Dumb Money : la folle histoire (vraie) d’une bande de geeks qui a fait vaciller Wall Street

Dumb Money : la folle histoire (vraie) d’une bande de geeks qui a fait vaciller Wall Street

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(© Metropolitan FilmExport)

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Par Leonard Desbrieres

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Le film de Craig Gillespie, actuellement en salle, s’empare d’une improbable histoire vraie : un combat de David contre Goliath qui a secoué la finance mondiale.

Dumb Money, traduisez “argent stupide” : voilà comment les plus grands financiers de Wall Street désignent habituellement les petits investisseurs qui pullulent sur les marchés. Comme si d’un côté il y avait une caste de génies des transactions et de l’autre une masse informe de particuliers stupides qui ne font qu’obéir aux tendances pour placer leurs misérables économies.

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En guise de joli pied de nez à ces privilégiés autoproclamés rois des marchés, Craig Gillespie choisit de faire de cette expression dédaigneuse le titre de son nouveau film. Presque cinq ans après le génial Moi, Tonya consacré à la championne de patinage artistique déchue Tonya Harding, il s’essaie à nouveau à l’exercice du documentaire fictif pour raconter l’affaire GameStop, ces quelques semaines de janvier 2021 où des milliers de boursicoteurs du dimanche, parmi lesquels son propre fils, se sont associés pour saborder les manœuvres abusives des plus grands fonds de spéculation.

Avec une narration dynamique, divertissante mais documentée qui n’est pas sans rappeler The Big Short, le réalisateur australien façonne une nouvelle fable du pouvoir en Amérique et prend un malin plaisir à raconter ces moments de stupeur qui secouent l’establishment. Ou quand les puissants de ce monde tremblent face à une figure d’outsider magnifique. Retour sur une improbable histoire vraie.

Les Robins des Bois de la finance

Tout commence en janvier 2021. Une nouvelle se répand sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Pour profiter de la crise de la chaîne de magasins de jeux vidéo GameStop, détentrice en France de Micromania, les mastodontes des marchés financiers ont décidé de s’en mettre plein les poches en pariant contre l’entreprise, au mépris de ses employés et de ses investisseurs. Un droit de vie ou de mort qui n’étonne plus personne et une histoire terrible comme la finance toute-puissante en écrit tous les jours.

Mais pour une fois, les choses ne vont pas se passer comme prévu.

(© SCOTT OLSONGETTY IMAGES NORTH AMERICAGetty Images via AFP)

Amoureux de ce lieu magique où ils ont passé leur jeunesse soit pour acheter leurs jeux préférés, soit comme vendeurs pour payer leurs études, une horde de nerds se mobilise sur les réseaux sociaux et sur le forum de discussion WallStreetBets pour contrecarrer les plans des fonds spéculatifs. Ces milliers de particuliers ne possèdent pas grand-chose mais ils sacrifient sans sourciller leurs économies pour acheter quelques actions GameStop et ainsi faire repartir l’action à la hausse, à l’inverse des prévisions des acteurs majeurs de Wall Street.

Le cours flambe, GameStop prend 1400 % en un mois et les dégâts sont colossaux pour les fonds d’investissement vautours qui comptaient festoyer autour du cadavre. Melvin Capital et son président Gabe Plotkin, incarné par Seth Rogen, perdent par exemple près de 4 milliards de dollars. C’est une réécriture moderne de Robin des Bois. Les pauvres dérobent aux riches pour sauver les plus faibles. Comme un symbole, c’est grâce à l’application Robinhood, un outil qui permet d’investir sur les places boursières sans payer de commission, que ces tradeurs amateurs ont réussi leur coup.

Un héros pas comme les autres

Un homme a joué un rôle décisif dans ce soulèvement populaire et cette révolution citoyenne contre les rois de la finance : Keith Gill. Dès 2019, sur Reddit sous le nom d’utilisateur DeepFuckingValue et sur YouTube et Twitter sous le nom de Roaring Kitty, le courtier analyse l’action GameStop et affirme que c’est un bon placement. Il investit 50 000 dollars et parie sur un retour en grâce de l’action tout en égratignant au passage les manœuvres des fonds pour faire couler l’entreprise.

Alors quand, deux ans plus tard, la communauté geek se mobilise pour investir massivement sur l’action GameStop, elle trouve en Keith Gill un porte-étendard et un leader inattendu. Avec son bandana rouge et ses T-shirts avec des chatons kitschissimes, il devient un héros populaire. Il devient aussi millionnaire. Grâce à l’explosion de l’action, ses 50 000 dollars de capital initial valent au plus haut du cours près de 50 millions de dollars.

Si ce mois de janvier 2021 représente une victoire éblouissante, cette dernière n’est évidemment pas suffisante pour renverser Wall Street. Sous la pression des gros acteurs des marchés, vexés d’avoir été giflés de la sorte, Robinhood est forcé de siffler la fin de la récré le 28 janvier en raison de la trop forte volatilité du cours de l’entreprise. L’action dégringole et le gendarme américain de la Bourse ouvre une enquête.

Symbole d’un système qui reprend ses droits, Keith Gill est convoqué devant le Congrès américain pour s’expliquer et quelque part pour justifier cette folie qui lui a permis d’acquérir une véritable fortune. Mais trop tard, le mal est fait. Un peu plus de dix ans après la crise des subprimes qui devait soi-disant réguler les marchés, une bande de geeks solidaires et remontés a prouvé au monde entier qu’on pouvait faire trembler les grands méchants financiers.