En images : bienvenue dans la Ressourcerie du cinéma qui sauve les décors de la poubelle

En images : bienvenue dans la Ressourcerie du cinéma qui sauve les décors de la poubelle

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Par Manon Marcillat

Publié le

Munie de notre Kodak, on s’est promenée dans les rayonnages de la Ressourcerie du cinéma à Montreuil qui tente de sauver les meubles.

Si l’écoresponsabilité commence à imprégner les mentalités du cinéma et que des bonus à l’écoproduction sont attribués à certains projets, aucune obligation n’est encore en vigueur. Une réflexion autour des déplacements ou du catering – soit les pôles à l’impact carbone le plus important – émerge sur certains projets mais se solde souvent par une simple suppression des gobelets en plastique sur le tournage.

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Pourtant, selon une étude publiée en novembre 2020 par le collectif Ecoprod, le secteur audiovisuel en France émet l’équivalent de 1 705 560 tonnes de CO2 par an, soit environ 700 000 vols Paris-New York aller-retour. Les décors, jetés à la benne après quelques jours d’utilisation seulement, voire parfois quelques heures, produisent à eux seuls 1/4 de l’impact carbone d’un tournage.

Face à ce constat, la Ressourcerie du cinéma, née en décembre 2020 et installée depuis un an dans les anciennes usines Mozinor à Montreuil, tente de sauver les meubles.

15 tonnes de déchets

Jusqu’à la fin des années 1960 en France, le cinéma de la Nouvelle Vague privilégiait les tournages en décors naturels mais à partir des années 1970, les décors des films ont commencé à être construits de toutes pièces, puis conservés afin d’être réutilisés. Avec la chute du prix des matériaux et la hausse des prix du foncier et donc des lieux de stockage, cette pratique s’est peu à peu perdue et des décors entiers partent depuis à la poubelle.

Aujourd’hui, sur un décor construit en studio en Île-de-France – qui accueille 80 % des tournages de l’Hexagone – environ 15 tonnes de déchets partent à la benne à la fin du tournage. Pour d’autres projets d’ampleur, le gâchis est malheureusement encore plus vertigineux. Sur le tournage d’Astérix et Obélix : L’Empire du milieu, privé de son tournage en décors naturels en Chine en raison de la pandémie, la seule scène du palais de César a généré à elle seule ces 15 tonnes de déchets, déplore Karine d’Orlan de Polignac, la cofondatrice de la Ressourcerie du cinéma.

Ce sont les feuilles décors, des châssis de bois surmontés de contreplaqué sur lequel on applique la matière et qui servent à créer les murs des décors de cinéma, qui sont jetées dans les plus grandes quantités. Standardisées, elles sont pourtant tout à fait adaptées au réemploi. Il y a quelques années encore, ces feuilles étaient fabriquées avec de la peau de vache ou de la toile de jute que l’on pouvait arracher pour en récupérer la matière.

(Des feuilles décors utilisées pour la reconstitution d’appartements haussmanniens présents dans de nombreux films français)

(Les feuilles décors utilisées sur le tournage de la série Netflix <em>Drôle</em>)

(Des feuilles décors utilisées pour la reconstitution d’un abri antiatomique)

Si 80 % des décors récupérés par la Ressourcerie du cinéma ont été revendus ou reloués à d’autres tournages, à des projets événementiels, à des théâtres, à des escape games ou à des architectes, les cinq employés du lieu (dont une bénévole et un alternant) n’ont malheureusement pu sauver qu’1 % des décors de la benne, faute d’espace de stockage suffisant. Si le cinéma fait de plus en plus appel à leurs services, ils ne peuvent pas pousser les murs.

“On vient de récupérer les décors de la série Netflix Détox car ils n’ont pas été renouvelés pour une deuxième saison. C’était énorme car ils avaient stocké en prévision d’un renouvellement mais on a réussi à s’arranger avec des ressourceries ménagères qui ont pris les accessoires qui les intéressaient. La production du Bureau des légendes vient de nous appeler pour leur stock mais ils ont accumulé six saisons donc je ne pense pas qu’on va pouvoir absorber tout ça. Mais c’est bien, ils ont gardé leurs décors d’une saison à l’autre car il y a des séries qui les jettent à la fin de chaque saison…”

Peu d’objets dans leurs rayonnages car du côté des accessoires, le cercle est un peu plus vertueux puisque les accessoiristes ont déjà le réflexe de se tourner vers Emmaüs ou des ressourceries. Cependant l’an dernier, l’équipe de Karine d’Orlan de Polignac a sauvé l’équivalent de trois camions d’accessoires destinés à la benne mais vient malheureusement de refuser de superbes tables en bois de hêtre construites pour les besoins d’un tournage qui vont donc finir leur course à la poubelle.

Et le cinéma ne constitue qu’une petite partie de cet iceberg de gâchis, les logiques dans les secteurs de la publicité ou de la mode étant encore plus accablantes.

(Quelques accessoires récupérés à la fin du tournage d’un film policier)

Le geste artistique avant l’écologie

Beaucoup de jeunes futurs cinéastes à la recherche d’inspiration pour les décors de leurs courts-métrages poussent la lourde porte de la Ressourcerie du cinéma, motivés par des contraintes écologiques mais aussi économiques. Un partenariat entre cette dernière et la Fémis – la prestigieuse école de cinéma parisienne – vient d’ailleurs d’être conclu, signe que les lignes commencent à bouger.

Mais les générations aguerries, présentes sur les gros tournages générateurs de tonnes de déchets, ne sont pas toutes sensibilisées aux questions écologiques et privilégient souvent le gain de temps, la denrée la plus rare du cinéma, en jetant les décors plutôt que de gérer un stockage compliqué en vue d’un potentiel réemploi.

En 2022, le geste artistique prime encore souvent sur l’écologie, malgré l’urgence climatique à laquelle nous faisons face. Ainsi, une reconstitution de Notre-Dame-de-Paris est récemment partie en fumée pour les besoins du film de Jean-Jacques Annaud alors même qu’un projet de série sur l’incendie de cette même cathédrale était dans les tuyaux chez Netflix.

Si un tel gâchis est souvent aberrant, il est également entendable que les chefs décorateurs – ces artistes et artisans du cinéma qui construisent les décors de toutes pièces – ou les réalisateurs qui les ont pensés ne souhaitent pas voir leur travail réemployé sur d’autres tournages. Ancienne photographe, Karine d’Orlan de Polignac est sensible aux questions de propriété intellectuelle et a donc mis en place des formulaires de cessions de droits pour mieux encadrer le réemploi des décors.

Quel est donc l’avenir pour la petite équipe de la Ressourcerie du cinéma qui fait face à de grandes contraintes de stockage ? Travailler main dans la main avec le BTP en remettant les décors sur le marché du bâtiment et en proposant à la location des machines à nettoyer écologiquement les pinceaux utilisés pour la fabrication des décors, déjà disponibles dans le secteur du BTP. Ils ambitionnent également de remettre en service la feuille répertoire pour sauver des milliers de tonnes de bois de la poubelle et projettent d’inventorier leur stock sur un site Internet afin que les chefs décorateur puissent faire leur marché en ligne.

Si la révolution verte de l’audiovisuel n’est pas pour demain, des ressourceries comme celles de Montreuil éclosent en Europe jusqu’à Los Angeles – pourtant ville de tous les studios – et tentent de sauver les meubles du cimetière des décors de cinéma pour réinjecter un peu de sens et de bon sens dans l’industrie du 7e art.