, année où il a commencé à sévir dans les battles de rap de sa Floride natale. En 2002, il a même signé sur le label culte Ruff Ryders (celui de DMX, Swizz Beatz, Eve, Jadakiss…). Et si son aura n’a pas brillé longtemps, il est toujours actif, notamment en collaborant avec des artistes indonésiens, chinois, ou originaires de Hong Kong.

Terrain miné

Mais revenons au territoire chinois. Si le gouvernement censure une partie du rap local, il s’en sert aussi à des fins de propagande. En 2016, il finançait un titre, “This is China”, disant, entre autres :

“This is China, nous aimons ce pays, nous sommes le Chi-phénomène
Le dragon rouge n’est pas le diable, mais un endroit paisible.”

“Le problème est qu’il y a toujours quelqu’un pour faire empirer la situation
Tu sais de qui je parle ?
Il te donnera des dollars US
Les espions, les traîtres, les menteurs, l’argent rend stupide.”

Sympa… Les interprètes s’appellent CD Rev, et sont définis comme un “groupe de gangsta rap sponsorisé par le gouvernement”. Pour avoir une idée de la qualité musicale du morceau, mieux vaut une écoute attentive que des lignes de texte. Attention ça pique…

Alors certes, le rap chinois peut être underground, de qualité, d’État, ou franchement borderline sur tout ce qui est racisme… Il y a de tout en fait. Mais il est aussi édulcoré, rendu lisse et inoffensif. Ainsi, plusieurs chanteurs de K-pop, ce fameux style musical venu de Corée du Sud, sont aussi des rappeurs chinois.

Explication : dans les groupes masculins (notamment) de K-pop, de jeunes chanteurs étrangers sont engagés afin d’augmenter la portée internationale des formations et de rayonner hors de Corée. Les stars chinoises du genre sont légion, et rentrent parfois au pays avec une notoriété incroyable.

Comme Zitao Huang, par exemple, rebaptisé ZTAO après s’être échappé du groupe à succès EXO. Son style se situe entre le hip-hop et la K-pop. C’est assez moche, mais cela fait partie intégrante du paysage musical du pays. D’ailleurs, ce grand barge de Wiz Khalifa, qui ne recule devant rien pour conquérir un public nouveau, a signé un feat très hasardeux avec le bonhomme sur “Hello Hello”.

En somme, il y a à manger pour tout le monde, mais si vous décidez de vous lancer dans une exploration approfondie du rap chinois, gare où vous mettez les oreilles. Il y aura d’excellentes et de très mauvaises surprises…